Par un beau matin d’août, nous avions rendez-vous avec Pearl & The Oysters, le duo franco-américain formé par Juliette Pearl Davis et Joachim Polack, de passage à Paris. Avec quatre albums au compteur, leur musique est une alliance unique de pop psychédélique, de jazz et d’électronique. Après avoir quitté la Floride pour la Californie, un voyage capturé dans leur avant-dernier album Coast 2 Coast, ils nous invitent désormais à explorer leur nouvel univers avec Planet Pearl.
« C’est notre album le plus sincère et personnel. Il y avait tant de raisons de l’appeler Planet Pearl, mais surtout parce qu’on a enfin l’impression d’être arrivés quelque part, artistiquement et esthétiquement », confie Joachim. « C’est aussi notre album le plus introspectif. Nous sommes vraiment sur notre propre planète, et nous l’explorons », ajoute Juliette.
Ce premier album sans reprise symbolise, sans nul doute, une affirmation de leur identité musicale. C’est du 100% de Pearl & The Oysters, moins marqué géographiquement que Coast 2 Coast. « On est un peu étrangers partout, d’ailleurs. Ce nouvel album est aussi une manière de dire ce qu’on sent sur nous. On raconte notre expérience. Le groupe devient son propre territoire et au final, c’est comme ça qu’on arrive le mieux à s’exprimer et à faire notre art » explique Joaquim. Un sentiment d’avoir atteint une destination artistique se retrouve d’ailleurs dans la maîtrise du propos et la cohérence esthétique de l’album, un album apaisé.
Que les fans se rassurent, cette maturité n’altère en rien l’essence du duo, qui a toujours préféré rester en retrait physiquement, laissant leur musique évoluer dans un univers non incarné. Cette démarche, brouillant les pistes sur leur identité, leur permet de se concentrer pleinement sur la création musicale plutôt que sur leur image publique. Cela se reflète d’ailleurs dans leurs pochettes d’albums, où le réalisme est délibérément évité, favorisant un certain anonymat. « On voulait que la musique vive dans un monde uniquement animé, dessiné », explique Juliette. « Concevoir le projet comme quelque chose de polymorphe était plus intéressant. C’est pourquoi Pearl & The Oysters est pluriel. Le fait de ne pas apparaître physiquement sur nos albums met la musique au centre. De plus, un certain anonymat m’a toujours plu personnellement. Et je trouve que découvrir un disque qui ne met pas au centre les personnes derrière la musique, m’a toujours intrigué. D’ailleurs, mes pochettes préférées, ne représentent pas les artistes derrière la musique », ajoute Joachim. Même si de plus en plus, ils se mettent en avant et partage leur histoire.
Cette constance dans l’image s’accompagne cependant d’une nouvelle approche de travail. « C’est la première fois que nous avons pu enregistrer la plupart des morceaux ensemble, en studio, avec les rythmiques, les basses, la batterie et le clavier capturés en direct. Cette fois, nous sommes beaucoup plus stables. Nous avons un nouveau label, et c’est notre deuxième album avec eux. Nous avons vraiment pu faire des sessions en studio, à l’ancienne », explique Juliette. « Quatre, cinq personnes dans un studio, enregistrant en live. Nous avons construit les morceaux sur cette base, ce qui était une première pour nous de le faire aussi systématiquement. Nous avons même enregistré un titre sur bande. Tout le reste est en numérique, mais avec du matériel très analogique. Et bien que cela puisse sembler étrange de parler d’organique à propos de synthés, certains synthés le sont plus que d’autres », ajoute Joachim. Les synthés vintage, passion de Joachim, dénichés en grande partie sur Craigslist, sont bien sûr présents sur Planet Pearl. Les voix, comme auparavant, ont toutes été enregistrées à la maison. « Pour des raisons pratiques », précise Joachim. « Enregistrer les voix dans un studio, isolé dans une petite cabine avec trois personnes dans la salle de contrôle qui vous entendent seulement via le talk-back me stresse et me met mal à l’aise », confie Juliette.
