Last Train, lendemain de la release, bureaux de leur label Pias. Entretien.
Il est des albums qui marquent un tournant, qui sonnent comme une déclaration d’intention. Pour Last Train, III est de ceux-là. Un disque à la fois dense et instinctif, pensé avant tout pour la scène autant que pour une nouveau process en studio. Un disque qui s’inscrit dans la continuité d’un parcours fait d’indépendance et d’expérimentations.
Une release pleine de surprises
Antoine : On s’était dit qu’il fallait qu’on fasse un peu concert. Et ensuite, très vite, tu… À la base, on devait jouer une demi-heure, au final, on a joué 50 minutes. En fait, il y a des titres où à chaque fois, on se disait…
Timothée : Il y a des immanquables… Et il y a The Big Picture qui nous met un quart d’heure dans les dents et qui est immanquable !
Antoine : Pour finir, on n’a joué que trois titres du dernier album.
Les Last Train délivreront un set nettement plus apaisé que celui de leur quadruple sold-out Boule Noir. Un parfait échauffement pour la tournée qui s’annonce pléthorique.
Julien: Ça sera notre début de set, sans doute, sur la tournée. Et après, on a un peu cassé deux ou trois trucs. On a taillé dans le ventre mou du set.
Un set qui a ravi l’ensemble des fans et professionnels présents au Nouveau Casino avec en apothéose après un compte à rebours, une vidéo réalisée par Julien Peultier retraçant l’aventure du quatuor depuis l’enfance.

Un processus de création hybride
Julien : Avant, on composait un album, puis on le pensait pour la scène. Là, on savait qu’on l’amènerait sur scène, mais aussi qu’on le travaillerait en studio.
Antoine : OMPS (Original Motion Picture Soundtrack, leur album symphonique, NDLA), a nourri III. On a enregistré séparément pour la première fois, ce qui a laissé plus de place à la production. Avant, on jouait ensemble, mais en mixage, c’était un enfer. Changer un son de guitare impactait les cymbales… Là, on a évité ces pièges. Ca m’a permis de changer de batterie. Là, on avait la Hasba et aussi mon ancienne Ludwig. C’est les mêmes kits que j’ai en live. Au final, c’est ça qui est assez cool. Autant, on s’amuse à tenter des trucs de sons, pour finalement, revenir sur notre matos.
Timothée : Moi, j’ai toujours enregistré sur un Ampeg B15 Portaflex, je ne suis pas toujours très fan quand je joue avec. Mais après, une fois enregistré, si ça sonne… On avait amené deux ou trois autres amplis pour essayer. Il n’y a rien qui rendait aussi bien que le classique. C’est drôle, on ne voulait pas répéter le même disque, et on a juste trouvé de nouveaux problèmes à résoudre !
Un album enregistré dans une vieille demeure appartenant à la famille de Rémi Gettliffe pendant trois semaines et demi.
Antoine : Avec The Big Picture, on avait dix jours, mais entre l’installation, le démontage, et les moments de stress, il ne restait que quelques jours efficaces. Le début était stressant, puis au fur et à mesure, on se détendait, mais souvent ça devenait n’importe quoi. À la fin, il restait toujours deux jours pour tout rattraper.
Timothée : On ne voulait pas reprendre le même process. Et ce changement est positif. Ce n’était pas évident, cela nous a créé des nouveaux problèmes.

Un tracklisting en mouvement stationnaire
Le choix des morceaux et leur ordre sur l’album est toujours un vrai casse-tête.
Antoine : On avait tout écrit sur une feuille dans la cuisine. On voulait un 10 titres, mais il y avait des arbitrages à faire.
Au final, III n’en comporte que neuf.
Timothée : Ça me fait un peu chier (rires). C’est un truc de construction, juste une histoire visuelle. Je trouve que dix, c’est plus joli que neuf. Après, en termes de durée, on est plus long qu’un Fontaine DC, qui a douze titres, mais au final, ça fait trente minutes.
