Le MaMA Convention & Festival, plus grand rassemblement de professionnels de l’industrie musicale tricolore a fêté ses 15 ans. Entre conférences, ateliers et concerts, le festival a offert, du 16 au 18 octobre, une plateforme pour les quelques 240 artistes émergents  ̶  dont 40% d’artistes internationaux et 46% dont le lead est féminin  ̶ , devant 6755 professionnels et près de 5000 spectateurs.

 

 

Pendant trois jours, les passants qui arpentaient le quartier de Pigalle ont pu se faire surprendre, par la météo capricieuse d’une part, mais surtout par le contenu des salles mythiques où de jeunes artistes électrisants aux accents européens ont chargé l’atmosphère.  

Nous avons donc sillonné les trottoirs et allées de Pigalle au gré de nos rencontres, nous laissant portés par le plaisir de la découverte. Il y en a eu pour tous les goûts. Nous avons fait une sélection et recueilli quelques propos, non exhaustifs évidemment. 

Voici donc une tentative d’étiqueter ce raz de marée musical, en sachant bien que le propre de l’artiste est de s’extirper du rayon dans lequel il est intercalé.  

 

Pétillant/groovant/vivant/animé

Il y a d’abord eu ceux qui mettent directement l’ambiance. Ils sont cools, ont du style, retournent le dancefloor même quand il s’agit de l’étroite scène du Bar à bulles ou de l’intimiste salle de théâtre des Trois Baudets.  

Face aux strapontins rouges de cette dernière, la chanteuse du jeune groupe britannique TTSSFU, guitare en forme de cœur sous les doigts, projette ses airs de cool kids des 90’s. Ambiance d’ados bourgeois torturés, la bande de Manchester inscrit son esthétique dans un revival de l’indie garage des 90’s.

 

TTSSFU © Louise Pham Van

 

Les dernières heures du MaMa s’égrènent, les festivaliers sont fatigués. Le trio Please engage, à la Cigale, un des derniers matchs musicaux qui mettra le public KO. Avec ce mélange singulier de musique des 70’s, leur son pleinement contemporain et la ballade qui tue Hard Loving fera l’effet « Redbull » qui va permettre aux festivaliers de continuer jusqu’au bout de la nuit. 

 

Please © Louise Pham Van

 

Il y a des matins où nous avons le sentiment que la journée s’annonce sous de bons augures, malgré la grisaille matinale. Les nuages sont bas, comme le plafond de la salle de concert du Bar à Bulles qui voit débarquer Adam et Lucas Derrez, les frangins formant King Krab. Et la magie opère immédiatement : nous sommes sur la West Coast des US. Oubliée la grisaille parisienne, les basses profondes d’Adam, les guitares douces et funky de Lucas et les synthés enveloppants de Marilou Gérard nous gorgent de soleil. « Tomorrow Can Wait a une ambiance West Coast dans son idée sonore. Ce qui est intéressant, c’est que cette génération de musiciens a inspiré des artistes contemporains comme Thundercat et Louis Cole, qui viennent aussi de Los Angeles. Louis Cole a un style presque expérimental, tandis que Thundercat s’approche davantage de la pop. Nous avons essayé de créer notre propre son en nous inspirant de tout cela, ainsi que de Vulfpeck. Maintenant que l’album est sorti, notre objectif est de nous concentrer sur le live. Nous jouons des morceaux du premier album, réarrangés dans le style du deuxième, avec des synthés et des arrangements différents. Nous envisageons d’élargir l’équipe, peut-être en ajoutant un deuxième clavier pour les parties additionnelles, ce serait idéal. Ou bien un guitariste supplémentaire. Je pense qu’avec une personne en plus, on pourrait vraiment enrichir notre son. Mais ce n’est pas indispensable, car on s’en sort déjà très bien comme ça. » King Krab.

 

King Krab © LFC

 

Dans le même sous-sol du bar à Bulles à l’heure du café ou de la sieste, le duo IKAN HYU se porte garant d’injecter leur dose unique d’adrénaline. Tantôt parées de masques de poisson des tréfonds rock-électro, tantôt tressées d’un punk aux percussions multiples, les Suissesses distribuent leur énergie débordante avec un plaisir affirmé.

