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C’est presque par accident que 2TH entre dans la musique. À 17 ans, sans réelle ambition artistique, il poste Ne fuis pas, un morceau enregistré sur une prod trouvée sur Internet. Ce qu’il pensait être son dernier titre devient finalement le point de départ d’un parcours singulier. En pleine préparation du bac et déjà inscrit dans un cursus post-bac, Matthias, de son vrai prénom, voit peu à peu la musique prendre le dessus. Sept ans plus tard, nous rencontrons 2TH, devenu artiste-entrepreneur, à la tête de plusieurs projets mêlant musique et production audiovisuelle. Curieux, réfléchi, il observe l’industrie avec lucidité et cherche désormais à partager son expérience.
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À 25 ans, il fait partie de cette génération d’artistes français qui fusionnent rap, pop et mélodie avec une aisance naturelle. Très tôt, il prend en main sa carrière. À 19 ans, il fonde Apollo Sound, son propre label indépendant, mû par un besoin d’autonomie. Après une courte mais intense expérience chez Polydor, il revient à ses racines indé, renforcé par cette immersion dans le monde des majors. Aujourd’hui, il avance avec une vision claire, entre création artistique et gestion de projets, fidèle à l’idée que liberté et maîtrise sont les clés d’un parcours durable.
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L’instinct d’indépendance
2TH : Apollo Sound, c’est un label qu’on a monté très tôt, en 2019, avec deux de mes meilleurs potes. On faisait du son ensemble depuis nos 17 ans, et on avait déjà cette envie d’indépendance.
À ce moment-là, plusieurs labels venaient nous voir, mais on ne comprenait pas forcément ce qu’ils nous proposaient. Et surtout, dans le rap, il y avait cette mentalité très forte : « on reste indé, fuck les majors ». Moi, j’ai grandi avec ça.
Quand on t’a toujours dit que les maisons de disques sont pleines de requins, forcément, t’as envie de faire ton truc toi-même. Et comme ça marchait déjà plutôt bien, on n’en voyait pas l’intérêt. Apollo Sound, c’était notre manière de rester libres.
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L’aventure major : une leçon à la dure
Après plusieurs années à tracer sa route en indépendant, 2TH rejoint néanmoins une major en 2022.
« Sur le papier, c’était une super opportunité. J’avais envie de tester une autre aventure, de voir si cela pouvait apporter un vrai plus, surtout en termes de médias et de visibilité. Et puis, je me disais : “On t’a toujours dit que les majors, c’est la galère, mais tu ne l’as jamais vécu.” »
L’expérience ne se passe pas comme prévu.
« Un mois après ma signature, le directeur artistique qui m’avait signé, part. Toute son équipe aussi. Et derrière, trois directeurs, trois équipes différentes. Des process sans fin. Heureusement, j’étais en licence, donc j’ai pu continuer à sortir mes sons, même si je devais tout faire moi-même. »
Le tournant arrive avec une nouvelle équipe motivée et un EP 5 titres, Les Prémices, un projet salué par son public.
« On préparait l’album, on annonçait l’Olympia, la Scala… Et une semaine après la sortie, on m’appelle pour me dire que le label ferme. J’étais choqué. Franchement, c’était la cata. »
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Revenir à l’essentiel
2TH choisit alors de repartir de zéro, en indé.
« J’ai préféré tout reprendre à la main. C’était dur, mais nécessaire. J’avais appris ma leçon : je savais que je voulais rester libre. Heureusement, j’avais Triple-Double (label 360° qui accompagne les artistes dans chaque dimension de leur parcours, NDLA) à mes côtés, on a retrouvé des partenaires et on a relancé Apollo Sound sur de bonnes bases. »
Aujourd’hui, le label s’est structuré et développe aussi d’autres artistes, comme Odetto, remarqué en première partie de 2TH.
