La chaleur régnait ce jour-là à Rock en Seine, Sylvie Kreusch semblait traverser la scène comme si elle flottait. Née à Anvers, elle a toujours oscillé entre deux mondes : la scène musicale et le podium.
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« Je suis souvent venue à Paris. Pour la Fashion Week, bien sûr, mais aussi avec Warhaus. Quand j’étais enfant, je passais souvent par Paris en allant en Dordogne. Beaucoup de mes amis vivent ici aujourd’hui, dont plusieurs d’Anvers qui sont désormais très présents à Paris. On y a fait des choses folles dans la mode . »
Sur scène comme dans la rue, elle habite l’espace avec intensité. Avec Ann Demeulemeester ou Olivier Theyskens, elle transforme le podium en scène et y laisse affleurer une part d’elle-même, habitant les tissus avec la même sensibilité que ses chansons. Elle dessine elle-même ses tenues de scènes : « Je les crée avec une fille qui les fabrique toujours pour moi. Et c’est tellement bien, parce qu’on peut les garder, il y a toujours un souvenir qui s’y rattache. Je les garde dans ma maison, j’ai une pièce dédiée à ça maintenant ».
Alors que sort ce vendredi l’édition Deluxe de son album Comic Trip, elle explique la logique de ces nouveaux titres : « ils sont peut-être plus oniriques, c’est la raison pour laquelle, ils ne figuraient pas sur l’album. Je les ai écrites en même temps que l’album. il y a quatre chansons supplémentaires. C’est juste un petit cadeau supplémentaire pour les fans ».
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La nostalgie est une constante dans ses paroles et ses pensées : « Je peux devenir vraiment triste juste en pensant à un moment de ma vie, ou simplement quand ça me frappe que je ne serai plus jamais une enfant, par exemple. Ou même des choses bêtes du genre « je ne revivrai jamais cette journée « , ou juste quand je regarde d’anciennes images, les voitures dans la rue, comment les gens s’habillaient, à quoi ressemblait le monde… ça me rend vraiment triste. Et le futur me fait très peur aussi, pas seulement à cause de la guerre ou du réchauffement climatique, mais aussi à cause de ce à quoi tout ressemblera. Je ne sais pas, j’ai peur que tout devienne si froid, même les maisons, tu vois… Oui, je suis super nostalgique ».
Elle réfléchit également au temps qui passe pour les femmes : « Je suis dans la trentaine, on t’assigne à être mince, je pense que c’est encore un énorme problème. C’est même pire sur Internet, avec toutes les pubs sur comment rester mince ou comment rester jeune. Et puis aussi, je ne sais pas, en tant que chanteuse aussi… Je pense que quand il y a de très jeunes chanteuses qui explosent et deviennent virales, les gens les encensent. Mais il y a aussi des femmes qui obtiennent enfin leur reconnaissance à quarante ans, et j’ai l’impression que les gens ne les applaudissent pas autant. Alors qu’elles méritent encore plus de respect, parce que ça veut dire qu’elles ont juste continué, qu’elles n’ont jamais abandonné. Et je pense que parfois on a un peu peur, en tant que femmes, qu’il ne nous reste plus que ce laps de temps-là, juste ce petit moment. Je me dis qu’il faut vraiment… ne pas en avoir rien à faire ».
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Malgré cette mélancolie, Sylvie Kreusch aime la joie de la musique : « Avec Comic Trip, je voulais faire quelque chose de joyeux. Enfin, ça ne peut pas être que joyeux, parfois tu as besoin d’être dans le down pour retrouver la joie ». Elle évoque aussi sa Belgique natale : « Je pense que ce qui se passe avec la Belgique, c’est que comme on est un très petit pays, on a parfois l’impression de ne pas avoir une culture vraiment forte. Beaucoup de gens ne connaissent même pas la Belgique : ils connaissent Bruxelles, mais pas vraiment le reste. Et puis, tout se divise encore entre la partie francophone et la partie flamande. Malheureusement, on ne connaît pas grand-chose du côté francophone, et eux ne connaissent pas grand-chose du côté flamand, surtout quand il s’agit d’art, de musique ou de cinéma. Donc oui, on est juste très petits, et ça nous rend peut-être un peu plus humbles. En même temps, c’est aussi super intéressant, parce qu’on est au centre de l’Europe. Je pense que ça fait que nos sens sont plus ouverts, qu’on reçoit plein d’influences qui viennent de toute l’Europe et du reste du monde. Quand tu écoutes, par exemple, la pop française, tu reconnais tout de suite cette identité très marquée. En Belgique, j’ai l’impression que les esthétiques musicales sont peut-être plus variées ».
