Joe la panic arrive légèrement en retard à notre rendez-vous, elle vient d’éviter de justesse un accident de vélo en venant nous rejoindre. L’ensemble de son équipe est déjà présent. Elle se remet tranquillement de ses émotions mais aussi de celles de son concert à Rock en Seine. « J’ai toujours rêvé de faire un festival comme ça, parce que je voulais être programmatrice de festival quand j’étais ado. »
Le live, une expérience humaine éphémère
Pour Joe, le live est une expérience unique, différente de la version enregistrée d’un morceau. « En fait, je réalise que le live n’est vraiment pas fait pour être figé. À chaque fois que je revois les vidéos après un concert, je déteste. Pourtant, je suis habituée à m’entendre, à visionner les enregistrements, mais dès que je regarde un live, j’ai toujours cette impression que ça sonne faux, que je n’ai pas fait ce qu’il fallait. J’ai l’impression que le live est fait pour être vécu dans l’instant, et pas pour être re-regardé », conclut-elle. Cette approche spontanée se traduit aussi dans son attitude sur scène, où elle mêle des blagues et des moments improvisés, tout en conservant quelques éléments récurrents qui deviennent des repères comme pour se rassurer. Joe a encore des rêves à réaliser sur le live. « J’aimerais bien passer une étape au dessus, parce que c’est hyper frustrant d’avoir des idées et de ne pas pouvoir les réaliser par manque de moyens. »
Joe explore la simplicité avec Tendresse
Initialement prévu le 27 septembre dernier, Tendresse, suite de Morphée arrive finalement le 15 novembre. Pour ce nouvel EP, Joe a pris le temps de peaufiner ses textes et ses mélodies, explorant un style plus minimaliste : « Le mieux est l’ennemi du bien », se dit-elle désormais, privilégiant des phrases plus courtes et plus directes. Elle se sent aussi plus libre, moins contrainte par l’envie de tout prouver, ce qui rend ses nouvelles chansons plus sensibles et nuancées. « J’ai mis du temps à me détacher de l’image de la perfection que je voulais transmettre », confie-t-elle. Avec cet EP, elle affirme avoir trouvé un équilibre, un son plus proche de celle qui elle est aujourd’hui, à la fois touchant et authentique.
Une écriture épurée et un deuxième projet plus sensible
Si de prime abord, l’on retrouve l’ADN du style Joe la panic dés l’entrée avec cette bossa décalée qu’est Je vis des hauts « Je voulais faire un truc avec un champ lexical de jeux vidéo. Chanson d’amour, d’accord, mais avec un angle qu’on n’a pas entendu, un angle un peu marrant. Au final, c’est vraiment un exercice de style » , la suite se conjugue au futur.
Jour de pluie, premier single extrait de Tendresse est un titre magnifique et d’une profonde sensibilité. « C’est un morceau charnière dans le sens où à partir du moment où on l’a fait, cela a vraiment tout changé. Ce titre a vraiment donné une certaine couleur au projet. On l’a composé la nuit. Ce fut d’une évidence folle. Je n’ai pas cherché dix mille ans les paroles. Avec Tetsu, avec qui on l’a co-composé, une certaine maturité musicale s’est imposée naturellement. »
Une reprise d’Aline de Christophe et l’attachement à la chanson française
L’EP de Joe la panic inclut une reprise du classique Aline. « C’est une chanson qui m’a toujours touchée. Ma mère la déteste, elle la trouve « tarte à la crème », mais moi, je l’adore », raconte-t-elle en riant. C’est l’occasion pour elle de se rapprocher d’une tradition de la chanson française, tout en y apportant une touche moderne. « J’aime l’idée de mêler le passé et le présent, de rendre hommage à des chansons intemporelles tout en y apportant un regard neuf », explique-t-elle.
