Craig David passe une journée à Paris dans les bureaux de Believe, son nouveau label. Toute la presse française – écrite, télé, radio – attend son tour pour échanger avec lui et évoquer son « retour ». Pourtant, Craig n’a jamais vraiment quitté la scène musicale depuis Rewind. En 2025, Born To Do It et Fill Me In fêteront leurs 25 ans. Il enchaîne donc les interviews à l’anglo-saxonne, chronométrées, mais reste disponible pour chacun. Un sourire, une énergie chaleureuse et ce tic de vous appeler « Brother », dès les premières minutes de l’entretien, où l’on parlera finalement beaucoup de chocolat.
« Je me souviens que j’achetais toujours du chocolat au marché local, avec une date de péremption proche, ce qui me permettait de l’obtenir à bon prix. Je glissais ces barres dans mon sac à dos et les revendais pendant ma pause. C’était une question d’offre et de demande : je proposais des Mars et des Snickers à 1 ou 1,50 £, et quand on me disait que c’était trop cher, je répondais : “Vous pouvez attendre jusqu’à l’heure du déjeuner, mais je les ai maintenant, alors que choisissez-vous ?” Cela m’a permis de gagner de l’argent. Si on devait appeler ça aujourd’hui, on dirait que j’étais un entrepreneur. À l’époque, cela m’a aussi donné une passion pour le chocolat. D’ailleurs, Charlie et la chocolaterie m’a inspiré à créer Born to Do It. Le chocolat fait partie de ma vie, et je crois que c’est à cause de l’effet qu’il a sur les gens. Quand on aime le chocolat, il ramène des souvenirs d’enfance. C’est ce que j’aime particulièrement : lorsqu’on devient adulte, le stress de la vie et du monde s’accumule dans nos têtes et nos corps. Mais dès qu’on mange un peu de chocolat, je vois ça dans les yeux des gens, ils brillent. Pensez-y. »
Aujourd’hui, son amour pour le chocolat prend une nouvelle dimension. En octobre 2024, Craig découvre le plaisir de le fabriquer lui-même. « Un rêve devenu réalité. J’ai beaucoup appris grâce à Monsieur Paul, un chocolatier passionné de Notting Hill, qui m’a raconté l’histoire des fèves de cacao. Créer mon propre chocolat, sain et savoureux, c’était magique. Pour quelqu’un qui parle sans cesse de chocolat, c’était génial de pouvoir dire enfin : « Attendez, voici un chocolat que j’ai fait moi-même, il est sain, avec les bons ingrédients, et il a vraiment bon goût. » Estampillé « Craig bar », voici un joli clin d’œil à son passé d’entrepreneur en culottes courtes.

TS5, le renouveau
TS5, c’est l’histoire d’un retour à l’essence même de sa carrière. Tout commence à Miami, « que j’avais découvert à l’âge de 20 ans lors d’une tournée promo pour Fill Me In » où Craig s’installe en 2010, après des années passées sous les projecteurs et sous le feux d’une image caricaturale d’un jeune hip hopeur décérébré et immature imposée par l’émission Bo’ Selecta sur Chanel 4 qui avaient eu raison de sa santé mentale. Il trouve refuge dans un appartement, Tower Suite 5, qui devient le théâtre de soirées musicales, baptisées TS5 où il renoue avec ses premières amours : le DJing et le partage musical, comme un retour de DJ Fade, son pseudo lorsqu’il avait 18 ans. L’initiative prend de l’ampleur et TS5 devient un véritable projet scénique. « Au début, les gens étaient sceptiques, ils ne comprenaient pas ce qu’était TS5. J’ai dû avancer par petites étapes, leur montrer qu’en fait, c’est du DJing, mais avec un côté performance, où je chante, je joue mes propres chansons et je les mixe avec celles des autres. Une fois qu’ils ont vu l’énergie, l’interaction, le mix entre mes titres et ceux des autres, tout a pris sens. Aujourd’hui, plus besoin d’expliquer : ils viennent, ils dansent, ils vivent l’expérience. Cela m’a appris beaucoup de choses. Récupérer cette vibe de house party a été une des meilleures décisions de ma vie. Ça m’a donné un nouveau souffle et un nouveau point d’entrée pour revenir sur scène. »
Les Parisiens ont pu goûter à cette fusion en octobre dernier au Bataclan. Une expérience qu’il prolonge chaque été, depuis 2019, avec des résidences à l’Ibiza Rock Hotel. « J’aime l’énergie de cette île, bien au-delà des clichés de fête non-stop. Ma première fois à Ibiza, c’était à 13 ans, en vacances avec ma mère. Ce fut une expérience complétement différente de l’Ile. J’aime son énergie. Aujourd’hui, j’y ressens une connexion forte. Pourquoi ne pas m’y installer dans un avenir proche ? »
Les rencontres, moteur de sa créativité, où tout est question d’énergie
Les rencontres ont toujours été le fil rouge de sa carrière. Celle avec Mark Hill, du duo Artful Dodger, a marqué un tournant. « Rewind était partout. On créait sans se poser de questions, tout coulait de source. »