 

IKAN HYU © Louise Pham Van

 

 

Haletant/ardant/corsé

Au MaMA, il y a aussi les artistes qui le sont jusque sous le bout des ongles et au-delà. Ils ont cette énergie inimitable qui permet d’attirer dans leur filet un public diversifié, ce, malgré leur niche musicale.

Il faut le voir pour pouvoir décrire la création de HSRS (High Self Reset System) dont la voix, à la texture singulière, se mêle comme un instrument aux boîtes à rythmes, synthés, et batterie. Jusqu’à sa robe de créateur et ses expressions prononcées, habitées, HSRS compose une expérience qui se veut instinctive.

 

HSRS © Louise Pham Van

 

Instinctive, la hollandaise Natascha Rogers l’est également. Entre polyrythmie et mélodie, la musique est son jeu, elle fabrique pour interagir avec le public. Avec ses inspirations qui oscillent entre Afrique de l’Ouest, Cuba et culture amérindienne, elle établit la connexion, fixe, ensorcelle. Entourée de percussions, elle invite le spectateur à la rejoindre et projette sur lui le reflet d’une artiste ultra complète qui semble capable de tout. 

 

Natascha Rogers © Louise Pham Van

 

En compagnie de ses innombrables instruments électroniques, lui non plus n’est pas seul sur la scène de la Boule Noire. Nit façonne le son comme un sculpteur. Il bidouille ses bidules dans le laboratoire qu’il a composé sur les planches de la Boule Noire. En totale immersion, il joue dans plusieurs dimensions, courant derrière sa musique et la devançant simultanément.  « L’idée est de remixer les morceaux ensemble. Je ne veux pas simplement jouer un morceau avec plein de synthés, puis finir, recevoir des applaudissements, et enchaîner sur le suivant. Ce format ne me convient pas, surtout dans la musique électronique instrumentale, où je trouve que ça ne fonctionne pas vraiment. En fait, j’utilise un ordinateur pour gérer des séquences, accompagné de plusieurs contrôleurs et synthés. Je m’amuse avec cette matière, en enlevant des éléments et en passant à la suite à ma manière. Le but, c’est d’avoir une certaine liberté : une structure qui se déploie tout en me permettant de rester longtemps sur une boucle si je me sens bien dedans, en jouant avec des effets et en manipulant les sons des synthés. » Nit.

 

Nit © Louise Pham Van

 

 

Éthéré/aérien/laiteux 

Puis il y a ceux dont la voix touche, s’insinue sous les strates de peau pour faire frissonner l’épiderme. 

Dans la salle agitée de Backstage By the Mills, la tendre voix de Marius tente de se frayer un chemin entre les conversations et les rires des festivaliers. En tendant l’oreille, son timbre doux se fait entendre, prend de l’assurance pour partager les peines parfois premières qui reflètent sa génération. 

 

Marius © Louise Pham Van

 

Les chansons tristes, trouvent aussi un écho dans la musique de Noor. Portée par une voix que la peine a rendue riche et habitée, il y a dans sa mélancolie l’envie d’un sourire. Presque fantomatique dans sa chemise trop grande et son timbre qui habite l’espace, elle transforme les relations toxiques et les blessures d’amour en refrains que l’on a encore envie d’écouter. 

 

Noor © Louise Pham Van

 

De formation danseuse, Iskwé pense sa musique en mouvements, images et couleurs. Vêtue d’une longue robe couleur or, elle entre sur le tout petit plateau de l’école ATLA telle un ange se posant sur votre épaule pour nous délivrer un set habité et solaire tout acoustique, sans ses boucles électro qui sont sa marque de fabrique. « L’un des outils essentiels ici, c’est la collaboration avec d’autres artistes et la construction de relations. Il ne s’agit pas d’avoir cette mentalité nord-américaine où l’on pense uniquement à ce qu’on peut tirer d’un partenariat. C’est vraiment important de créer des liens avec les gens. Quand tu arrives ici, il faut faire plusieurs tournées avant que les choses commencent à s’installer. J’apprécie la façon dont l’Europe fonctionne différemment de l’Amérique du Nord. » Iskwé.

