Formé entre Hambourg et Londres, façonné par l’école de la rue, et porteur d’une lucidité rare pour un aussi jeune artiste, Sebastian Schub se présente avec une poignée de chansons élégantes, douce-amères et écrites comme des petits bouts d’éternité.

 

 

Une église en janvier au Pays Bas, lors d’Eurosonic. La voix de Sebastian Schub résonne comme un chant sacré, ses doigts effleure le piano à proximité du chœur où il performera le soir-même. Il émane de Sebastian, une élégance nonchalante des gens qui ont déjà beaucoup vécu, même s’ils n’ont que la vingtaine. Grand, regard clair, silhouette souple, Sebastian Schub n’a que cinq chansons à son actif, mais déjà une histoire qui s’écrit comme un roman. De Hambourg à Londres, des bancs d’une école de théâtre aux trottoirs où il a chanté pour payer son loyer, tout chez lui respire la traversée. Et le désir de raconter. C’est dos à dos, contre le radiateur d’une pièce de l’église que démarre cet entretien.

« Paradise, c’est la première chanson que j’ai publiée. Je l’ai écrite en 2018, j’étais encore un gamin. » Il se souvient de la campagne du Devon, où vivait sa mère, comme d’un lieu suspendu. C’est là qu’est née cette ballade douce-amère, sortie en février 2020, un mois à peine avant que la pandémie ne fasse taire les salles, les rues et les débuts prometteurs. « Sortir sa première chanson à ce moment-là, c’est un peu comme lancer une fusée éclairante dans le ciel… et se rendre compte que personne ne la voit. »

Mais il n’a pas lâché. Le confinement a été un temps de repli, d’écriture, de patience. « J’ai continué à bosser mes chansons dans l’ombre. J’ai essayé de créer mon moment. » Aujourd’hui, Paradise ouvre chacun de ses concerts. Pas par superstition, mais par intuition. « C’est une chanson calme. Et je crois que quand on commence doucement, les gens s’apaisent. Ça crée un espace où on peut vraiment écouter. »

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Un pied dans la rue, l’autre sur scène

Avant de publier ses titres, Sebastian Schub a connu le bitume. Littéralement. « J’ai joué dans la rue pendant des années. C’était mon job. Je n’avais pas de boulot “normal”, alors je sortais ma guitare et je chantais. Je payais mon loyer comme ça. » Il évoque ces longues soirées d’hiver à chanter pour personne, juste pour tenir, apprendre, se trouver. « Jouer jusqu’à minuit, complètement seul… C’est là que j’ai appris à me détendre. Quand tu n’as plus de voix, plus d’énergie, tu arrêtes de faire semblant. »

Le busking, dit-il, forge une forme de liberté rare. « Il y a deux types d’artistes. Ceux qui montent sur scène en pensant à eux : est-ce que je suis bien ? Est-ce que je chante juste ? Et puis il y a ceux qui regardent la foule, qui essaient de créer une vraie connexion. La rue t’apprend ça. Tu ne peux pas tricher. »

Des artistes comme Ed Sheeran ou Glen Hansard l’ont inspiré – des musiciens façonnés par cette école sans toit. « Quand t’as joué pour faire s’arrêter des passants, faire un concert dans une salle, c’est du luxe. C’est comme passer du vélo sans freins au vélo avec petites roues. »

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©Emelia Staugaard

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D’Allemagne à l’école de la rue

Né à Hambourg d’un père anglais et d’une mère allemande, Sebastian grandit dans un foyer bilingue. Très jeune, il se passionne pour la scène. « À 12 ans, j’ai intégré une école d’opéra à Hambourg. J’y ai appris le chant classique, la technique vocale, la discipline. J’ai joué dans des comédies musicales, des pièces. » Ce premier contact avec l’art du spectacle le marque profondément. « Puis j’ai rejoint un groupe à l’école, j’ai joué de la guitare et d’autres instruments. Surtout de la basse, parce que mon ami jouait mieux de la guitare que moi. »

Mais à 15 ans, tout bascule : la famille déménage à Londres. « C’est bizarre. J’ai tout de suite eu l’impression d’être chez moi. » Là-bas, il entre dans une école d’arts du spectacle, se rêve comédien. Shakespeare, le théâtre physique, les comédies musicales… il touche à tout. Mais quelque chose résiste. « J’aimais jouer, mais je ne me sentais jamais complètement à ma place. » C’est en quittant l’école, à 17 ans, qu’il commence à écrire ses propres chansons et à chanter dans les rues de Londres. Puis viendra la scène ouverte du Spiritual Bar à Camden. « Ce bar a été une école parfaite pour moi. La réaction du public était toujours directe et immédiate. Souvent brutale. Un moment de silence au début, rapidement suivi de bavardages et de grondements d’ivrognes. Prolonger ces moments de silence est devenu une sorte de mission de vie. »

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Les chansons comme instinct de survie

Sebastian ne cherche pas le hit. Il cherche le bon moment. Une ambiance. « Quand j’écris, je m’imagine toujours dans la foule, en train d’écouter. Ce moment où une chanson commence et tout le monde se tait. Cette magie, c’est ça que je poursuis. »

