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Avec Girl Violence, King Princess explore les complexités émotionnelles et spirituelles des relations queer, entre chaos, désir et libération.

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Multi-instrumentiste et auteure-compositrice, King Princess (de son vrai nom Mikaela Straus) transforme ses expériences personnelles et celles de sa communauté queer en chansons puissantes et poétiques. Son univers musical est un mélange de chaos, de sensualité et de vulnérabilité, chaque morceau devenant un reflet de ses désirs et de ses colères. Avec Girl Violence, son troisième album, elle explore les tensions entre amour, amitié et rivalités féminines, sans filtre ni compromis. À l’occasion de la sortie de l’album ce 12 septembre, elle se confie dans une interview exclusive sur sa création et ses inspirations.

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King Princess (Mikaela Straus), ©Conor Cunningham

 

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Girl Violence

 

Ton troisième album studio, Girl Violence, est sorti le 12 septembre, et tu l’as décrit comme l’album que tu étais destinée à créer. Peux-tu expliquer pourquoi c’était le bon moment pour concevoir et présenter ce disque au monde ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu de moment plus pertinent pour Girl Violence (rires). En tant que personne queer, c’est quelque chose que je ressens profondément – à travers ma communauté, mes propres expériences et relations, mais aussi en observant mes ami·es traverser l’amour, la perte, l’amitié et le chaos. J’ai commencé à réaliser que cette idée de “girl violence” est comme omniprésente… Dans le monde actuel, tout semble dominé par la violence, la colère et une énergie très masculine – ce que nous faisons, c’est tout l’inverse. C’est subliminal, c’est chaotique, c’est mental et c’est tellement profondément ancré dans notre façon, en tant que personnes queer, d’être tellement excité·es par la tristesse et par la dévastation… Donc, je me suis dit : « j’écris sur la « girl violence » depuis que j’ai commencé à écrire de la musique quand j’étais gosse, et maintenant je suis juste en train de lui donner un nom ».

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Tu as décrit cet album comme émotionnel, spirituel et chaotique. Qu’as‑tu découvert sur toi-même en écrivant depuis cet espace de rupture ? Y a‑t‑il eu un passage ou un moment particulier dans l’album qui t’a semblé trop brut ou honnête, au point de te faire hésiter à le sortir ?

Je pense aux paroles « Nobody mentioned that girls can be violent and I hate it but I kind of like it », et vraiment, c’est le nœud de tout ça, la juxtaposition entre ce truc – de « oh mon dieu » la découverte de la « girl violence » et de « putain je déteste ça mais honnêtement c’est un peu sexy » et je pense que ça a un peu posé le fond pour l’ensemble des chansons. Je n’ai pas eu beaucoup de co-auteurs pour les textes de ce disque, je pense juste que j’étais un peu sur quelque chose et je me suis laissé dire tout ce qu’il fallait dire et ce qui me venait en tête… J’ai toujours senti que chaque chanson était ponctuée et que je voulais vraiment faire passer mes pensées complètes, en paix, dans chaque chanson. Et en réécoutant, je me dis : « ouais, je l’ai fait ».

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Girl Violence explore les conflits émotionnels et spirituels nuancés qui peuvent se produire entre les femmes. Pourquoi as‑tu ressenti qu’il était important d’aborder ce sujet ?

C’était important parce que c’est ma vie… Je ne vis pas dans une communauté où je suis constamment en train d’interagir négativement avec des hommes, ce n’est pas comme ça que je roule. Mon chaos, mon trouble et mon chagrin tourne autour des femmes. Et pas seulement les femmes cisgenres, toutes les femmes. Girl Violence n’est pas exclusive aux femmes cis, c’est toutes les femmes et je pense que pour moi c’est ça mon chaos. Quand mes amies m’appellent et me disent « tu as entendu parler de… » et que je reçois tout le drama, et je suis genre « oh mon dieu, on s’inflige toutes de la douleur et du chaos les unes aux autres » et je me suis dit : « c’est plus grand que moi, je n’ai qu’une perspective dessus ». Mais ce que j’aime, c’est que quand je fais écouter ces chansons à mes ami·es et à ma communauté et ils disent : « ça me rappelle cette situation que j’ai eue » ou « ça me rappelle… » C’est un point d’entrée dans une discussion plus large. Pourquoi, en tant que personnes queer, nous sommes si beaux et bordéliques et frénétiques.

