Alors que l’affaire Harvey Weinstein secoue le monde du cinéma, le reste des industries culturelles, à l’instar de la mode, n’en a pas fini avec les dérives sexistes. Les témoignages des mannequins victimes de harcèlement, d’agression et d’abus en tout genre laissent entrevoir un monde où l’autorité masculine exerce une force sans pareil.

L’idée que la mode exploite les vies humaines, notamment celles des femmes n’est pas totalement étrangère au grand public. Désormais, les ONG, relayées par les médias, pointent régulièrement du doigt l’exploitation des femmes employées par les sous-traitants des marques du fast-fashion. À l’autre bout de la chaîne, la domination masculine s’exerce aussi avec violence. Les mannequins, en apparence valorisées, souffrent elles aussi d’abus au sein de l’industrie. L’année dernière, le directeur de casting James Scully avait ouvert la voie en dénonçant les conditions de travail déplorables et les discriminations lors de castings sur son compte Instagram. Cette fois-ci, les noms sont donnés, secouant quelque peu l’industrie. Quelques semaines plus tard, les mannequins elles-mêmes prennent la parole : Ulrikke Hoyer dénonçait les discriminations physiques qui l’auraient écartées d’un défilé Louis Vuitton, tandis que Leomie Anderson dévoilait la discrimination raciale à laquelle, elle avait dû faire face lors de la Fashion Week londonienne.

Plus récemment, le mannequin Cameron Russell a levé le voile sur d’autres pratiques abusives régulières dans l’industrie, cette fois-ci d’ordre sexuelle. Sur son compte Instagram, la mannequin a partagé plus de 70 témoignages anonymes de femmes travaillant comme mannequins ou modèles, accompagnés du hashtag #Myjobshouldnotincludeabuse, devenant le #MeToo de la mode. Chacune dénonce les différents abus, du harcèlement aux agressions sexuelles. Depuis, d’autres voix se font entendre, comme celle du supermodel Christy Turlington, qui, sans avoir subi personnellement ces comportements, dénonce un milieu entouré de prédateurs. En effet, comme le montre les témoignages publiés par Russell, les mannequins sont encouragées à se taire pour ne pas ternir leur carrière, poussées par leurs agents – parfois en connaissance de cause – à travailler avec ces individus qui continuent d’être employés par les magazines et les marques de renoms. L’ensemble du système de la mode participe ainsi à ces abus par une culture du silence, sans pour autant encourager concrètement ces agissements.

Terry Richardson pour Valentino, printemps-été 2016

Réaction immédiate ou décision trop mûrement réfléchie, le groupe d’édition Condé Nast, qui comprend les titres de presse prestigieux Vogue, Vanity Fair, Glamour et W, a demandé à l’ensemble de ses titres à l’international de cesser toutes collaborations avec Terry Richardson. Une décision importante qui révèle aussi de la lenteur de l’industrie à réagir. En effet, les accusations à l’encontre du photographe remonte (au moins) à 2013. Conséquence directe ou poursuite d’une nouvelle ligne de conduite plus éthique, la mode semble malgré tout prendre de plus en plus en compte les conditions de travail des mannequins, comme le montre l’accord mené par Kering et LVMH qui souhaite réguler l’âge et l’état de santé des modèles, et désormais les abus.

Cependant, l’affaire Richardson, à l’instar de Weinstein, ne semble être que la pointe d’un iceberg qui promet encore bien d’autres noms. Et, comme pour l’affaire Weinstein, les signaux d’alerte ont dévoilé régulièrement les différents abus de l’industrie, notamment sexuels, depuis plus d’une dizaine d’années. De la pression à poser nue en passant par l’absence de cabines pour se changer, jusqu’aux gestes déplacés et aux agressions, le corps des mannequins est considéré comme un objet depuis trop longtemps. En 2010, déjà, Sara Ziff (à l’initiative du syndicat américain Model Alliance qui vise à améliorer les conditions de travail des mannequins) retraçait son quotidien de mannequin dans le documentaire Picture Me. Elle y dévoilait, à travers les témoignages à demi-mots de ces collègues, les abus sexuels ayant lieu dans la mode. En tirant le fil des témoignages sur la réalité du métier au cours des décennies passées, on trouve évidemment le mannequin Karen MulderOutre les voix des mannequins, des documentaires comme celui du magazine 60 Minutes pour la chaîne CBS en 1988, ou celui de la BBC en 1999 faisaient déjà état des abus de la mode, notamment de nature sexuelle. La mode n’est pas la seule industrie à réagir avec retard face à ces problèmes et il lui reste encore beaucoup à faire. Alors que les langues se délient depuis longtemps, l’industrie de la mode semble désormais prête à leur accorder pleinement attention et agir en conséquence de manière durable.