Entre une tournée mondiale inédite pour fêter les 25 ans de l’album Moon Safari de AIR, duo que JB Dunckel forme avec Nicolas Godin, et la composition de la musique du ballet Möbius Morphosis, revisité par son créateur, le chorégraphe Rachid Ouramdane, à l’occasion des Olympiades Culturelles des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, JB Dunckel délaisse les séances de bronzage à la plage et préfère éclabousser le monde de sa French Touch. C’est donc à travers un écran que nous l’avons rencontré pour parler musique, ballet et… intelligence artificielle !
En premier lieu, comment est née cette collaboration avec Rachid Ouramdane pour Möbius Morphosis ?
C’est Radio France qui nous a mis en contact. Ils avaient décidé d’inclure la maîtrise de Radio France, une chorale composée de jeunes chanteurs d’origines diverses, pour la nouvelle version prévue à l’occasion des Jeux Olympiques, et Radio France, qui avait aimé une prestation live que j’avais faite au studio 104 quelque temps auparavant, a pensé à moi.
Quelles ont été tes inspirations musicales pour composer la musique de Möbius Morphosis ?
Je me suis surtout inspiré des musiques de films. Parmi mes favorites il y a celle de 2001 Odyssée de l’espace, on retrouve un chœur qui chante et qui fait très peur dans une scène. Il y a aussi évidemment la musique de Hans Zimmer, avec par exemple, les percussions dans Dune, ou la musique de Thomas Newman, avec une scène dans American Beauty où il emploie un Marimba, un xylophone en bois originaire d’Amérique Latine. Plus classique, il y a aussi le Requiem de Mozart qui reste incontournable.
Comment as-tu composé la musique ? En dialogue avec la chorégraphie ou indépendamment ?
J’ai composé la musique du ballet comme une musique de film, c’est-à-dire en avançant tableau par tableau. Je me suis adapté au rythme de la chorégraphie. Si la danse va vite alors le rythme de la musique sera speed, au contraire, quand la danse est calme et contemplative la musique sera plus lente et douce. Je voulais respecter l’atmosphère du ballet et composer la musique en dialogue avec les mouvements pour accompagner les spectateurs.
Qu’est ce que tu as pensé de la chorégraphie la première fois que tu l’as vue ?
La première fois que j’ai vu le ballet, j’ai trouvé ça très dangereux (des acrobaties composent la pièce chorégraphique NDLR) , j’ai surtout eu peur pour eux (rire) ! Ça m’a donné envie de créer une musique équilibrée pour ne pas les déséquilibrer. Puisqu’il y a de la haute voltige, je voulais aussi éviter le coté suspens du cirque en ajoutant des percussions comme on voit souvent dans ces spectacles. J’ai essayé d’alterner entre des passages aériens mais aussi d’autres plus sauvages.
La collaboration avec Rachid Ouramdane n’est pas la seule fois que tu composes pour une œuvre d’un art différent. Tu as aussi composé pour le cinéma par exemple, qu’est ce que ça apporte de composer pour une œuvre qui appartient à un autre domaine artistique ?
Évidemment, on s’enrichit artistiquement. Cela permet de sortir de sa zone de confort, de se confronter à des choses qui déstabilisent. Par exemple, composer pour un film demande de se plier au cadre donné par le / la réalisateur.ice qui a une vision bien précise de ce qu’il/elle veut. Pour un ballet, c’est la longueur de l’œuvre qui représente un défi. Il y a aussi les thèmes qui reviennent mais que l’on doit adapter sous plusieurs formes pour illustrer les variations de la danse et que le public ne s’ennuie pas. Cela requiert une vraie capacité à moduler la musique qui devient une matière malléable. Selon moi, la musique est infinie et riche, il ne faut pas avoir d’idée préconçue, il n’y a pas de lois et pas d’erreurs.
Tu disais, dans une émission de radio que le ballet fait l’éloge de l’effort collectif et du vivre-ensemble. Composer pour une chorale ou un orchestre est, comme le ballet, un travail pensé pour que plusieurs éléments donnent une forme finale grâce au travail collectif. En quoi la collaboration avec la maîtrise de Radio France incarne le vivre-ensemble du ballet ?
La maîtrise de Radio France est composée de cinquante chanteurs et chanteuses, allant des altos aux sopranos. Ce sont des adolescents qui viennent de partout, parfois des beaux quartiers, parfois de banlieue, certains issus de l’immigration. La chorale permet de faire cohabiter des gens différents culturellement. Cela va à l’inverse de l’idée que l’on peut se faire du milieu de la musique et de la danse que les gens imaginent comme très normés et élitistes. De même, Rachid Ouramdane aime ouvrir la danse à différents profils, par exemple pour Möbius Morphosis, il y a des danseurs professionnels, mais aussi des acrobates de cirque.
Möbius Morphosis sera représenté à l’occasion des Olympiades culturelles des Jeux Olympiques. Selon toi, quel est le lien entre sport et musique ?
Il y a un lien étroit entre les deux ! Pour un musicien, l’aspect musculaire de la pratique est essentiel, il y a des entraînements quotidiens, il faut pratiquer tous les jours, se muscler les doigts, travailler l’agilité, l’endurance… Comme les sportifs, les musiciens professionnels ont peur de la blessure. On peut souffrir de douleur chronique aussi, les douleurs aux nerfs et aux tendons sont terribles parce que ça se propage dans tout le corps. La seule différence est peut-être que la musique rassemble les mouvements et les sentiments. Il faut autant cultiver son esprit que ses muscles, car ce qui se passe à l’intérieur se voit à l’extérieur. La culture judéo-chrétienne a séparé le corps et l’esprit, alors que la culture asiatique, par exemple, reconnait davantage la circulation de l’énergie. Selon moi, il faut autant discipliner son esprit que son corps. La musique est un apprentissage au lâcher prise.
L’aspect technique de la pratique des instruments est donc très important, on est loin de l’image de la musique électronique entièrement faite par ordinateur, non ?
La musique électronique ne se résume pas à l’électronique contrairement à ce que l’on croit. Ces derniers temps, il y a même un peu un ras-le-bol du son de l’ordinateur. Les instruments restent très expressifs et naturels. L’ordinateur ne pourra jamais entièrement remplacer les sons acoustiques.
Dans ce cas, tu n’es pas de ces musiciens qui ont peur des IAs ?
Ah, si (rire) ! Les IAs mettent réellement en danger les artistes. Il est possible que ce que je dis maintenant ne sera plus vrai dans cinq ans, peut-être qu’il s’agit juste d’une peur infondée comme ça a été le cas pour chaque innovation technique avant. Mais à mon avis, la prochaine étape, c’est la conscience et là, on sera mal, un peu comme dans Blade Runner !

Texte Ait Ouadda Anouk