Antoine : Le début avec Home et The Plan n’est pas si révolutionnaire. C’est un truc qu’on a même dans nos sets en général, on essaie d’avoir deux morceaux qui vont vite. En fait, c’est un peu un truc normal.
Ce qui change est que ces deux titres sont les deux premiers singles.
Timothée : Le but, c’est de raconter une histoire. Home en ouverture, c’était symbolique.
Une esthétique soignée
Chez Last Train, l’image occupe une place essentielle, et c’est Julien qui pilote la réalisation des clips depuis longtemps. « Il y en a deux ou trois que je n’ai pas faites, comme Weathering, admet-il. » Timothée s’amuse : « Et elles sont nulles ! » (rires). Ce travail sur l’image, Julien l’a particulièrement soigné sur Home : « C’était le retour du groupe, après OMPS, où Jean-Noël avait pris le lead. On voulait marquer cette transition, et ce plan serré sur son œil symbolisait bien ça. Techniquement, il était très difficile à réaliser, mais il donnait tout son sens au clip ».
L’idée de la lumière et des couleurs a aussi été longuement discutée : « On voulait un contraste entre l’obscurité du début et une montée vers quelque chose de plus lumineux, raconte Julien. Au départ, on pensait ramener beaucoup de rouge dans cet album, mais on l’a finalement distillé par touches ». Timothée confirme : « Il y a quelques touches de rouge dans le vinyle, dans la charte graphique. L’identité visuelle va évoluer sur les deux années d’exploitation de l’album ». Jean-Noël explique ce choix d’esthétique : « On voulait un album froid, tendu. Le bleu sale, le bleu-vert, c’était parfait pour ça. Ce bleu un peu malade, on l’a adopté comme notre couleur. J’ai toujours aimé ce genre d’univers, ces personnages un peu à la Edward aux mains d’argent, ou ceux qui ont ce côté vampirique. Et puis, on n’est vraiment pas des gens du soleil, on est plus dans le froid. Ça se ressent dans notre musique, c’est sûr, et je pense que ça colle parfaitement à cette ambiance ».
Une totale indépendance dans l’union
Si Last Train a su garder son indépendance, c’est aussi grâce à un entourage bien choisi. La famille est là depuis le début : Rémi Gettliffe, Florent Chastres, Romain Piquerez, Marie Britsch. « On bosse avec des gens qui comprennent notre projet et respectent notre façon de travailler », explique Jean-Noël. « Sinon, ils ne seraient pas là. On a trouvé notre équilibre avec PIAS. On n’a jamais été aussi indépendants tout en bénéficiant d’un entourage compétent. »
Timothée : On a un super nouvel entourage que ce soit tour, édition ou label, ce ne sont que de gentilles personnes, qui comprennent bien notre projet, notre façon de travailler et qui respectent l’indépendance.
Jean Noël : On se rend compte qu’à chaque fois, on a essayé de créer des systèmes un peu différents autour de nous, mais on n’a jamais eu la même structure ni les mêmes partenaires. Pourtant, je crois qu’on est arrivé à quelque chose qui nous ressemble vraiment. On est maîtres de tout, de nos décisions artistiques, financières et des investissements, ce qui nous donne une liberté immense. J’ai vraiment l’impression qu’on a jamais été aussi peu dépendants des autres dans cette configuration. Et pourtant, c’est aussi la première fois qu’on a un entourage aussi solide et avec qui on adore travailler. On bénéficie aussi d’une expertise qu’on n’a jamais eue, comme maintenant. Chez Pias, c’est génial, comme le dit Tim, notre équipe est vraiment top. Et puis, on a de nouveaux agents avec qui ça se passe super bien. Bref, on est vraiment chanceux.