« Odetto, c’est un super projet qu’on pousse beaucoup. On bosse à la fois sur l’artistique, la prod, le développement. Ça marche bien. Apollo Sound, maintenant, c’est un vrai label. »

« Transmettre ce que j’aurais aimé savoir »
2TH a appris son métier sur le tas. « J’ai été bien entouré, j’ai eu la chance d’apprendre vite. Et comme mon projet a marché très tôt, j’ai pu observer les majors, comprendre comment elles fonctionnent. Ça m’a servi. »
Aujourd’hui, il met cette expérience au service d’autres artistes. « J’ai vu tellement de douilles, de pièges dans ce milieu. Ce que j’essaie de faire, c’est d’éviter à d’autres de tomber dedans. Quand t’es jeune artiste, tout va vite, t’as la pression, t’as envie de réussir. Et c’est là que tu peux te faire avoir. Alors j’essaie d’être un relais, de transmettre un peu ce que j’aurais aimé qu’on me dise. »
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Vertical : l’image au format du présent
En parallèle, 2TH a cofondé Vertical, une société de production vidéo pensée pour le monde post-YouTube. « Avec Victor Marcadet, mon pote réalisateur et cadreur, on a vu que les clips commençaient à perdre leur rôle central. Aujourd’hui, les gens découvrent la musique sur TikTok ou Spotify, pas forcément via YouTube. Alors, on a voulu réfléchir à une nouvelle manière de produire de l’image musicale. »
De cette idée est née une structure spécialisée dans le format vertical, adaptée aux réseaux sociaux. « Vertical existe depuis deux ans, et on est une dizaine maintenant. On bosse avec des artistes, des labels, des marques. L’idée, c’est de garder une vraie patte artistique, même dans ces nouveaux formats courts. Le clip n’est pas mort, mais il n’est plus au centre du jeu. Il faut juste repenser la façon dont on relie l’image à la musique. »
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Jouer, créer, recommencer
Chez 2TH, chaque sortie devient une aventure. Littéralement. Pour la sortie de son album Joyeuse Mélancolie , il a créé… un jeu vidéo. « On avait tout un univers : la ville, les enceintes, le mouvement… et moi j’adore faire des trucs un peu fous », raconte-t-il. « Des jeux de piste, des trucs qui font marrer les gens. »
L’artiste se souvient d’un avion affrété pour un précédent projet, un faux projet en ligne, de morceaux dissimulés à deviner. « C’est beaucoup de prise de tête, mais j’aime trop. Et j’ai la chance d’avoir une communauté à fond. Sur Discord, ils sont comme des dingues. » Alors cette fois, il a voulu aller plus loin : un vrai jeu, une récompense de 1000 euros pour le meilleur score, et un clip pensé comme le miroir de cette course virtuelle. « C’est parti en vrille ! On s’est fait attaquer par des hackers, le développeur du jeu était en PLS… Mais c’était trop marrant. On a vérifié le gagnant, on lui a filé son chèque, tout était clean. Ça a dépassé les frontières de ma communauté, et c’était exactement le but. »
Ce goût du jeu, 2TH le relie à sa manière de penser la musique : avec curiosité et dérision, mais aussi avec une vraie exigence. Car son premier album, Joyeuse Mélancolie, marque selon lui une forme d’apogée. « Je dis apogée parce que c’est un point culminant, pas une fin. Deux ans après l’annonce de l’Olympia, je ne suis plus le même artiste, ni la même personne. » Un Olympia sold out qu’il a célébré avec les amis en invités surprises dans une ambiance survoltée. Il évoque les changements, les moments de doute : « Je me suis demandé si j’allais continuer, ou pas. Mais l’Olympia m’a fait redescendre sur terre tout en me remettant dans les nuages. Je me suis dit : « mec, t’es un artiste, fais ta musique ». »
Ce concert, et cet album, sont pour lui la clôture d’une époque commencée sept ans plus tôt avec son premier EP Rêver plus grand : « Ça fait trois ou quatre ans que je bosse dessus, sept ans que j’en rêve. Pour moi, cet album, c’est une apogée, la fin d’un cycle, et le début d’un autre ».
