Depuis hier, le monde de la musique est en deuil suite à l’annonce du décès du musicien Lou Reed. Il avait 71 ans. Hommage.
« Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un dans le rock qui écrive des textes qui signifient quelque chose, à part moi. Je ne parle pas à beaucoup de gens. Quand quelqu’un est plus intelligent que moi, je la ferme et j’écoute. Ça n’arrive pas souvent. » Dans la mythologie du rock, Lou Reed était un cas à part. Connu pour son caractère exécrable et sa condescendance envers ses semblables, c’était aussi un personnage fascinant par ses contradictions : derrière sa froideur, Lou Reed a écrit les textes les plus humanistes en matière de rock. « Je ne comprends pas comment quelqu’un comme Lou Reed, qui a écrit des chansons aussi intelligentes et belles, peut être parfaitement à l’opposé de tout cela en tant qu’être humain », confiera un jour John Cale, son grand ami, avec qui il forma l’un des groupes les plus influents du XXe siècle, The Velvet Underground.
Faisant ses armes dans la Factory d’Andy Warhol, la formation échappe à l’époque à toutes tendances, à toutes modes. A l’opposé des groupes Flower Power de la côte ouest américaine, le Velvet s’habille en noir, parle de prostitution et de drogue, de contes urbains noirs, et bâtit les bases de ce que deviendra plus tard le punk. Certains verront même en Lou Reed un prophète. On attribue à Brian Eno la remarque selon laquelle « si juste quelques milliers de fans achetèrent le premier disque du Velvet Underground, chacun d’entre eux créa un groupe ». Car à l’époque, le groupe ne vend rien et reste confidentiel. Si David Bowie incarnait l’imaginaire ; Iggy, le cri primal ; Lou Reed, quant à lui, personnifiait bien le réel, celui des bas-fonds, que ce soit celui des rues ou de celui de l’âme. Reed était là, bien réel, errant dans Brooklyn, cherchant sa dose, traînant avec les travestis, faisant l’amour par procuration. Dans ce New York cramé, overdosé de tous les vices de l’espèce humaine, Lou Reed était flamboyant, prince noir d’un royaume de béton.
L’artiste n’aura finalement fait que fuir, à l’instar d’un Dylan, désirant toujours être là où on ne l’attend pas. Quitte à se mettre tout le monde à dos, y compris lui-même. Après les années Velvet, Reed entame sa carrière solo, et prend tout le monde à contre-courant. On le retrouvera, ainsi, en 1975, avec l’album Metal Machine Music, inaudible pour beaucoup, mais précurseur du rock industriel, et icône du glam rock (malgré lui) avec l’album Transformer (le seul hit du chanteur avec Take A Walk On The Wild Side). Lou Reed était toujours imprévisible, preuve en est encore de sa récente collaboration avec Metallica sur l’album Lulu.
Lou Reed nous fascinera toujours, parce qu’il aura su garder un mystère entier autour de lui. Brouilleur de pistes notoire, et cauchemar incarné pour tout journaliste qui a déjà tenté l’expérience de l’interview : « Je ne suis pas certain de comprendre ce qui me pousse à écrire. C’est à la fois, une horrible douleur et un bonheur exquis. Et pourtant, si cela ne tenait qu’à moi, je ne ferais qu’écrire, je ne parlerais jamais. Lorsque j’écris, je contrôle parfaitement ce que je fais, je peux me corriger, atteindre la concision idéale. Je déteste parler ». Si Iggy Pop hérite du surnom d’Iguane, Reed est, quant à lui, surnommé « The Raven », le corbeau. Un honneur pour ce féru d’Edgar Allan Poe. « Je suis un artiste, et cela signifie que je peux être aussi égocentrique que je le veux. » Ainsi, parlait Lou Reed. L’homme a toujours fait et raconté ce qu’il voulait, comme il l’explique dans sa biographie : « Je suis un menteur. Vous prenez tout cela beaucoup trop au sérieux ». Insaisissable, donc…
En 2012, l’homme avait sorti un recueil de ses photographies, un art qu’il exécute depuis ses jeunes années à la Factory. Et une fois encore, c’était un autre Lou Reed que l’on croyait saisir : un homme émouvant, proche de la nature, sachant trouver l’émotion brut dans les visages, les natures mortes. Ses derniers clichés sont touchants, donnant l’impression que l’homme était en rédemption, réconcilié avec ses vieux fantômes.
Par Guillaume Cohonner