En 2011 Woodkid faisait une entrée fracassante dans le monde de la pop underground avec une signature musicale singulière, une voix au timbre particulier et un incroyable univers visuel : un 1er EP contenant le fameux titre “Iron” suivi du succès de son premier album The Golden Age en 2013. En parallèle de la musique, sa carrière de réalisateur de clips (Yelle, Lana Del Rey, Drake & Rihanna…) prend également son envol. Ses concerts, notamment orchestraux, feront date, sans oublier ses prestations au festival de Montreux. En 2014 il annonce son départ de la scène musicale pour se consacrer au cinéma mais il surprend dès l’année suivante avec le morceau “Never Let You Down” en duo avec Lykke Li (sur la BO de Divergente 2) suivi du titre “Volcano” et en 2016 il compose la BO du film Desierto de Jonas Cuaron. Fin 2019 il annonce son retour avec un nouvel album et un tout nouveau live show. Ecouter son nouvel album S16 c’est s’exposer à des montagnes russes émotionnelles, entre grandiloquence et intimisme.

Si The Golden Age séduisait d’emblée avec son univers hollywoodien et l’histoire de ce jeune garçon à la découverte de la grande ville, S16 et son style industriel contemporain devrait en déconcerter plus d’un de prime abord (quoique) : un disque qui devrait toutefois dévoiler toute son ampleur sur scène. On a hâte de retrouver Woodkid en tournée.

WOODKID live LA SEINE MUSICALE les 2/3/4 novembre 2021 

WOODKID : S16 (Green United Music)

Pendant un temps on a cru que tu avais mis la musique entre parenthèse afin de te consacrer à l’image et au cinéma.
J’avais besoin d’une pause pour faire d’autres choses. J’avais déjà le sentiment qu’il allait falloir que je prenne du temps pour essayer de faire de la musique d’une autre manière, d’écrire, d’essayer d’autres collaborations afin de m’enrichir et d’apprendre d’autres choses Il me fallait aussi du temps pour avoir des nouvelles choses à dire sur un 2ème album. Je n’aurais pas pas aimé me jeter dans un 2nd album trop rapidement pour paraphraser le 1er. Je n’aurais pas été heureux créativement.

Si l’on reconnaît d’emblée ta patte sur ce nouvel album, on a vraiment l’impression d’une nouvelle proposition musicale avec ce 2nd opus
J’aime l’idée de faire un album plus réaliste, un peu plus sexué, plus honnête sur mes propres faiblesses : c’est un album un peu moins « Hollywoodien » et plus « Thriller de Science-Fiction », j’aime bien le décrire comme ça.

Ca se retrouve d’ailleurs dans les clips déjà publiés : l’univers visuel est radicalement different du 1er, un parti pris totalement assumé de ta part j’imagine ?
Je suis très attaché à l’idée d’album : pourquoi on est-ce qu’on met 12/14 chansons ensembles et ce qu’elles racontent ensemble. J’avais besoin de raconter une nouvelle histoire.

Si ton 1er disque nous contait l’arrivée de ce garçon (en l’occurrence toi) dans la grand ville, quelle est cette nouvelle histoire ?
Ce nouvel album c’est une forme de déconstruction, une certaine idée de la masculinité, une sorte de célébration de mes propres faiblesses et fragilités… Comme un moyen de réinvention constante de l’identité, avec pour idée de devenir de quelqu’un de meilleur. C’est un peu l’idée qu’il faille aller gratter sous le vernis pour y chercher ce que l’on souhaite remettre en avant. Cet album il raconte le plongeon et la remontée en fait.

J’ai eu aussi l’impression d’y trouver une sorte de réaction par rapport à nos vies actuelles?
C’est vrai que ce disque est aussi un miroir au monde, il répond au monde actuel. Sur mon premier album le propos était plus fantaisiste tandis que ce disque là est plus concret je pense. Que ce soit dans les champs lexicaux, dans les sons utilisés, quelque chose de plus contemporain à son époque. Simplement parce que j’avais envie de faire un album plus politique, plus fort de messages que le 1er qui était plus émotionnel et naïf.