 

Iskwé © LFC

 

Trois Baudets, la salle estampillée chanson francophone, accueille le quatuor néerlandais indie rock Loupe, rompu à ce genre d’exercice, trois Eurosonic à leur actif. Nina, Lana, Annemarie et Abel créent une alchimie unique sur scène. Les grooves délicats d’Annemarie, les lignes de basse envoûtantes de Lana et le jeu à la fois doux et puissant d’Abel dégagent un charme irrésistible, une fraîcheur indie délicatement fragile, tandis que Nina se risque à quelques mots en français. « Nous nous débrouillons assez bien en dehors des Pays-Bas, mais pas forcément sur place. Eurosonic est vraiment un super événement qui permet de rassembler tout le monde. C’est le seul endroit où tous les pays se rencontrent, comme si chacun avait une équipe. Nous revenons d’une longue tournée. Nous avons joué surtout au Royaume-Uni et en Allemagne. Nous avons assuré de nombreuses premières parties de groupes très connus, et le public était enthousiaste et nombreux. Le marché néerlandais est assez petit et il n’y a pas assez d’opportunités pour tous les musiciens. Pour le genre de musique que nous jouons, il n’y a que quelques groupes populaires qui sont là depuis des années. D’une certaine façon, d’autres pays semblent plus intéressés par notre style musical, et je trouve ça très bien. » Loupe.

 

Loupe © LFC

 

La Cigale est suspendu au souffle de Lossapardo. Le chanteur et peintre est drapé d’une timidité qui au contact des projecteurs tombe dans la foule pour laisser apparaître sa peau d’artiste. La musicalité aérienne épouse la modernité des basses pour jongler avec les modulations de sa voix de miel. Le plasticien dessine des ailes à ses notes afin qu’elles rejoignent la fausse, laissant sur leur passage une traîne de douceur.

 

Lossapardo © Louise Pham Van

 

 

Troublant

Hot Bodies déploie un kaléidoscope d’expressions artistiques sous divers pseudonymes : This Is Hello Monster, Icosaèdre, Tarek X, ou encore sous son vrai nom, Gérald Kurdian. C’est à la Boule Noire, aux premières heures de la matinée, qu’il nous emporte avec un début de set résolument électro-dance. Effet décoiffant pour le public, composé de professionnels et de journalistes, encore engourdis par la nuit, mais bientôt réveillés par cette atmosphère électrisante. Hot Bodies nous aura séduit, alternant électro dance et morceaux plus introspectifs à la guitare par sa voix très timbrée qui vous accompagne longtemps, bien après la dernière note. « Aujourd’hui, je reviens avec une nouvelle énergie, enrichie par mon expérience dans le club, et du rapport au corps. J’ai vraiment appris à faire bouger les gens et à utiliser la musique électronique pour son côté sensoriel, mystérieux et fluide, presque cinématographique. Pour moi, l’image est essentielle. Chaque morceau évoque un voyage : on commence sur une aire d’autoroute, puis on se retrouve dans ma chambre hantée, avant de plonger dans une cascade orange peuplée de démons et de fées qui baisent. Tout est très visuel dans mon esprit. Et sur scène, je me sens chez moi ; c’est là que tout cela prend vie pour moi. » Hot Bodies.

 

Hot Bodies © LFC

 

Virginie B. nous aura cueillis à froid pour le premier showcase du MaMA. Tornade d’énergie avec un set hyperpop aux nuances nu-jazz, funk et R&B. Malgré quelques soucis techniques, Virginie a su nous emmener dans son univers aux expérimentations stylistiques et musicales. Quoi de mieux pour démarrer un festival ?

 

Virginie B © LFC

 

Au-delà des débats qui agitent la profession, particulièrement la place de l’IA, le MaMA Convention & Festival a une fois de plus confirmé son rôle essentiel en tant que tremplin professionnel et public pour la scène émergente française et internationale. Le MaMA continue de célébrer la diversité et la créativité musicale, même si cette année le jazz ou le blues étaient en retrait, tout en offrant une plateforme importante pour les talents de demain. 

 

 

Texte Louise Pham Van et Lionel-Fabrice Chassaing