Craig a toujours cru que les meilleures collaborations naissent d’une alchimie naturelle. « Quand on est en studio avec quelqu’un qui partage la même passion, il y a cette connexion instinctive, presque magique. Avec Mark Hill, c’était exactement ça. On n’avait pas besoin de parler, la musique guidait tout. Mais parfois, même quand tout fonctionne, une nouvelle énergie nous pousse ailleurs. Il faut savoir suivre ces vibrations. C’est ce qui vous permet de rester pertinent. Si je travaille avec un jeune producteur de 18 ans qui me connaît peut-être grâce à son grand frère ou sa grande sœur, que j’entre en studio et qu’il joue quelques accords ou une chanson, un instrumental, et que je chante, je sais que lorsque je donne ma voix, je leur donne tout. Un jour Sting, (avec lequel Craig a enregistré Rise & Fall, NDLA) m’a dit une phrase qui m’a marqué : “La clé, c’est d’évoluer sans perdre ton essence”. »
Ce même instinct l’a guidé à Miami, mais l’expérience n’a pas été que lumineuse. Son désir de disposer d’un corps à la hauteur de ses désirs le pousse dans ses derniers retranchements : perte de poids, mal de dos récurrents. Ce chemin vers lui-même, il l’a couché dans son livre What’s Your Vibe ? (Epury Press), non publié en France. « J’ai toujours eu l’impression que, dès qu’on ressent ce qu’il faut ressentir, ça nous fait réfléchir à notre manière d’aborder les choses. Quand tu ressens vraiment la vie, qu’elle soit bonne, mauvaise ou indifférente, tu as une vision différente du monde. C’est pour ça que je sais qu’il y a un lien entre la vie et la mort. C’est aussi pour ça que, quand je parle de mes problèmes de dos, je sais que tout le monde qui a souffert de douleurs similaires pourra comprendre. J’ai une nouvelle forme d’empathie. Avant, si quelqu’un me disait qu’il avait des problèmes de dos, je ne comprenais pas vraiment. Maintenant, je pense différemment. Je suis là, je peux ressentir cette douleur. Ce n’est pas juste une douleur que tu ne peux pas vraiment décrire, c’est une sensation qui touche ta base, ta fondation. Et ça peut bouleverser toute ta vie. Toute l’histoire, c’est de passer par des épreuves, peu importe lesquelles, pour en arriver à un point où tu peux enfin parler de tes douleurs, de tes indifférences. Je pense que ce sont des choses auxquelles nous pouvons tous nous identifier.
Les réussites sont toujours célébrées, mais personne ne veut vraiment parler des moments de vulnérabilité, de ceux où on n’a pas de limites, où on essaie de plaire aux autres, où l’on souffre, où l’on traverse des périodes de dépression ou des problèmes mentaux. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est le moment d’aborder ces sujets, et c’est pour ça que ce livre a été si cathartique pour moi. En parler, c’était comme un exutoire pour toutes ces choses que je portais, avec l’espoir qu’une seule personne, comme vous, puisse dire : “Wow, je m’identifie à ça, je compatis à ce que vous ressentez”. Je pense que c’est vraiment ça l’essentiel.
La musique, c’est pour connecter les gens, et j’adore faire de la musique, mais à un moment donné, que vas-tu faire avec cette plateforme ? Maintenant que tu es à ce niveau, il faut dire quelque chose qui ait un véritable impact. Sinon, pourquoi se soucier encore de se retrouver numéro un, du nombre de personnes qui viennent à ton spectacle ou du nombre de disques vendus ? C’est une question qui n’a plus vraiment de sens. »

2025, retour au vrai live
2025 marque un nouveau chapitre : le retour aux tournées avec un full band, après plusieurs dates aux USA. « On commence par des arénas au Royaume-Uni, puis on enchaînera en Europe. » En parallèle, il prépare un nouvel album, Commitment 2, dont sont extrait In Your Hands morceau aux accents country, et SOS mêlant des sonorités R&B et soul, un titre qu’il présente comme « ce moment où l’on se sent vulnérable, mais prêt et ouvert à prendre un risque, un acte de foi pour faire savoir à quelqu’un que vous êtes enfin prêt à laisser entrer l’amour, aussi effrayant que cela puisse paraître. Le nom de la tournée Commitment résume tout : mon engagement à créer une musique sincère et à donner le meilleur de moi-même sur scène. »
Et avant de se quitter, un dernier mot : « En guise de conclusion, pour en revenir au chocolat, je tiens à te remercier d’être enjoué, de ne pas tout prendre au sérieux. J’ai vu assez de choses dans la vie pour savoir à quel point elle peut être éphémère. Alors gérons les choses comme elles viennent, restons enjoués, Brother. Allons respirer l’air frais et profiter du soleil tant qu’on le peut, parce que la vie continuera avec ou sans nous. On peut choisir de stresser et de se laisser envahir par l’anxiété, ou bien prendre du recul et se dire : “D’accord, concentrons-nous d’abord sur ce qui est vraiment important. Le reste peut attendre”. Trop souvent, on essaye de jongler avec une liste interminable de choses à faire, et c’est là qu’on s’embrouille. Lâchons prise sur cette pression inutile, avançons étape par étape et gardons en tête que l’essentiel, c’est d’être bien avec soi-même et de profiter du moment présent. »
In Your Hands et SOS sont disponibles via Craig David/Believe UK. En tournée au Royaume Uni en février 2025.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Photo de couverture Believe UK