Quand il parle de Joyeuse Mélancolie, il cite spontanément les noms de ceux qui l’ont accompagné : Møme, Bellaire, Jean Tonic, Major Mineur… « C’est un album de famille. Je voulais aller chercher des producteurs d’électro que j’admire depuis toujours, et leur dire : “Fais ta musique, je rapperai dessus”. »
Cette manière de travailler, presque à rebours de la logique habituelle, donne au disque son identité hybride : un rap traversé d’énergie club, une électro qui conserve du texte et du grain. « Souvent, les producteurs me disent : “Tu veux qu’on bosse ensemble, mais tu veux que je fasse comme si t’étais pas là ». Et je réponds : « oui, exactement. C’est comme ça qu’on garde l’ADN ». »

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Évoluer sans se trahir
Quand il regarde sa discographie, 2TH sourit. « Rêver plus grand, Espoir (vol 1&2)… Avec le recul, c’était fou que ça marche autant. Les structures étaient bancales, les couplets trop longs, c’était naïf. Mais ça a cartonné. » Il parle de ses débuts avec tendresse, cette période d’innocence où il écrivait sans réfléchir, dans un pur élan, sans filtre. « C’était des dissertations, des freestyles, tout ce que j’avais dans la tête. Il y a des morceaux que je ne peux même plus refaire en concert tellement c’est tordu. »
Depuis, il a appris à se canaliser. À penser la forme autant que le fond. « Je savais écrire, rapper vite, faire des punchlines, mais je ne savais pas faire un vrai refrain. Ni utiliser ma voix pour chanter. » Cette prise de conscience a marqué une évolution majeure. Il s’est imposé un travail presque méthodique : sur la mélodie, la structure, la top line. « Avant, je m’en foutais complètement. Maintenant, je cherche l’équilibre entre technique et émotion. Entre rap et chant. »
L’électro, omniprésente dans son dernier album, lui a imposé de nouvelles contraintes, mais aussi une liberté nouvelle. Joyeuse Mélancolie est devenu ce terrain d’expérimentation : un disque à la fois dansant et introspectif.
« J’ai envie de continuer à chercher cet équilibre, mais aussi de tout déstructurer. De revenir à des morceaux plus décousus, moins codifiés, avec l’expérience que j’ai aujourd’hui. Revenir à une forme d’innocence maîtrisée. » Il évoque ce désir de se libérer des formats, de ne plus penser en termes de durée, de couplets ou de refrains. « C’est drôle, avant je faisais des morceaux de sept minutes. Aujourd’hui, mes titres dépassent à peine trois minutes. Pour moi, ça s’est fait naturellement. Et Maintenant, c’est la norme, l’industrie veut ça. Mais moi, j’ai envie de recommencer à étirer le temps. »

Et puis il y a un autre sujet, plus vertigineux encore : celui de l’intelligence artificielle. « C’est une putain de question, ça, lâche-t-il en riant. C’est fascinant et flippant à la fois. » Au début, il a beaucoup emprunté à Youtube. Son premier EP Rêver plus grand emprunte quasiment en intégralité à Mirage, l’EP du groupe Else. « Ca a été une rencontre de fou. Avec les mecs de Else, on a produit tout mon projet. Ça a été une rencontre de malade. »
2TH s’est mis à la production, une envie née de son admiration pour Stromae. « Il a ce côté producteur complet, capable de raconter quelque chose sans mots. J’aimerais aller vers ça. » Mais l’arrivée de l’IA change la donne. Il la voit comme un outil, pas une menace, à condition d’être transparente. « Ce qui me dérange, c’est le mensonge. Que des gens écoutent des morceaux full IA sans le savoir. Il faudrait que les plateformes l’indiquent. » Il la teste parfois pour l’inspiration, pour générer une mélodie, débloquer une idée, sans jamais l’utiliser telle quelle. « C’est comme un assistant. Mais une IA ne fera jamais un morceau avec une âme. Elle reproduit ce qui existe. Elle ne crée pas. Aujourd’hui, n’importe qui peut être artiste, même un banquier, avec une IA et une page Spotify. C’est cool, mais ça fait peur. » Il marque un silence, puis reprend : « Moi, tant que j’aurai quelque chose à dire, je ferai de la musique. Pour de vrai. »
Ce qu’on retient de 2TH, au fond, c’est ce paradoxe assumé : un artiste joueur et méthodique, lucide et rêveur, capable de se moquer de lui-même tout en posant les questions essentielles. À travers ses projets, il compose un équilibre entre contrôle et spontanéité, énergie et réflexion.
Et si Joyeuse Mélancolie est bien une apogée, c’est celle d’un artiste qui sait déjà que le plus intéressant, le désordre à venir, ne fait que commencer.
Joyeuse Mélancolie est disponible via Apollo Sound/Sony Music.
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Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture ©️ 2TH
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Merci au restaurant Les Chartrons pour leur accueil.
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