Pearl & The Oysters revendiquent leurs influences et s’inscrivent dans la continuité de l’histoire musicale, un héritage enrichi par leur formation en musicologie. Joaquim explique : « Dans un livre de Simon Reynolds, le critique anglais, il est mentionné qu’une partie de la musique des années 90 et 2000, comme Cornelius ou Stereolab, était très référentielle, alors qu’auparavant, les groupes évoquaient plutôt des influences venant de la peinture ou du cinéma. Nous nous inscrivons dans une mouvance de groupes qui revendiquent une trajectoire musicale clairement ancrée dans les références du passé. Étant des passionnés de musique, il est naturel que notre musique reflète cette démarche ».
Parmi leurs références majeures, on trouve le musicien, chanteur et producteur japonais Harry Hosono. « Electric Light Orchestra est aussi une influence importante, Out of the Blue a inspiré Planet Pearl », confie Juliette. Joachim ajoute : « Cette fois, on s’est permis de plonger davantage dans le jazz classique, mais aussi dans la musique brésilienne. Marcos Valle, Antonio Carlos Jobim… » Marcos Valle, que Juliette a eu la chance d’applaudir deux fois, notamment au New Morning, où il joue souvent à guichets fermés. « Je suis passée l’après-midi juste pour espérer trouver des billets de dernière minute. Personne ne m’a vraiment remarquée, je me suis assise pendant qu’ils faisaient les balances, et je suis restée. C’était absolument magique. J’étais pleine de bonnes intentions, prête à acheter mon billet. Voir sa personnalité de près, c’était incroyable. Il est tellement talentueux, c’est une grande influence pour nous. On écoute sa musique depuis le lycée », raconte Juliette. La musique brésilienne est devenue une véritable passion pour Joachim : « Je ne peux pas vraiment l’expliquer. Un jour, j’ai plongé dedans et ça m’a immédiatement parlé. Peut-être parce que je travaillais beaucoup sur l’harmonie et que j’étudiais la composition et le jazz. La richesse harmonique de cette musique est très sophistiquée, ça résonnait profondément en moi. À force d’écouter de la musique des années 60, en passant par le rock, l’Easy Listening et le Lounge, j’ai découvert la bossa. J’ai compris que ce n’était pas juste un gimmick, mais quelque chose de véritablement magnifique, venant d’un ailleurs esthétique ».
Au-delà du Brésil, Planet Pearl entre parfaitement en résonance avec les albums de The Bird and The Bee, le duo américain formé par Greg Kurstin et Inara George. Joaquim confie : « C’est une influence majeure pour nous, depuis le début, d’ailleurs. On l’entend peut-être plus clairement maintenant, car il y a un effort de production sur ce disque qui est un peu plus moderne. Greg Kurstin est un génie de la production, même si je ne suis pas encore à ce niveau. C’est très inspirant ». Juliette ajoute : « Récemment, il y a eu un grand moment, un sentiment d’accomplissement quand Inara George nous a suivis sur Instagram. Moi, je suis hyper, hyper fan ». Joaquim conclut : « Leur capacité à créer une musique aussi riche avec une production moderne et raffinée est vraiment impressionnante. Peu de groupes y parviennent aussi bien. La production est donc un aspect essentiel pour nous ». Production complètement assurée par Joaquim à l’exception de trois titres qu’il a coproduit avec son cousin, Teo Halm (Rosalia, Beyonce, Omar Appolo, SZA). Joaquim raconte : « Travailler avec mon cousin, qui est aussi producteur, et qui évolue dans un univers de Top 40 à la Greg Kurstin, a été très enrichissant. Il apporte des idées et des réflexes de production très différents des miens, ce qui se ressent, je pense, dans les morceaux ».