L’arrivée de Live Nation sur la production de leurs concerts a aussi été un choix stratégique : « Tout le monde nous disait qu’on allait se faire bouffer », poursuit Jean-Noël. « Mais en réalité, c’est nous qui investissons, donc on garde la main. Et eux le savent. Ils nous ont même dit qu’ils ne faisaient pas Last Train pour l’argent. Pour une fois, on veut bien les croire. »
L’expansion internationale
Last Train ne cache pas son ambition de jouer à l’international. L’Angleterre et l’Allemagne sont dans leur ligne de mire. « L’Angleterre, on l’a toujours eue en tête », raconte Antoine. « Mais il faut y aller au bon moment. Jouer devant trois lycéens un dimanche soir à Birmingham, on l’a déjà fait. On revient d’avoir une tournée en première partie de The Luka State avec quasiment que des sold-out. Tu ne peux pas refuser une offre comme ça même si ça reste les conditions anglaises : pas de bouffe, pas d’hôtel, tu te démerdes. Si tu attends toujours des meilleures options évidemment tu fais rien et donc ça nous faisait super plaisir. »
L’Allemagne est aussi un terrain à conquérir : « On bosse déjà sur la tournée suivante, et c’est aussi la première fois qu’on a de la promo là-bas, tu vois. De toute façon, je pense que ça montre bien qu’on essaie de concrétiser ce rêve qu’Antoine mentionnait, celui qu’on a depuis toujours : tourner à l’international. Le problème, c’est que c’est compliqué, surtout pour un groupe de rock français qui chante en anglais. Et avec tout le confort qu’on a ici en France, c’est vrai qu’il faut vraiment le vouloir pour partir à l’étranger. Mais nous, on le veut, et on a encore l’énergie pour le faire. Ce qui se passe actuellement, notamment grâce à l’entourage dont on parlait tout à l’heure, montre que l’on est vraiment en train de réussir. On est super content que ça porte ses fruits », explique Jean-Noël.
Et après ? Les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique…

Un nouveau chapitre
Last Train semble atteindre une forme d’apogée avec III, album d’une profondeur sonore rare. Entre silences et intensité pure.
Jean Noël : C’est un compliment, merci. En fin de compte, ça fait un moment qu’on se connaît, mais il faut admettre qu’il y a encore cette énergie, cette fraîcheur qui ressort, un peu cette énergie brute du début. Ça nous a vraiment fait plaisir, parce que généralement, plus un artiste avance dans sa discographie, moins l’énergie est au rendez-vous.
Antoine : Je pense que cet album nous a permis de nous affranchir de pas mal de choses et de nous sentir plus légitimes. On s’est permis de faire des choix plus audacieux, d’assumer certaines décisions sans trop se poser de questions. Je me souviens, par exemple, quand on a ajouté du Wurlitzer au début de House On The Moon sur Weathering on se disait que c’était un pari un peu fou. Et maintenant, sur III, c’est naturel. Oui, évidemment, c’est un synthé, mais en fait, ça sert la chanson et ça a même ouvert de nouvelles possibilités. C’est excitant pour nous. Cet album nous a vraiment permis d’explorer ça. C’est marrant, parce qu’il sort seulement maintenant, mais moi, personnellement, j’ai déjà hâte de voir ce qu’on va faire ensuite.
Avec III, Last Train prouve qu’il est loin d’avoir tout dit. Entre l’exigence du studio et l’énergie du live, le groupe trouve un équilibre rare, tout en restant fidèle à son indépendance. Loin de s’enfermer dans une formule, il avance, teste, s’affranchit des contraintes qu’il s’était lui-même imposées.
Si cet album marque une étape, il est surtout la promesse d’une suite encore plus libre et inspirée. Car si Last Train aime regarder en arrière, c’est toujours pour mieux se projeter vers l’avant.
III est disponible via Last Train Productions/Pias. En tournée européenne à partir du 28 février 2025, Hellfest le 20 juin et à Rock en Seine le 24 août.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Rémi Gettliffe