Sa formation d’acteur n’a jamais vraiment quitté son écriture. Il voit chaque chanson comme une scène. Chaque vidéo TikTok comme un mini-film. Car oui, il est actif sur les réseaux – presque par nécessité. « Aujourd’hui, c’est difficile de construire une carrière sans TikTok. Il faut constamment créer. C’est épuisant. Mais j’essaie de voir ça comme une activité créative. »

Il le dit sans détour : il a eu de la chance. « Parfois une vidéo explose, parfois la même vidéo postée une semaine plus tard ne fait rien. C’est un mystère. Mais ça m’a permis de toucher des gens dans le monde entier. »

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©Sebastian Schub

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Créer dans un monde qui défile

Aujourd’hui, Sebastian est signé chez Universal – une étape majeure dans la vie d’un jeune artiste, mais qu’il aborde avec prudence et lucidité. « J’ai eu la chance de choisir les personnes avec qui je voulais travailler. Ce n’est pas toujours le cas. » Il a vu trop d’amis artistes, prometteurs et sincères, se brûler les ailes dans des contrats verrouillés. « L’industrie peut être cruelle. Mais on oublie parfois que les gens qui travaillent dans les labels et les sociétés de management sont tous des gens très créatifs qui aiment vraiment la musique. J’ai vraiment de la chance d’avoir trouvé un groupe de personnes adorables. Je leur en suis très reconnaissant et ils travaillent tous très dur. En tant qu’artiste, vous vous mettez déjà dans une position vulnérable parce que vous faites de l’art et ensuite dans une autre position vulnérable parce que légalement, vous abandonnez une grande partie de votre pouvoir de négociation. C’est donc compliqué. »

Mais au fond, ce qu’il aime, c’est écrire. Lentement. Profondément. « Je trouve que c’est très dur d’écrire des chansons, c’est comme graver de la pierre avec des ongles. Beaucoup disent ‘tu entres dans une sorte d’espace et la chanson vient à toi’. Cela ne m’est jamais arrivé, je n’ai jamais été dans cet espace. Chaque chanson que j’ai écrite a été combattue, chaque ligne a été comme tirée. »

 

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Un futur en chantier

Avec seulement cinq titres sortis – Sing Like Madonna, I Can’t Believe We Never Went Out Dancing, Ruin Me, Scared of Screaming et ParadiseSebastian construit son univers lentement, avec une exigence rare. Il travaille aujourd’hui à son premier album, et refuse la logique du contenu jetable. « Je pense que l’album reste la forme la plus complète. Tous les artistes que j’aime ont des albums. Avant, les artistes avaient l’habitude de créer un album entier, une heure pour dire ‘voilà, c’est moi, je suis incroyable’. Maintenant, tu as 30 secondes d’une chanson de trois minutes pour dire la même chose. C’est presque impossible. Ce n’est pas que ce n’est pas faisable, mais l’algorithme, oui passe par là… D’une certaine façon, Sing Like Madonna était ma tentative de tout condenser dans une chanson et un refrain. Mais au fond, c’est juste une facette, une petite pièce d’un puzzle plus grand. Un album, c’est l’occasion de tout explorer. C’est génial, j’adore. Mais même autour de l’album, je ne voudrais pas qu’il y ait plus de chansons qu’il n’en faut. » Sebastian publiera un EP avec sept titres, Sing Like Madonna EP le 6 juin prochain, car cela fait sens. Pour l’album, il prendra son temps.

Il le sait, tout est fragile. Alors il garde le cap : créer d’abord pour lui, puis partager. « Une fois que tu joues une chanson, elle n’est plus vraiment à toi. Elle appartient à ceux qui l’écoutent. »

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Un garçon debout, à fleur de voix

Ce soir-là, il joue en solo. Juste lui et sa guitare. Mais dès qu’il le peut, il s’entoure. « Il y a quelque chose de vraiment magique à jouer seul, quelque chose d’intense et en même temps libérateur. En fait, j’aime bien faire les deux : avoir un groupe complet et jouer quelques chansons en solo pendant le set, c’est comme combiner les deux expériences. Cette année, je pense qu’il y aura plus de membres du groupe avec moi, mais ces six derniers mois, on a joué beaucoup de concerts en solo, parfois par nécessité. Mais maintenant que les salles se multiplient, j’aime retrouver ce son plus puissant, avec toutes les chansons produites. »

Loin des effets de manche, Sebastian Schub avance avec une lucidité rare pour son âge. Aujourd’hui, entre les concerts, les maquettes et les sessions d’écriture, il trace sa route sans précipitation. Il continue d’écrire. Lentement. Intensément. Comme un « petit garçon » de 1m80, toujours en train de chercher les bons mots pour dire ce qui vibre, Sebastian marche sur la ligne fine entre bonheur et beauté, et qui, à chaque chanson, nous tend un fragment de lui-même.

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Sing Like Madonna/ Ruin me est disponibles via Sebastian Schub/Universal Music. En concert à Paris (Pop Up) le 16 mai 2025.

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Sebastian Schub