Sur Planet Pearl, un interlude se glisse parmi les treize titres, une signature du duo présente sur presque tous leurs albums. Joachim explique : « On aime les interludes très synthétiques, brutistes. Même si c’est le seul sur cet album, on essaie d’en intégrer un dans chaque disque depuis nos débuts. C’est une part importante de notre composition et de notre plaisir à bricoler des sons. À l’université, en cours de musicologie, on a suivi des cours sur l’histoire de la lutherie électronique au XXe siècle avec Marc Battier. On a découvert des œuvres qui allaient de Darmstadt à des choses plus légères, presque comiques, comme celles de Jean-Jacques Perrey. L’électronique permet ce jeu d’expérimentation sans prétention, un entre-deux qui nous fascine. La musique électronique a évidemment beaucoup évolué, devenant un support pour la danse ou l’ambiance. Mais il reste ce potentiel pour créer des morceaux ludiques, étranges, un peu bancals, qui nous parle profondément. Ces vieux disques expérimentaux, sans être trop élitistes, nous inspirent ». Juliette ajoute : « Pour nous, il est essentiel d’intégrer des interludes musicaux, de laisser parfois le synthétiseur s’exprimer. Dans cet album, c’était une improvisation enregistrée dans un studio de synthétiseurs ». Joachim poursuit : « On a assemblé des boîtes à rythmes, enregistrées ici et là, pour en faire un collage. J’ai même ralenti une boucle pour l’accorder avec une autre, car elles fonctionnaient bien ensemble. Cette jam électronique a été réalisée dans un studio près de chez nous, le Vintage Synth Museum, qui est en fait un studio de synthétiseurs qu’on peut louer à l’heure. Depuis qu’on a découvert cet endroit, il fait partie intégrante de notre processus créatif. À la fin de chaque projet, on y passe une journée pour capturer des sons étranges que nous réutilisons ensuite. D’ailleurs, Lance, le propriétaire, a récemment déménagé son studio à Los Angeles, tout près de chez nous. On l’avait rencontré à Oakland, où il était installé avant. Maintenant, c’est devenu un incontournable de notre méthode de travail ».
Une tournée aux États-Unis se prépare, avec quatorze dates en compagnie de Ginger Root, qui a récemment sorti deux EPs cet été. Joaquim remarque : « C’est vraiment un maître du marketing. Ses clips pour son nouvel album sont tout simplement incroyables ». Juliette poursuit : « C’est amusant, car son manager est aussi devenu le nôtre. Ils font partie de la même équipe de gestion. En cherchant quelqu’un pour réaliser nos vidéos, il nous a recommandé David Gutel, le collaborateur de longue date de Ginger Root. Nous avons déjà tourné deux vidéos avec lui, et c’est drôle de travailler avec l’équipe derrière tous ces clips. C’est un plaisir, en plus de la musique, de travailler sur les vidéos, l’image, et de rencontrer des équipes de tournage. À Los Angeles, c’est presque un rêve devenu réalité, entourés de gens incroyablement professionnels, créatifs et tellement agréables ».
