Après huit ans d’absence, King Krab fait son grand retour avec un deuxième album Tomorrow Can Wait qui respire l’été et dévoile une production soignée. À l’occasion de cette sortie, nous avons retrouvé Lucas et Adam Derrez, les frères marseillais derrière le projet, pour une conversation empreinte de complicité.
Un voyage sonore entre deux albums
Un nouveau process
Le son du deuxième album tranche avec celui du premier. « Sur le premier, on a travaillé avec Adam Bastard (ingénieur du son connu pour son travail avec, entre autres, Keziah Jones ou Romeo Elvis, NDLA). On avait signé le premier sur son label, UpTone Records. Sur la période du deuxième, on a commencé à travailler ensemble, à chercher le son ensemble, à enregistrer avec lui dans le studio Vagh à Salernes en Provence, qui est dirigé par Victor Vagh, producteur de Flavia Coelho. La recherche de nouveaux sons de claviers ont changé la donne. L’acquisition de nouveaux plugins et l’expérimentation sonore ont permis de poser les bases d’une direction artistique renouvelée ». Un process différent qui s’est trouvé appuyé par l’arrivée de Blanka de La Fine Équipe pour le mixage, qui a donné une autre couleur au projet. Ce changement de paradigme explique ces huit longues années d’absence discographique. « C’est très compliqué pour nous d’arriver à la fin d’un morceau ».
Des influences assumées
Les références aux grands noms de la West Coast des années 80 comme Hall & Oates ou Michael McDonald ne passent pas inaperçues. « On a voulu intégrer ces sonorités, mais en y ajoutant notre touche française. Ce mélange de nostalgie et de modernité reflète bien ce qu’on voulait transmettre ». Le groupe s’est également nourri d’artistes actuels : « Cette clique de musiciens comme Thundercat, Louis Cole ou Vulfpek nous inspire beaucoup. Ils ont pris les codes de la West Coast et en ont fait quelque chose entre pop et expérimentation. Unique. »
L’esthétique rétro au cœur du projet
La nostalgie, un thème universel
« Que ce soit dans les textes ou dans la production, la nostalgie est le fil conducteur de cet album. La nostalgie, c’est un thème universel. C’est très puissant. Chacun peut s’y retrouver à sa manière. On parle de choses qui nous ont émus il y a 10, 15, 20 ans. On a utilisé des synthés Oberheim, très 80’s que Prince utilisait beaucoup ». Les thématiques abordées, comme les amourettes d’été ou le harcèlement scolaire, sont universelles : « Sur Blame On Me, ça parle de harcèlement scolaire. C’est un sujet difficile, mais la musique aide à le rendre plus digeste. La mélodie adoucit un texte parfois sombre. »
Du rétro-gaming à la city pop
« Quand on a trouvé les sons qu’on voulait pour 31 août, on l’a composé et trouvé l’idée de faire un duo en français et en anglais, avec des références comme Question de Feeling avec Richard Cocciante et Fabienne Thibault ou Un roman d’amitié avec Glenn Medeiros et Elsa. Il y avait tout ce truc un peu cheesy ». L’esthétique visuelle de ce titre inspiré des jeux vidéo des années 80 et de la city pop japonaise. « Quand on a commencé le morceau, on avait cette vue sur la mer au coucher de soleil. Ça nous a fait penser à un jeu vidéo Sega comme Streets of Rage. Ce côté rétro-gaming est discret, mais il est là ». Cette influence se retrouve également dans la vidéo : « On a fait appel à un pixel artist mexicain, Abuelo Retrowave, pour créer une skyline qui rappelle un jeu vidéo. »
Un processus créatif fluide mais exigeant
Peu de place à l’improvisation
Contrairement à d’autres groupes, King Krab n’empile pas les maquettes : « On ne fait pas 50 000 maquettes. Chaque morceau est travaillé à fond dès le départ. Si on prévoit dix ou douze titres, on les finalise tous. Il y a peu d’écrémage ». Cette approche minutieuse reflète leur souci du détail et leur vision artistique. « Quand on a trouvé les sons qu’on voulait, ça a défini toute la direction de l’album. »
La construction de la tracklist
« On a cherché à raconter une histoire sonore plutôt qu’un récit linéaire. L’ordre des morceaux devait créer une fluidité, un enchaînement naturel, comme une set list de live. » Certains choix ont été stratégiques : « Par exemple, on a mis Tomorrow Can Wait en dernier, car il sonne comme un générique de série avec pour référence Madame est servie et clôt l’album sur une note nostalgique ».
Le défi de rester pertinent
Huit ans d’attente
Ce long hiatus entre les deux albums a été un défi. « Beaucoup se demandaient si King Krab existait encore. On devait prouver que le projet était toujours vivant et pertinent. Après huit ans, il fallait revenir avec un album solide. » Ils ont aussi dû composer avec les attentes : « On sent que le public n’est plus habitué à attendre autant entre deux albums. On ne peut plus se permettre une pause de huit ans. On a vraiment fait ces nouveaux morceaux avec les codes d’avant, c’est-à-dire qu’au lieu de sortir un EP, on a sorti un album ».
Le live comme nouvel objectif
Avec ce deuxième album, le groupe veut se concentrer sur les performances scéniques. « On veut traduire cette énergie en live, peut-être même réarranger des titres du premier album dans l’esprit du deuxième. » Leur ambition : offrir une expérience live mémorable avec une équipe renforcée de Marilou Gerard, duo sur 31 août et Franck Taïeb à la batterie. D’ailleurs, nous avions été conquis lors de leur passage au MaMA en octobre dernier où la magie opéra immédiatement : nous étions sur la West Coast des US. Oubliée la grisaille parisienne, les basses profondes d’Adam, les guitares douces et funky de Lucas et les synthés enveloppants de Marilou nous avait gorgé de soleil.
Avec ce nouvel album, King Krab réussit le pari de transformer huit années de réflexion et de travail en un projet cohérent et profondément actuel. Leur mélange de nostalgie et de modernité trouve un écho autant dans leurs influences que dans leur esthétique visuelle et sonore. En renouant avec leurs racines tout en se tournant vers de nouvelles ambitions, Lucas et Adam Derrez montrent qu’ils restent profondément connectés à leur art. Plus qu’un retour, c’est une nouvelle étape pour King Krab, un voyage qu’ils invitent leur public à partager.
Tomorrow Can Wait est disponible via King Krab. En concert à Paris (Hasard Ludique) le 5 février 2025.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing