La merveilleuse Fishbach décolle petit à petit depuis un premier EP éponyme en 2015 et un passage très remarqué aux Trans Musicales de Rennes fin 2016. Elle a depuis annoncé un album, A ta Merci, prévu pour le 27 janvier. Une bonne excuse pour aller s’aventurer dans la mer de ses yeux, pour une interview fleuve.


Fishbach : (…) On est vieux, on vieillit, on fume des clopes, voilà (en parlant d’assumer ses cernes)

Modzik : Surtout que dans ton style, les cernes ça collent.

Bien sûr ! Les cernes ça collent, j’adore cette phrase.

En parlant de style, tu dis souvent que tu viens du punk.

Je dis punk parce que c’était notre façon de fonctionner, c’était pas trop dans le style punk musical tu vois, mais qu’est ce que le punk finalement ? Je dis punk parce que je me suis mis à un instrument que je ne maîtrisais pas, mon ami était un mec qui se lançait dans la musique avec des gens qui n’en avaient jamais fait, ça part d’emblée sur un concept un peu particulier, et du coup c’était assez foutraque, dans la veine punk quoi. C’était mes premiers émois à la musique, et je me suis dit qu’il fallait que je continue, lui était à la batterie et moi aux synthés donc j’avais déjà un peu la main sur les mélodies et la construction. Je n’avais plus qu’à garder ces sonorités « train fantôme » inquiétantes que j’adorais, et me lancer, seule.

C’est pratique, tu réponds à mes questions avant que je ne les pose. Je voulais te demander pourquoi tu t’étais tournée vers cette pop sombre.

Embêtant plutôt ! Premièrement je trouve que la musique est un moyen d’expression fabuleux. Si j’ai choisi la pop c’est simplement parce que dans la création musicale je suis passé d’un local où on pouvait faire un boucan du diable à ma chambre chez mes parents. Pour éviter de les réveiller je travaillais au casque et je chantais tout doucement dans mon iPad. C’est la méthode de conception qui a engendré ce choix en fait. C’était un coup dur d’arrêter mon premier groupe, j’étais même triste, d’où le fait d’aborder quelque chose de plus sentimental et romantique, alors qu’avant j’étais une jeune folle. Ça me permet d’expier mes malheurs.

Tu dis souvent que tu ne sais pas jouer d’instruments pourtant on te voit à la guitare sur scène, tu viens de me dire qu’il fut même un temps où tu jouais du synthé. Alors, sait jouer ou sait pas jouer ?

Non, toujours pas !

Tu la grattouilles seulement ta guitare ?

C’est ça. Franchement j’ai essayé d’apprendre et j’en fais tous les jours quasiment, mais que veux-tu ? On ne peut pas être doué pour tout ! Si je joue d’instruments c’est pour, à la base, accompagner ma voix, sur laquelle je me concentre surtout. Mais je t’avoue prendre beaucoup de plaisir à la guitare finalement, plus qu’au synthé qui lui te donne l’impression d’être derrière un mur. C’est d’ailleurs pour ça que je n’en joue pas sur scène. Et je ne peux même pas te dire que je sache chanter. Je chante, c’est tout.


Comment t’as découvert ce timbre de voix si particulier qui te caractérise, et que je qualifierais de crépusculaire ?

J’aime beaucoup le crépuscule, c’est un moment de la journée qui est tellement court et intense.

C’est ton moment de création aussi ?

Exactement, une fois la nuit tombée. Déjà au niveau des couleurs c’est complètement fou, quelque chose tombe. La nuit tombe ! Moi je me réveille quand la nuit tombe. Et donc ma voix, je l’ai découverte quand je jouais avec mon pote. J’avais jamais fait de musique et je chantais tout doucement car j’étais intimidée, et petit à petit cet enfoiré s’est mis à jouer beaucoup plus fort à la batterie alors inconsciemment je me suis mis à chanter au niveau, fort, et figure toi que j’y ai pris un sacré plaisir. Tout expulser ! Les cordes vocales sont un muscle et j’avais trouvé mon sport.