Son désir de s’exporter est évident : « Parce que la Belgique est si petite. C’est tellement cool. C’est un sentiment dont je ne me lasserais jamais : aller dans un autre pays, dans une ville où tu n’es jamais allé, et… et les gens achètent tes billets. Les gens sont là. Ils connaissent tes chansons. Ils connaissent ton histoire. Ils t’envoient des messages… Je trouve ça incroyable que la musique permette vraiment d’avoir des conversations avec des gens partout dans le monde. Les gens découvrent ta musique… Donc je trouve ça super de partir à l’étranger et de ne pas rester dans son coin. Je veux dire, je pourrais rester en Belgique et j’aurais beaucoup plus d’argent. Je pourrais acheter une très, très grande maison. Je dois investir tout le temps. J’investis beaucoup pour aller à l’étranger et ça ne rapporte rien du tout, mais c’est tellement cool de voir tout le monde, de rencontrer tous ceux qui connaissent ta musique ».
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Le concert est un moment de communion avec ses musiciens et le public. « Je pense que c’est important aussi que quand on nous voit en live, ce soit une vraie surprise, que les gens n’entendent pas juste exactement ce qu’il y a sur l’album, et qu’ils ressentent une énergie complètement différente. Mes musiciens sont un aspect très important. Je veux les laisser briller eux aussi. Et je pense qu’ils donnent beaucoup d’énergie sur scène. Ce n’est pas seulement moi qui donne l’énergie. Je pense que c’est important, surtout aujourd’hui, qu’on donne plus d’attention aux musiciens, parce que maintenant avec l’IA… je ne sais pas, j’ai l’impression que beaucoup d’artistes les mettent en arrière-plan, derrière le rideau. Et je ne sais pas, c’est tellement beau à regarder, quelqu’un qui joue d’un instrument. C’est important que cette dimension de la musique reste vivante. »
Elle détaille enfin le poids économique du live : « Ce que je pense, c’est que maintenant il y a énormément de DJs, et leurs cachets sont super élevés, alors qu’ils n’ont pas besoin de grand-chose pour être sur scène… Mais je pense que si tu veux qu’un groupe joue, tu dois regarder combien de personnes sont sur scène. Parce que parfois, quand je joue à l’étranger, on me propose un cachet tellement faible que je ne peux même pas payer tous mes musiciens. Bien sûr, je vais toujours les payer, mais ça me met dans le rouge… Si tu restes réaliste, c’est presque impossible. Sauf si tu fais un album sans musique live, alors là, tu peux ».
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À travers plus d’une décennie de création, Sylvie Kreusch s’est imposée comme une artiste qui refuse la répétition. De ses débuts avec Warhaus à ses projets solos, sa musique allie toujours une mélancolie raffinée à une singularité sonore constante. Regarder l’œuvre de Sylvie Kreusch, c’est comprendre que sa signature réside autant dans l’esthétique que dans la liberté qu’elle s’accorde. Son parcours témoigne d’une quête constante : inventer des dialogues entre disciplines, surprendre et émouvoir. Elle reste une exploratrice inlassable, capable de transformer chaque note en expérience unique.
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Comic Trip est disponible via Seedy Tricks/Sony Music. En concert à Paris (Gaité Lyrique) le 29 novembre 2025.
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Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture ©Eloise Labarbe
Remerciements à Rock en Seine et Ephélide.
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