C’est à l’occasion de la sortie du très bel ouvrage « Jean-Charles de Castelbajac : Fashion, Art & Rock’n’Roll » que le créateur s’est confié à Modzik sur sa carrière, ses collaborations et le rock, dont l’esprit et la musique l’habitent depuis ses débuts.

Le titre de votre livre est « Fashion, Art & Rock’n’roll », que signifient ces trois mots pour vous ?
Tout simplement le sens de ma vie. J’ai commencé par le Rock’n’roll, qui m’a fait bouger, qui m’a donné l’énergie de partir à Paris. L’art m’a toujours fait vibrer et la mode, c’est mon métier. La cristallisation des trois donne l’histoire de ma vie, de mon travail.

Il y a toujours eu un lien entre ces trois domaines…
Oui, il ne devrait y avoir aucune frontière entre la mode, l’art et la musique. Quand je confie la musique de mes défilés à McLaren (Malcolm, figure du punk et ex-manager des Sex Pistols, ndlr) en 1977, quand je dessine des robes tableaux en 82 avec Keith Haring, Blais ou Di Rosa, quand je demande – dès 90 – à Michel Gondry de réaliser mes décors… Où est la frontière ? Aujourd’hui, les maisons s’en rendent enfin compte, heureusement !

Justement, parmi toutes ces collaborations, y en a-t-il une qui a été décisive dans votre carrière ?
Il y a un moment dont je me souviendrai toujours : j’étais avec Malcolm et David Johansen, qui devait jouer à l’Olympia le lendemain avec les New York Dolls. Très tard dans la soirée, il nous dit « demain, je veux être Marlène Dietrich, Maurice Chevalier et Mao Zedong. » On n’avait rien ! Donc on a fermé sa veste – sur laquelle on a accroché un badge Mao -, on a déniché un haut de forme et il a lâché ses cheveux. Ça m’a beaucoup amusé, c’était un joli moment.

Quel déclic vous a poussé vers la création ?
Quitter Limoges pour Londres. Quand vous vous retrouvez dans un club devant Jimmy Page – beau comme un dieu – qui se penche avec un archet de violon sur une guitare, vous vous dites « bon, qu’est-ce qui se passe ? » et quand il commence à fouetter cette guitare avec son archet, là vous avez envie de créer quelque chose vous aussi. Londres a changé ma vie, mon regard. C’est une ville qui m’a bouleversé. Je voyais la beauté où les gens ne la voyaient pas, je voyais l’élégance dans ce que les autres trouvaient décadent et trash, je voyais le sublime dans ce que les gens pensaient être des serpillières et des couvertures. La beauté ne doit pas être consensuelle.

Votre carrière est loin de s’essouffler, pourquoi sortir cette retrospective aujourd’hui ?
Je pourrais faire dix livres comme celui-là. Il y a un moment où c’est bien de mettre les choses au point. Mon influence sur la jeune génération de créateurs est indéniable, même sur certaines maisons emblématiques ! En 1982, je parlais des logos, un an après j’imprimais des visages de Jimmy Hendrix sur des robes… Je voulais un beau livre d’images, qui trouve sa place dans les écoles et pas seulement dans les musées, qui donne l’envie de créer à la jeunesse. Qui lui montre qu’on peut suivre son propre chemin. J’ai souvent été démodé, j’ai souvent dit non à la mode et ses tendances. En disant non, j’ai fédéré une armée de solitaires : Malcom Mclaren, Basquiat, Ebony Bones, Crystal Castles, des gens au talent alternatif. Un talent qui nous force à penser, qui nous fait bouger.

Vous parlez de la jeunesse, que pensez-vous de la manière dont elle crée aujourd’hui, par rapport à l’époque où vous avez débuté ?
Aujourd’hui, il n’y a pas d’intérêt à travailler de la même façon que dans les années 70 ou 80. Les gens voudraient ressusciter le punk ou d’autres mouvements, mais ce ne sont que des référents.  C’est très bien d’avoir des influences, mais s’embarrasser de trop de références peut être plus handicapant qu’autre chose. De nos jours il faut être un virus, s’introduire dans tous les médiums disponibles, les pénétrer, les détourner et se les approprier. En ce moment, je travaille avec Line, qui est l’application de messagerie la plus populaire en Asie, je dessine des stickers animés et je me dis que c’est là où je dois aller frapper.

Même lorsque votre mode est politique, on y trouve toujours une certaine légèreté. C’est important pour vous de conserver cet aspect ?
C’est important, c’est même primordial ! La légèreté et aussi le chic, qui doit être partout. Faire des habits porteurs d’une anecdote, c’est bien, mais pas en mettant de côté la fonction première du vêtement… dans ce cas, il faut changer de métier. Ce qui est intéressant en tant que designer, c’est de répondre à des questions, à des demandes. Tout part de la fonction.

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jc-de-castelbajac.com

Crédit image : Manuel Braun