Il semble que tu n’aies pas tellement d’influences musicales, mais peut être en as-tu des littéraires ?

J’ai pas tellement lu de livres dans ma vie, mais à chaque fois c’était prenant.

Ce n’est pas toi qui écrit les paroles de tes morceaux ?

Non, au début je complexais d’écrire en français, j’ai donc demandé à des personnes d’écrire pour moi tel que Olivier Vallois, dont je n’aime pas forcément le style musical mais qui écrit divinement bien. On a discuté de mes thèmes récurrents et il m’a écrit Mortel. Et puis je me suis finalement dit qu’il n’y a pas besoin de faire de la grande poésie pour dire des choses profondes et qu’en utilisant des mots simples on convoque chez les gens des émotions simples, et tout le monde s’y retrouve. C’est pas étonnant que les gens pensent très souvent qu’on a écrit les chansons pour eux ou en parlant d’eux.

C’est simplement dû au fait que nous sommes l’instrument de perception !

Exactement, et dans le spectacle c’est ce que je cherche à créer, afin d’emmener le spectateur dans sa propre interprétation.

C’est toi qui a pensé la scénographie d’ailleurs !

scéno fishbach
(scénographie pensée par l’artiste représentant les stores de sa chambre, dans la maison familiale)

Oui, j’ai tout pensé ! J’ai amené chaque idée et jamais personne ne m’a dit non. Que ce soit le technicien lumière, la metteuse en scène, les musiciens. Tout le monde m’a suivi ! Je les aurais pourtant écouté s’ils m’avaient refréné.

C’est une grande chance que tu as là, je pense à certains artistes qui n’ont plus aucun droit de décision sur leur art et leurs carrières.

C’est bien simple, si je n’ai plus le choix j’arrête. J’ai toujours choisi : j’ai arrêté l’école à 15 ans par choix, j’ai fait certains métiers par choix et j’en ai arrêté d’autres par choix également. J’ai besoin d’argent ? Tant pis, je préfère galérer plutôt que de me lever chaque matin en étant malheureuse. Même si, comme pour ce projet Fishbach, je peux faire des concessions : j’en veux pour preuve le fait que je me suis toujours dit que je ne chanterais jamais en français, parce qu’à l’époque j’avais quoi ? Bénabar et Calogero comme exemple, tu m’étonnes !

Mais c’est finalement la plus belle langue du monde.

Elle est magnifique et d’une richesse incroyable ! On ne l’a pas encore tout à fait explorer, on ne connait pas la moitié des mots qu’on utilise. Des mecs comme Gainsbourg dont ce n’était pas la langue natale s’en sont joués en utilisant la musicalité des mots. Et là on parvient à une explosion de magnificence. Le tout est finalement de ne pas être têtu.

Tu parles énormément de la mort.

Nôôôôôn, à peine ! Il y a quelqu’un qui a relevé que je l’avais dit 27 fois dans l’album. L’album sort un 27 janvier, je vais mourir à 27 ans. Tout est parfait !

Comme les plus grands !

Les plus grands ? Une balle dans la tête, mourir dans son vomi. Excuse moi, c’est pas super !

Et tu parles beaucoup de l’avenir, aussi.

Ah c’est marrant, j’en avais pas conscience. Mais évidemment, ça nous inquiète tous. Je parle pas beaucoup du passé, c’est vrai, mais d’un côté je suis focus sur ce qui va arriver, et plutôt du genre à aller de l’avant. En tout cas tu es l’un des rares à le remarquer, je n’y avais pas tellement fait attention.

Tu ne parles pas explicitement de l’avenir en fait, mais tu utilises beaucoup la forme futur.

Je me projette beaucoup, parce que je suis ambitieuse, j’ai des envies. J’évoque des soumissions amoureuses passées, mais sous la forme d’un espoir, donc d’un avenir, oui. En fait c’est peut être plus de l’espoir que du futur. Ce qui ressort c’est que j’ai toujours eu de l’espoir dans les moments difficiles, je parle beaucoup de mort mais je suis agnostique, je crois ni en Dieu ni en la vie après la mort, mais à la fois je me laisse le doute. Il y a toujours un fond d’espoir même dans les plus grands drames, c’est pour ça qu’on est humain après tout, c’est la dure beauté du paradoxe, comme en amour.