Rien n’aurait été possible sans la signature avec Stone Throw, leur nouveau label. Joaquim explique : « Notre ancien label, Feeltrip Records, nous a beaucoup appris sur la façon de sortir de la musique. Ce sont des labels passionnés, qui nous ont aidés à lancer nos premiers projets, mais avec peu de moyens pour le développement. C’était une première expérience fantastique, j’y ai énormément appris. Ils nous ont aussi donné l’élan pour viser plus haut. En réalité, on adore Stone Throw depuis très longtemps. On a constaté que l’équipe s’est élargie depuis la signature avec eux. On a davantage de gens autour de nous qui travaillent pour nous et qui font du développement. C’est super agréable ». Juliette ajoute : « Quand je vivais encore à Paris, j’écoutais beaucoup de disques de Stone Throw, notamment Mayer Hawthorne, que j’adore ». Joaquim continue : « Il y a eu deux moments décisifs. Le premier, c’était en Floride, où nous avons rapidement rencontré Alex (Alexander Brettin, NDLA) de Mild High Club après avoir fait leur première partie à Orlando. Puis, il y a eu Jerry Paper et d’autres groupes que j’aimais énormément ». Juliette partage : « Moi aussi, j’ai adoré cette rencontre. Découvrir vraiment cette mouvance musicale a tout changé pour nous ». Joaquim conclut : « On ressentait une forte affinité esthétique avec eux. Ils nous ont emmenés en tournée, et c’est là qu’on a réalisé qu’on pouvait remplir des salles tout en jouant une musique fortement influencée par le jazz, qui est très important pour nous. Cette expérience a ravivé une ambition plus grande en nous, rendant cette rencontre vraiment marquante. Avec Stone Throw, on s’est dit : “C’est un label qui peut miser sur un groupe comme le nôtre, puisqu’ils le font déjà avec eux”. Ce qui est amusant, c’est que j’ai fini par jouer du clavier pour ces deux groupes en tournée — un peu par hasard pour Jerry Paper, mais avec Mild High Club, j’ai tourné pendant un an et demi, voire deux ans ».
Pour l’instant, aucune tournée en France n’est prévue, bien que le duo ait participé à deux festivals cet été, probablement grâce à leur performance à Eurosonic en début d’année. Malgré un créneau et un lieu peu avantageux, Joaquim note : « On sent qu’il y a un peu plus d’engouement ».
Nous concluons cette discussion sur l’évolution de la musique. « La production musicale est devenue plus solitaire, souvent réduite à une personne avec son ordinateur. C’est bien, l’expression compte avant tout. Mais pour moi, jouer en groupe a été essentiel, même si on jouait mal au début. C’est ce que je souhaite aux jeunes, mais je remarque que c’est moins vivant aujourd’hui, même à Gainesville (leur ancien domicile en Floride, NDLA), où on peut le constater chaque fois qu’on y retourne. Ce qui nous avait séduits en Floride, c’est cette culture de la jam. Là-bas, tout le monde vit dans des maisons avec de l’espace pour jouer, et tant que ce n’est pas la nuit, ça ne dérange personne. À Paris, on ne peut même pas jouer du piano après 19h. Juliette et moi avons grandi dans des appartements comme ça. En Floride, il y avait cette liberté de jouer ensemble, de tourner entre les instruments, ce qui rendait les musiciens plus polyvalents. Ça nous a beaucoup touchés », nous dit Joaquim. « Je ressens la même tendance à Paris, où c’est encore plus compliqué de jouer en groupe. Les gens doivent louer des studios, réserver des heures… », complète Juliette.
Mais en musique, rien n’est jamais figé. Joaquim conclut: « Ça va encore bouger. Le rock est revenu après la house, alors qu’on ne s’y attendait pas. Tout est cyclique. Ce que je dis est peut-être déjà un peu dépassé, car aux États-Unis, les jeunes commencent à reformer des groupes de rock. C’est moins solitaire qu’il y a trois ou quatre ans, et tant mieux. En tant que musicien ayant grandi dans des groupes, c’est ce que je souhaite aux autres. Ça a façonné le musicien que je suis, mais je sais qu’il existe de nombreuses voies vers l’épanouissement artistique. C’est un film ».
Il est des rencontres qui pourraient durer des heures, Pearl & The Oysters en fait partie. Il est clair que le groupe évolue dans un univers singulier, où chaque note est un écho de leur parcours riche et multiple. Leur musique, nourrie de rencontres, d’influences variées et d’expérimentations, s’épanouit dans une liberté créative, guidée par une quête d’authenticité. Planet Pearl n’est pas seulement une destination atteinte, mais sans doute un nouveau point de départ.
Planet Pearl est disponible via Stone Throw.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Ross-Harris