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Sur son quatrième album Departures & Arrivals: The Adventures of Captain Curt, prévu pour le 5 septembre prochain, Curtis Harding ne se contente pas de repousser les frontières de la soul moderne : il les envoie valser dans la stratosphère.

 

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En s’inventant pilote d’un vaisseau perdu dans les méandres du temps et de l’espace, l’artiste d’Atlanta signe une odyssée psychédélique et cinématographique où les cordes baroques côtoient les grooves disco, les nappes interstellaires et la chaleur brute du gospel. Entre errance émotionnelle et désir de retour au foyer, ce space-opera funk est aussi intime qu’universel. Et derrière l’esthétique léchée se cache, comme toujours chez Harding, une profonde humanité. Rencontre avec un explorateur de l’âme, qui fait de la musique un vaisseau pour mieux revenir à soi.

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Pochette par Gatefold

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Tu as grandi entre le gospel de ton enfance et la soul des années 70. Comment ces racines continuent-elles d’influencer ta musique aujourd’hui ?

C’est la fondation de tout pour moi. Je pense que la musique gospel, enfin non,  je sais, que c’est la base de tout ce qui est contemporain, de tout ce que nous écoutons aujourd’hui. Ça vient du blues qui lui même a créé le rock and roll, qui a donné naissance au punk, et le hip hop des samples de soul. Tu vois ce que je veux dire ? Donc c’est la base de tout ce que nous faisons, et de ce que je fais aussi. 

 

Quand tu composes, tu commences par les paroles, une mélodie, une ambiance… ou autre chose ?

C’est généralement une mélodie. Mais cela peut aussi être simplement une ligne, puis le reste se construit et vient à moi. La mélodie, en quelque sorte, influence le souvenir des paroles, tu vois. C’est un feeling que j’ai où je me dis “là je peux commencer”.

 

Tu sembles très attentif à l’esthétique visuelle de tes albums. Quelle importance accordes-tu à l’image dans ta musique ?

C’est très important. Je suis quelqu’un de très visuel. Donc, quand j’orchestre une chanson, quand je compose une chanson, je pense aussi en termes d’images. J’essaie de me placer dans une scène ou un décor, ou de revenir à une scène où je me trouvais, ou de me mettre à la place de quelqu’un d’autre, afin de me mettre dans cette situation pour écrire.

 

Tu fais souvent passer des messages de résilience ou de conscience sociale dans tes morceaux. Est-ce un acte politique pour toi ?

Oui, c’est tout à fait possible. Je pense que n’importe quel acte peut avoir une dimension politique, y compris l’art. Tu peux être danseur, par exemple, et ça peut aussi être un acte politique. Tu vois ce que je veux dire ? Donc oui, tant que c’est fait avec sincérité, c’est valable. 

 

Ton 4ᵉ album Departures & Arrivals: Adventures of Captain Curt se définit comme un « space‑opera psyché mêlé à une soul profonde », un journal sonore d’un pilote perdu dans l’espace. Qu’est‑ce qui t’attirait dans cette dimension narrative ?

C’est juste après avoir écouté les paroles que j’avais écrites que j’ai vu, en quelque sorte, la corrélation entre les paroles des différentes chansons. Je me suis dit : « C’est un album conceptuel, alors comment vais-je l’appeler ? » Parce que ça avait beaucoup à voir avec le fait que je me retrouvais à écrire sur le temps, l’espace et juste l’obscurité, et, tu sais, j’essayais de revenir. Donc la métaphore de l’espace était parfaite, tout comme la distance, parce que beaucoup de ces chansons parlent d’être loin, d’être distant et d’essayer de revenir. Donc le voyage spatial semblait tout à fait approprié.

 

Tu parles de la sensation d’« errance, nostalgie du foyer, résilience » : est‑ce que cette expérience intime à distance, entre tournées et studio, t’a guidé vers cette fiction interstellaire ?