Un attachement à la française avec la voix de Barbara dans June. « Je cherchais vraiment un extrait qui pourrait apporter quelque chose de spécial et qui résonnerait avec moi. Et tout de suite, j’ai pensé à Barbara, forcément. Parce que… c’est Barbara. Je savais qu’elle dirait forcément quelque chose d’inspirant à un moment donné, même si je ne savais pas exactement ce que je recherchais. Alors, j’ai écouté plein d’interviews d’elle, à la quête de la phrase parfaite. Quand je l’ai trouvée, c’était exactement ce qu’il fallait, je n’aurais pas pu rêver mieux. Au départ, ce devait être une simple citation. Mais je savais que c’était ça ce que je voulais. À un moment, il manquait un deuxième couplet, que je devais écrire. J’ai senti qu’il fallait laisser parler Barbara. Sa voix, ses mots. Et en sélectionnant ce passage, on s’est rendu compte que ça élevait vraiment la chanson. Ça lui donne une dimension encore plus forte, plus fédératrice, même. Au final, c’est devenu mon moment préféré du morceau, et ce n’est même pas moi qui chante. C’est la citation, sa voix à elle. Ça me donne des frissons à chaque fois. »
La voix parlée de Joe apparaît comme une sorte de réponse musicale dans Des humeurs et la météo, un morceau qui nous emmène dans un ailleurs psychédélique. « Ce n’était pas prévu, parfois les choses se font toutes seules. À l’origine, ce texte parlé devait ouvrir Jour de pluie. »
Tendresse, avec ses huit titres, arrive sur un nouveau label Extension, créé par Paul Negre et Raphaël Bonafos, qui ont côtoyé les bancs de la Sorbonne, comme Joe. Adolescente, elle voulait aussi se lancer dans la médiation culturelle. Lors de ses études à La Sorbonne, où elle découvre les cosmogonies du monde entier — qu’elle trouve fascinantes mais peu utiles dans sa carrière actuelle — elle se rend compte qu’elle est plus attirée par la création musicale. « J’ai fait un bac littéraire, spécialité histoire des arts et musique », précise-t-elle, ce qui l’oriente naturellement vers une carrière artistique.
Entre déceptions et apprentissages : le difficile parcours musical
Joe raconte aussi ses débuts difficiles en école de musique. Elle s’inscrit dans une école privée où un professeur de guitare, frustré de sa propre carrière, lui impose une pression étouffante : « Ton projet, c’est bien, mais tu devrais mettre ta carrière sur pause pour faire tes cours de guitare correctement », lui dit-il un jour. Ces remarques dures la ramènent à une sensation d’enfance :« J’avais l’impression d’être une petite fille qu’on gronde », se souvient-elle. Cette expérience la dégoûte au point de délaisser sa guitare pendant plusieurs mois. Cependant, elle en retire malgré tout quelques apprentissages, même si ceux-ci viennent plus de sa propre persévérance que de l’enseignement reçu.
L’importance de la Sorbonne et la découverte de la scène
Lorsqu’elle participe au tremplin Sorbonne Live, Joe découvre le monde des tremplins artistiques et les débuts de la reconnaissance. « Ce tremplin, organisé par des étudiants, était incroyablement bien structuré, l’un des meilleurs que j’ai fait », souligne-t-elle. Elle apprécie l’atmosphère conviviale et bienveillante qui y règne, se sentant soutenue, et non jugée, à la différence d’autres tremplins fonctionnant sur un système de votes.
Son parcours l’amène également à être sélectionnée pour le dispositif Le FAIR, qui offre un accompagnement professionnel aux jeunes artistes. Joe y trouve un réel soutien. « On avait des accompagnements de coaching scénique, de chant, et même des formations réseaux sociaux. Pouvoir passer une après-midi avec une coach scénique, ça change tout », s’exclame-t-elle. Cette formation la transforme, notamment grâce à une résidence de deux jours au FGO-Barbara, haut lieu de musiques actuelles parisien. « Cette résidence, c’était un avant et un après pour moi », dit-elle, marquée par l’expérience de travailler dans un environnement aussi professionnel.
La sortie des projets : entre émotions et distance
La sortie d’un projet musical est un moment charnière pour Joe la panic. « Dès que je sors une chanson, la raison pour laquelle je l’ai écrite disparaît », confie-t-elle, expliquant que ses morceaux prennent souvent une autre dimension au fil du temps, influencée par les retours du public et ses propres ressentis. Elle admet aussi l’ambiguïté de devoir promouvoir des morceaux qui, émotionnellement, appartiennent déjà au passé : « Parfois, on me demande si je ressens encore la même chose qu’au moment de la création, mais la réalité, c’est qu’avec le temps, je me réapproprie ces chansons de façon différente », dit-elle, évoquant un rapport dynamique à ses créations.
Joe avance dans la musique avec une détermination qui lui est propre, oscillant entre puissance et vulnérabilité. Sa sensibilité transparaît dans chaque doute, dans cette peur du faux pas et cette quête de perfection qu’elle admet sans détour. C’est pourtant cette fragilité, cette sensibilité qui semblent être sa véritable force, celle qui s’allie si bien à son authenticité. En concert comme en studio, Joe semble chercher un équilibre entre rêve et réalité, portée par une intuition qui la pousse sans cesse à se dépasser, à se livrer.
Tendresse est disponible via Extension.
En concert à Paris (Nouveau Casino) le 4 décembre 2024.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture : Laura Bougeard