On ressent pourtant une intimité palpable sur ce nouvel opus…
Il parle de l’intime oui mais il est suffisamment flou qu’on peut y voir un reflet du monde dedans. J’aime beaucoup l’idée que l’on puise réduire les grandes problématiques du monde à des sentiments intimes, que ce à travers des mécanismes de doute ou de peur intérieure. Les conflits du monde existent aussi à l’échelle intime, cela me plaît de penser que l’album puisse avoir cette double lecture.

Au nouveau sonore, le premier était très grandiloquent et emphatique presque du début à la fin tandis que celui-ci semble nettement plus contrasté, avec plus de ruptures, même parfois à l’intérieur de certains morceaux…
J’ai pensé cet album pour le live et j’ai pensé ruptures, beaucoup. Je voulais surprendre constamment l’auditeur pour ne jamais rester figé dans un seul sentiment. J’ai aussi compris que sur mon premier album je n’avais pas accordé suffisamment d’espace aux silences. J’ai réalisé que les moments de puissance ne peuvent exister que par les moments de silences. Cet aspect là est nouveau dans ma musique et marque beaucoup cet album.

Tu as notamment beaucoup utilisé le piano pour les moments les plus apaisés de cet album, non sans conserver une importante à l’aspect orchestral.
J’ai beaucoup travaillé avec l’orchestre ces dernière années : c’est un langage musical que j’appréhende mieux aujourd’hui. Une autre idée importante sur ce disque c’est la corruption et cela m’intéressait aussi de corrompre le son lui-même afin de mieux illustrer cette idée. A certains endroits le son semble avoir subi une érosion, un traitement à l’acide presque, comme si j’avais jeté de l’acide sulfurique sur l’album pour lui en enlever un coté trop lisse et parfait et lui donner une sorte de patine.

Le choeur japonais que l’on retrouve à 2 reprises apporte un coté très manga…
Oui cela convoque des références de Science Fiction majeures pour moi comme Ghost In The Shell ou Akira par exemple. On trouve aussi des références à la musique répétitive américaine tandis qu’on a utilise cet instrument français de musique contemporaine élaboré dans les années 50, le Cristal Baschet mais détourné dans son utilisation pour créer une rythmique spécifique. Tout cela pour créer un album industriel d’aujourd’hui. Cela retrouve sur les visuels de pochette des singles avec cette roue dentée.

Ta façon de chanter à changer elle aussi et tu es parvenu à ouvrir ton spectre vocal jusqu’à monter dans les aigus….
Vocalement j’étais plus restreint sur le premier album mais en 5-6 ans j’ai énormément travaillé, parce que c’est un outil que j’adore : je voulais qu’il y ait une vraie part de risque sur cet opus et que ça passe aussi par ma voix. Je sais que je me mets en danger pour le live. Et je me suis rendu compte que grâce à ma voix, je pouvais apporter de la lumière dans cet album qui se révèle assez sombre par endroits. Car finalement c’est un album d’espoir : en acceptant ses faiblesses et en acceptant de demander de l’aide on fait automatiquement naître l’espoir.

Et une fois encore aucun invité ne figure sur ton nouvel album, comme pour le premier.
Je crois que c’était pas le sujet, je ne dis pas que je ne le ferai pas plus tard mais avec un projet où cela fera du sens… On a failli avoir un duo sur “Horizons” mais ça n’a pas été possible pour des histoires de planning… Je préfère échouer tout seul plutôt que réussir avec des gens qui je n’aurais pas d’affinité, donc il n’était pas question de jouer aux featurings (comme c’est souvent le cas de nos jours dans la course au hit radio à tout prix) avec ce projet-là. Et puis j’ai multiplié les collaborations° hors album par ailleurs… C’est plus compliqué pour moi aujourd’hui de sortir un disque entre mini-interview, capsules instagram, la promo… plutôt que de partir en tournée qui s’avère un vrai bonheur pour moi… Je pense que je suis né pour être sur scène en fait. Je trouve ça génial de pouvoir être aux commandes d’un rollercoaster émotionnel et d’embarquer tout le monde avec moi.

photo (c) Collier Schorr

° Collaborations : Woodkid collabore depuis maintenant dix saisons avec le très talentueux Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton, où il est invité chaque saison à composer une musique originale pour son défilé. Yoann collabore aussi avec des chorégraphes de danse comme Sidi Larbi Cherkaoui ou l’artiste contemporain JR

Pour écouter l’abum S16 :

WWW.WOODKID.COM