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Une exploration de l’intime

 

Comment l’exploration de ces complexités t’a‑t‑elle aidée à mieux comprendre tes propres relations, et y a‑t‑il eu un moment ou une trahison spécifique qui a déclenché cette exploration ?

ll n’y a rien de spécifique. C’était comme si ce disque était chronologique par rapport à ce qui se passait. Il a été écrit en quelque sorte dans l’ordre : quand tu l’écoutes, tu écoutes l’histoire de mes diverses formes de chagrin qui se sont produites ces dernières années, parce que ce n’est pas juste à propos de relations amoureuses, il y a des chansons d’amitié, il y a des chansons sur des gens avec qui je bosse et sur ma carrière… Mais l’objectif était qu’elles (les chansons) ressemblent toutes à des chansons d’amour, même celles qui ne semblent pas forcément… parce que Girl Violence englobe toute type de relation, l’amitié, les relations de travail et l’amour… C’était ce qui se passait dans ma vie et que j’avais besoin de l’exprimer… J’ai beaucoup appris, surtout sur l’humilité en écrivant là-dessus, parce que si tu écoutes bien les paroles il y a quelque chose de drôle… il y a un peu un clin d’œil et un hochement de tête à beaucoup de choses, même si comme dans le morceaux Jaime, c’est du genre : « Jaime, you’ve been pertinently waiting to hate me and you and your friends sit and laugh. You’re just a fly in my glass* », et le deuxième couplet c’est : « I’ve been secretly wishing you’d date me** ». C’est cette idée que rien n’est certain, rien n’est gravé dans le marbre, ces sentiments contradictoires peuvent tous exister en même temps. Tu peux être un·e protagoniste imparfait·e…

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Donc, le chaos en quelque sorte ?

Ouais, quand tu écris vraiment ce genre de choses avec légèreté, je trouve que bien sûr ça guérit quelque chose en toi. Ça répare une partie de toi parce que ce n’est pas juste déprimant, il y a une conscience de soi dedans.

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© King Princess Instagram

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La mort de l’ego

 

La chanson RIP KP aborde la sensualité et la mort de l’ego. Qu’est-ce qui, selon toi, rend puissant le fait de laisser partir publiquement tes versions passées ?

Je pense que toute Girl Violence commence par l’amour donc pour moi c’est un peu la mort de l’ego mais c’est aussi le début de la Girl Violence. C’est ce sentiment au début où tout est tellement personnifié, lumineux et ce sentiment de « je ferai n’importe quoi pour te toucher, pour te faire plaisir, pour être ce que tu veux que je sois ». C’était important pour moi que ce côté de la Girl Violence, cette sorte de bel érotisme, soit la première chanson qui sorte mais aussi comme la fin/la mort de moi parce qu’au fur et à mesure qu’on avance et qu’on commence à réaliser plus de musique, tu commences à voir au-delà du voile, ça devient à la fois plus et moins sexy en même temps.

 

Pourquoi as‑tu choisi de lancer la sortie de l’album avec cette chanson ?

Eh bien, ça rappelle ce sentiment de quand tu as ce premier sentiment de vouloir quelqu’un et que tu es juste tellement encapsulé·e et obsédé·e par cette personne. Pour moi, c’était un super point d’entrée dans le monde de Girl Violence : ça commence par l’amour, ça commence par le désir et l’envie et le sexe et l’amour et l’émotion et puis ça… (rires)

 

Après des années passées à Los Angeles, tu es retournée à Brooklyn. Quelle partie de la ville sur le plan sonore, émotionnel, spirituel a trouvé sa place dans cet album ?

De tellement de manière. La plupart de cette musique a été imaginée quand je marchais au parc avec mon chien ou quand j’allais au studio, un peu stone en train de réfléchir, et je pense que New York est une super ville pour penser parce qu’il y a tout ce chaos autour de toi et pourtant tu es toujours dans ta propre bulle. Tu es ta propre personne dans cette mer, dans cette immense mer de gens, et  je pense que mon cerveau arrive à se calmer mieux quand je suis dans ce chaos. À L.A. c’était dur pour moi parce que c’était tellement solitaire. C’est calme, il n’y avait pas beaucoup de monde. Tu te retrouves souvent assis·e seul·e et je pense que j’ai mes meilleures idées et je suis la plus libre pour créer quand je suis entourée de bruit et de chaos. Je me souviens quand je suis arrivée à L.A., j’ai eu du mal à dormir parce que c’était trop calme et j’ai l’habitude des gens qui crient et des camions et des bars et des unzunz et des putain de sons dingues tout le temps. Je pense que j’ai vraiment sous-estimé que le bruit permettait en réalité de me calmer. Et donc pour moi, les sons de la ville sont les sons dans lesquels tu existes constamment, ils sont présents et pertinents dans cette musique et je sens que le chaos et ce côté rock du son ressemblent aussi à une marche dans la rue à N.Y. Le crescendo du type : puis un camion passe et quelqu’un crie dans son téléphone et puis il y a ce moment de silence où tu es dans le parc et tu dis « ugh » et ensuite quelqu’un vomit dans la rue et tu te dis « ew »…

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Les gars

 

Tu as mentionné que ta chanson Jaime a été créée en quatre heures lors d’une première session en studio qu’est-ce qui te reste le plus en mémoire de cette journée ?