Et pour rester dans l’avenir, tu le vois où le projet Fishbach dans 1, 3, 5 ans ?

Je ne sais pas du tout, mais quand je me projette je me vois bien retourner faire des ateliers avec les personnes âgées, c’est ça ma perspective d’avenir. C’est bizarre, non ? Je veux dire, je suis très contente de ce qui nous arrive actuellement, mais si un jour ça me soûle j’arrête.

C’est ta maman qui est en gériatrie, c’est ça ?

Oui, et j’ai toujours été sensible à ces personnes là. Quand j’ai monté mes ateliers de chant avec les personnes Alzheimer j’y ai trouvé, peut être pas ma vocation, mais un moment de ma vie où je me suis sentie la plus utile. Je suis extrêmement empathique, j’aime beaucoup les gens, même si ma musique ne le prouve pas. En tout cas, je me vois davantage faire ça, et si Fishbach devait continuer je ne sais pas où ça nous mènerait. J’ai pas trop envie de rester dans ce truc avec des synthés numériques, j’espère que ça évoluera. J’ai pas encore composé le proch… enfin, si j’ai déjà quasiment un album qui est prêt si tu veux, mais vaut mieux se laisser aller, n’est ce pas ? Et puis ça va forcément changer puisque ma vie change. Au fil des rencontres, des concerts et des endroits j’aurais d’autres inspirations, et d’autres influences puisque j’ai décidé de voyager aussi. Je ne peux avoir que de l’espoir comme dans mes chansons. No future, mais de l’espoir, partout.


On a parlé de l’avenir de Fishbach, j’aimerais bien parler de l’avenir du monde. Tu parles, par exemple, d’attentats dans au moins deux titres, Un autre que moi et Mortel.

C’est évidemment de l’attentat amoureux dont je parle, dans ces deux morceaux qui ont été écrits il y a fort longtemps. Pas de chance, Mortel sort le 6 novembre 2015. Pendant une semaine il incube, il passe en radio, et puis paf, les gens se le prennent dans la gueule. On m’a même accusé de récupération ! Et donc finalement le morceau a changé de sens, même pour moi… Alors que dans ces deux morceaux on parle d’amoureux, qui se portent atteinte.

« Jamais rien vu d’aussi mortel que ces tirs au hasard
Je te rejoins demain en l’air il n’y a pas de hasard. » – FishbachMortel

C’est dingue comme ce mot a changé de sens. Mais tu parles tout de même de balles tirées au hasard et de fusillade.

… C’est terrible. Moi même je me disais « Mon Dieu, qu’est ce qu’on va faire ! » On s’est appelé avec Olivier Vallois, et lui dans toute sa bizarrerie me disait : « Ecoute, il n’y a pas de hasard.« , comme dans la chanson d’ailleurs ! Chanson qui, je pense, ne m’appartient plus du tout désormais.

Vous avez pensé à l’ôter de l’album ?

Au contraire, c’est un morceau qui plaît aux gens, qui s’y retrouvent d’autant plus qu’il a changé de sens. Moi même je ne peux plus m’empêcher d’y penser quand je l’interprète. C’est chargé d’émotion, les gens le chantent à tue tête en fermant les yeux. Ça vibre. Je pense que le morceau n’y est pour rien, ça vient de nous. Comme disait Brel, on est rien que des petits cachets d’aspirine. Les chansons peuvent aider, à pleurer parfois, à relativiser beaucoup. Et si cette chanson peut permettre ça alors non on l’enlève pas de l’album.

« Ecrire des chansons, être comédien, faire de la mise en scène au cinéma, ce sont des travaux d’aspirine. » – Jacques Brel

C’est très sage. Si on parlait un peu des Trans Musicales ? C’est Jean-Louis Brossard qui est venu te chercher, et qui t’a proposé ce… challenge.