Oh oui, tout à fait. Je pense que c’est une grande partie de l’inspiration. Mais je veux dire, tu peux aussi être entouré de gens et te sentir quand même très distant, donc tu dois essayer de trouver comment revenir à toi-même aussi. Donc, ça peut aller dans les deux sens. Ça peut être une distance physique, où tu essaies de te rapprocher de ta famille, de tes proches, ou ça peut être juste une déconnexion émotionnelle, tu vois ce que je veux dire. Donc, oui.

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©DNA /D. GEISS

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Le concept spatial a influencé ta production : plus de cordes, des textures baroques, une ambiance « cosmic soul »… Comment as‑tu intégré ces éléments  ?


C’est très cinématographique. J’ai écrit les cordes une fois que les chansons étaient quasiment terminées de mon côté, en studio. J’ai fait appel à Steve Hackman, qui est très doué, il a travaillé avec des gens comme Doja Cat, et il a fait plein de performances avec Radiohead. Je l’ai choisi pour faire les arrangements, les arrangements de cordes sur la plupart des morceaux, parce que ça ajoutait plus de drame. J’ai apporté plus de cinéma. Encore une fois, je suis quelqu’un de très visuel, et je vois un peu cet album conceptuel comme s’il s’agissait d’un film de science-fiction ou d’un roman. Donc je voulais apporter ça, et ça n’a pas été difficile de déterminer ce que je voulais faire. Il y a beaucoup de simulations sur l’album, beaucoup de réverbération pour créer de l’espace. J’ai beaucoup édité, en supprimant des éléments pour créer plus d’espace. Donc, oui, vous jouez littéralement avec l’espace.

 

L’album a majoritairement été enregistré en live avec un groupe complet, pourquoi c’est important pour toi ?

Juste pour le feeling, je pense que c’est plus honnête. Mais certaines des chansons que j’ai composées chez moi, comme Hard As Stone, je les ai enregistrées chez moi, puis j’ai apporté les pistes au studio et je les ai remixées pour leur donner un son plus riche et plus chaleureux, mais enregistrer en live avec différents musiciens est toujours amusant, simplement parce que c’est une question de feeling, et cela me semble plus vrai, plus honnête par rapport à ce que je fais.

 

Comment s’est passée l’écriture de ce disque, avec des moments très orchestraux (True Love Can’t Be Blind, The Power), des grooves disco et du psyché ? C’est une nouvelle approche pour toi ?

Pas vraiment, si tu écoutes mon premier album, par exemple, j’avais pratiquement une chanson disco sur chaque album, tu vois, sous une forme ou une autre. True Love Can’t Be Blind est la première chanson que j’ai écrite en pensant à cet album. Elle a donc été écrite il y a quelque temps. Je l’ai écrite peu après le début de la pandémie, et elle est restée dans un coin. Je me suis dit : « Bon, ça pourrait être le premier single de mon prochain projet ». C’était juste une boucle de batterie que j’avais, une guitare acoustique et une petite ligne de basse que j’avais jouée, puis je l’ai apportée au studio, je l’ai enregistrée en live et le résultat était vraiment bon. 

 

L’album, se déroule dans un décor très imaginaire, comment as tu fait pour qu’il reste très humain, universel ?

Je pense que je suis plutôt bien encadré. Je m’entoure simplement de bons musiciens, d’un excellent studio, d’un super ingénieur, et je fais juste des trucs normaux, tu vois.

 

En France, tu as rempli la Cigale, le Trianon, tu seras à l’Olympia le 28 octobre prochain. Qu’est‑ce qui, selon toi, lie tant ton univers à ton public français ?

Je pense que cela tient bien sûr à la musique, mais aussi au fait que, la première fois que je suis venu à Paris, c’était pour des événements liés à la mode. Cela a, je crois, permis de créer un pont entre différents univers, ce qui m’a donné une certaine visibilité, y compris dans le milieu musical. Ça m’a aidé. Mais je pense aussi que le public français a une vraie sensibilité à la musique live, à l’ambiance, à l’âme qu’elle dégage. Il y a un lien évident : ici, les arts sont très vivants — que ce soit la mode, la musique ou même la danse. Les gens apprécient vraiment cette diversité. C’est là, je crois, que réside cette connexion.