Je me souviens être assise sur le canapé, on venait de poser la batterie et la guitare, cette ligne de guitare au début, et j’étais assise en train d’écrire et je me suis un peu dit… ça ressemblait à un flux de conscience. Jake (Portrait) et Joe (Pincus) étaient là et j’étais prête à chanter. Je suis allée dans la cabine et tout est sorti très vite, le morceau entier. La mélodie, j’adore qu’elle soit un peu disjointe… ça sonnait juste bien. Parfois, les choses tombent juste bien et c’était la première session studio avec ces deux types ensemble parce que j’avais écrit avec eux séparément et je me suis dit que ces gars allaient être super ensemble. Je pensais que nous trois pouvions faire ce disque. Et ensuite, on est entré, cette chanson est sortie et je me suis dis « j’ai assuré ».

 

Si tu devais décrire l’odeur ou la couleur de cette journée, quelles seraient-elles ?

Je dirais que la couleur était comme un lever de soleil orange et l’odeur, des blunts.

 

Qu’est-ce que chacun de ces collaborateurs Jake Portrait et Aire Atlantica (Joe Pincus) a apporté pour l’écriture et la production de cette album qui t’a surprise ?

Joe a apporté de la structure et une incroyable capacité… il tenait vraiment l’ordi tout le temps. Il était juste… tellement, tellement constant et incroyablement organisé… Moi, j’ai tendance à partir en mode obsessionnelle compulsive, à lancer mille idées : « et si on faisait ça… puis ça… » et lui, il absorbait tout ça comme un pro. Il allait super vite, et c’était hyper rassurant.. Parce que parfois je travail beaucoup sur l’ordinateur en m’enregistrant moi-même mais c’est vraiment agréable quand je peux être dans une pièce et faire confiance à quelqu’un d’autre pour le faire. C’est vraiment beau en tant qu’artiste. Ça me libère les mains pour jouer des instruments, et donc il a été cette personne et c’était vraiment beau. Avec Jake, c’était comme si on était cette équipe de musiciens en relais : il faisait une passe de guitare et je faisais une passe et il jouait de la basse et je jouais de la basse et quelque part au milieu de tout ça se trouvait la prise. Et encore une fois, faire confiance à quelqu’un… Sur Jaime ce refrain, il l’a juste posé et je suis tellement musicienne maniaque que je laisse très rarement d’autres personnes jouer d’instruments mais je me sentais tellement à l’aise avec ces deux garçons. C’était vraiment agréable, ça semblait symbiotique.

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©️ King Princess Instagram

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Comment cette collaboration a‑t‑elle vu le jour ?

Tout le monde s’en souvient différemment, Jake pense que c’était son idée. Je pense que c’était mon idée… La session que j’ai faite avec Joe se déroulait dans le studio de Jake. Il n’était pas là mais on utilisait son studio et j’avais déjà travaillé dans le studio de Jake donc tout semblait genre « Oh mon Dieu ». C’était un peu le destin qu’on soit tous dans le même studio. Et ensuite, je me souviens avoir appelé mon manager et juste lui dire « je crois que ces deux mecs sont mes gars » et puis on est rentrés en studio deux semaines plus tard.

 

 

Sous l’influence

 

Tu as mentionné une gamme d’influences diverses pour Girl Violence de Massive Attack aux sessions live des Beatles. Comment as‑tu équilibré ou mêlé ces styles sonores contrastés dans ta musique ?

La musique pour moi a toujours été la plus intéressante quand il s’agit de mélange de modes et quand tu regardes en arrière, genre Led Zeppelin ou The Beatles ou ces artistes des années 60 et 70 qui étaient un peu à l’avant-garde, ils utilisaient un mélange d’instruments live et aussi des mellotrons et des premiers synthés. John Paul Jones aimait jouer du celesta qui est un de mes instruments préférés et comme des machines à cordes et tout ça… Donc c’était tout à propos de ce genre de mélange de modes et pour moi ça a toujours été super fun à explorer parce que je suis une instrumentaliste live mais je suis aussi productrice. Je veux des sons qui sont curieusement indiscernables pour une époque. Je ne veux pas de choses qui sonnent comme maintenant. Je veux des choses qui pourraient sonner comme si ils ont été fais il y a dix ans dans dix ans. Donc c’est génial quand tu as toute une richesse de ressources musicales à écouter comme Massive Attack, qui était tellement influencé par le sampling et les boîtes à rythmes et la programmation mais aussi avec tellement d’instruments live superposés, ou les sessions live des Beatles où tu vois ces hommes travailler leurs chansons, tu entends les pièces s’assembler. Je trouve ça tellement beau, c’est tellement une richesse d’influence d’où puiser. Tu l’entends sur le disque, il y a tellement de live et tellement de choses programmées et tout se mélange.