Tu m’étonnes ! Personnellement j’avais depuis longtemps envie de monter un groupe. Au bout de trois ans toute seule, non pas que j’avais fait le tour, il y a toujours des choses à faire, mais à quoi ça sert de vivre ce qui t’arrive si tu ne peux pas le partager avec quelqu’un ? Donc monter un groupe, et aussi créer une scénographie et mettre en oeuvre tout ce que j’avais dans la tête. J’ai pris des musiciens qui n’étaient pas faits pour l’instrument que je leur attitrais, comme mon ami d’enfance l’avait fait avec moi. Et j’ai bien fait, disons, Michelle Blades qui n’est pas bassiste d’origine, te fait chanter sa basse comme personne. J’ai pris des amis et des frères pour pouvoir vivre quelque chose ensemble sur les routes. Et on a donc fait en un mois et demi ce que j’aurais mis un an à faire si je n’avais pas eu cette pression positive. J’ai perdu beaucoup de points de vie aux Trans Musicales, j’ai pris deux ans mais j’ai appris beaucoup de choses pendant ces 10 jours de résidence.

Tu pars sur une longue tournée d’ici peu.

Longue je ne sais pas.

J’ai entendu dire qu’elle durerait jusqu’à l’été, ça fait 5 mois quand même.

C’est beaucoup plus que ce que je n’ai jamais fait, oui. J’ai hâte, j’adore partir sur les routes, visiter des bleds, rencontrer des gens dont tu oublies le nom, faire de la scène. Mais attention, les gens pensent qu’il n’y a que la scène, mais c’est éreintant une tournée !

Tu vas peut être reprendre deux ans dans les dents.

Ah m’en parle pas. Peut être mais ça voudra dire que la tournée à duré et qu’on aura fait vivre l’album longtemps. J’espère m’aménager des moments pour écrire aussi.

Effrayée ?

L’inconnu fait toujours peur, mais j’aime tellement mon équipe que j’ai hâte de partir avec eux. Je suis comme un enfant devant un monstre, qui se cache mais qui veut quand même regarder pour se faire une frayeur. Je suis une enfant.

Ça se ressent un peu dans tes textes, qui sont très simples avec une parcelle de naïveté.

Oui, il y beaucoup de légèreté, et sur des sujets profonds parfois. Je pense au morceau Le Château, qui est sur l’EP, et dans lequel je parle du suicide d’un collègue au Château de Vincennes quand j’y travaillais. Je l’ai pris avec beaucoup de détachement, avec des mots simples, même si c’était très compliqué pour moi d’en parler parce que ça me ramenait à mes propres pulsions de mort. J’ai eu un problème de compréhension car à la fois je voulais lui rendre hommage, mais je lui en voulais. J’étais toute confuse donc je suis allé à l’essentiel, et c’est en allant à l’essentiel que je me suis détaché de ce sentiment de culpabilité et que j’ai pu faire mon deuil. Si j’étais allé dans le grave, j’aurais été dans le grave en le chantant.

Ça me fait penser à On me dit tu, dans lequel tu parles ouvertement de la mort. C’est pourtant le morceau le plus festif, comme si tu voulais exorciser.

Je la regarde même ! C’est le morceau qui a subi le plus d’arrangements, cinq en tout. Je me disais que j’arrivais pas à trouver le bon arrangement, mais ce qui se passe c’est qu’il évolue avec moi en fait. Et il continuera d’évoluer avec moi. Je trouve ça génial, ça veut dire que la mort m’accompagne partout, et la vision que j’en ai change tous les six mois. J’ai enfin trouvé la réponse grâce à ce morceau : Qu’est ce que la mort ? La mort c’est notre ombre, elle nous suit. Et un jour elle nous rattrapera, c’est inévitable, on le sait. J’espère avoir répondu à ta question…

Tu en as fait bien plus. Merci Fishbach !


A ta Merci, le premier album de Fishbach sortira le 27 janvier chez Entreprise et est d’ores et déjà en précommande.

Fishbach sera en tournée dans toute la France, et passera par la Cigale le 14 mars.


Photo d’illustration : Yann Morisson