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©J-M Rock’n’Blues

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If Words Were Flowers (2021) parlait d’intimité et de résilience pendant une période difficile. Cet album‑concept est‑il une suite naturelle, en termes de narration ou d’introspection ?

Oui, je pense que c’est une suite naturelle. Et le prochain album prolongera également celui-ci. Pour moi, tout ça forme un voyage, une aventure qui se poursuit. C’est comme mon album The Adventures of Capitain Curt elles sont parfois joyeuses, parfois tristes, parfois mélancoliques… parfois tout ça à la fois. Donc oui, cet album s’inscrit dans une continuité, et ça va continuer. 

 

Tu mentionnes Ridley Scott comme influence pour l’ambiance visuelle et sonore. Y a‑t‑il un film ou une scène en particulier qui t’a inspiré ?

Oh, lui ? Oui, bien sûr ! Je trouve que Scott est vraiment génial. Le premier film que j’ai vu de lui, c’était Legend, avec Tom Cruise — un film fantastique, dans tous les sens du terme. Je l’ai adoré, surtout la bande originale… typique des années 80. Il faut vraiment l’écouter, c’est une ambiance à part. Et puis Blade Runner, bien sûr — son esthétique est incroyable. La plupart des films de la saga Alien sont aussi formidables. J’adore vraiment son travail. Prometheus aussi. J’aime la manière dont il construit une histoire, puis la développe tout en revenant en arrière pour approfondir certains éléments. Et sa façon de filmer est unique. Dans le nouveau Blade Runner, par exemple, ils utilisent encore des animatroniques réels, pas seulement des images de synthèse. On sent qu’il y a énormément d’amour et de soin dans ces films. Même l’alien, c’est encore une personne dans un costume, pas du numérique. C’est quelque chose que je trouve très inspirant. Et puis les histoires sont vraiment prenantes. Donc oui, j’adore son univers.

 

Si on te demandait de créer la bande son d’un film de science-fiction, est-ce que ce serait une suite de Departures & Arrivals… ou un tout autre voyage ?

Je pense que cela dépend simplement du type de film de science-fiction. Je vais laisser la scène elle-même inspirer la musique. Donc, pour moi, j’ai en tête quelque chose comme Departures & Arrivals. Mais si je regarde le travail de quelqu’un d’autre, l’ensemble de son œuvre, j’essaierais de créer quelque chose d’exactement similaire.

 

Quel album ou artiste t’a récemment bouleversé ?

Tu sais quoi ? On vient de perdre une grande légende, Sly Stone. Il n’est pas un artiste nouveau, mais il a clairement inspiré beaucoup de morceaux sur mes albums. Le morceau Time sur cet album a été fortement inspiré par Sly Stone, car il faisait beaucoup de choses de type « call and response », tout comme le timbre de sa voix. J’adorais la façon dont il passait d’un registre aigu à un registre grave. Oui, il est tout simplement funky, il guérit tout. Je pense qu’il est mon père.

 

Si tu n’avais pas été musicien, tu aurais fait quoi dans la vie ?

Hmm, un travail dans le domaine de l’exploration, comme océanographe, ou quelque chose dans le domaine scientifique. J’aime aussi l’histoire. Alors peut-être archéologue, ou anthropologue, j’adore faire des recherches.

 

Tu peux inviter trois artistes (morts ou vivants) pour un dîner chez toi. Tu choisis qui ?

Sly Stone, voyons voir, Anthony Hopkins, et j’essaie de couvrir tous les domaines. Vous avez un acteur, vous avez un musicien, et maintenant j’ai besoin d’Anthony Bourdain !

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Departures & Arrivals: Adventures of Captain Curt est disponible via Curtis Harding/Anti./Pias. En concert à Paris (Olympia) le 28 octobre 2025.

 

 

Texte Elisa Lehours

Image de couverture Matt Correia