 

Avais‑tu l’intention d’explorer la tension entre le travail soigné et le désordre en studio pour façonner le son unique de l’album ?

Oui parce qu’en live mes shows sonnent toujours plus rock que mon album. Alors je me suis dis : « et si mon album sonnait comme mon live ? » Et ce que j’aime beaucoup dans mon live c’est son désordre… Je veux toujours que mon show donne l’impression d’être sur le bord du chaos. Donc mettre ça sur disque et faire des chansons qui se traduisent presque parfaitement en live, c’était l’objectif. Quand je suis arrivée aux répétitions pour le Market Hotel Show, j’ai été agréablement surprise de voir comment les chansons se traduisaient en live et je me suis dit : « encore une fois, j’ai assuré ! »

 

 

On the road

 

Alors que tu te prépares pour des dates de tournée en Amérique du Nord et en Europe incluant des arrêts dans des hubs créatifs queer comme Brooklyn, Paris et Londres comment as‑tu façonné l’expérience live pour refléter les thèmes de Girl Violence, et comment ces communautés spécifiques influenceront-elles ta performance ?

Eh bien, on y travaille encore parce qu’on a un peu de temps avant la tournée, mais la chose la plus importante pour moi c’est que ce show donne l’impression d’entrer dans un monde et que pendant ces deux heures ou une heure et demi ou peu importe, tu puisses, comme ils disent à Capri, « oublier tes soucis ». Je veux que les gens se rassemblent et profitent, et vivent le concert, rigolent et pleurent et dansent et s’embrassent. C’est une safe space, mes shows sont un endroit sûr pour que les gens viennent se défouler. Je veux que mes concerts soient un lieu où les personnes queer peuvent être leur eux les plus vrais et les plus bordéliques et qu’on fasse ça ensemble.

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Le public parisien influencera-t-il ton show lors de ton concert le 14 décembre prochain ?

Absolument et une chose que je sais sur Paris c’est que vous êtes tous si chauds et si sexy et si bien habillés. Je me souviens la première fois que j’ai joué à Paris, il y avait une file dehors et je me souviens avoir regardé la file et penser « ce sont les plus belles personnes que j’aie jamais vues ». Et c’était un super concert. Je sais pas si vous aimerez cette comparaison mais je me souviens avoir senti que Paris me rappelait beaucoup New York dans le cadre d’un concert. Parce que vous êtes rowdy et bruyants et quand vous aimez quelque chose vous l’aimez vraiment à fond et quand vous détestez quelque chose vous le détestez vraiment. Et je m’identifie à ça. Tu te nourris toujours de l’énergie du public aussi : si tu as un concert où les gens sont juste voraces, la première fois que j’ai joué à Paris, c’est ce que j’ai ressenti, ça m’a donnée cette faim aussi.

 

Enfin, tu décris Girl Violence comme un écho, et non une solution. Qu’espères‑tu que les auditeurs entendent dans cet écho ?

J’espère qu’ils s’entendront. Je pense que la plus belle chose à propos de la musique, mais surtout de la musique queer, c’est que nous la faisons les uns pour les autres. C’est tellement un reflet d’une communauté et si tu peux prendre un passage ou une ligne d’une chanson et t’y voir dedans alors j’ai fait mon travail. Et c’est pour ça que c’est un écho, c’est en croissance constante. Ça change tout le temps. Ce sera quelque chose de différent pour chaque personne. Les gens vont choisir leurs préférés. Les singles sont des singles mais une fois que tu as l’album, c’est ton voyage. C’est une sorte de Choisis ta propre aventure. Tu peux écouter et t’identifier à quelque chose que je n’aurais jamais pensé… Je suis juste là pour faciliter mes émotions et j’espère que ces émotions paraîtront justes et pertinentes et qu’avec les gens se sentent moins seul·es dans leur chaos, dans leur tristesse, dans leur drama. Tu n’es pas seul·e dans ton drama girl, j’en ai plein aussi…

 

Mots de fin ?

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Girl Violence est disponible via Section 1/Partisan. En concert à Paris (Trianon) le 14 décembre 2025.

 

 

 

Texte Blu Clara Rapps-O’Dea Valey

Image de couverture Girl Violence (cover)

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*Jamie, tu attendais patiemment de me détester, et toi et tes amis vous vous asseyez à rire. Tu n’es qu’une mouche dans mon verre.

**J’espérais secrètement que tu sortes avec moi.