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Il y a toujours eu chez Ezra Furman une forme de bascule. Une voix qui vacille, un corps en feu, une musique qui tangue entre l’abandon et la rédemption. Avec Goodbye Small Head, elle signe son disque le plus brûlant, un album de bordure, composé au bord du lit, au bord du monde, au bord du soi. Douze morceaux comme autant de fragments d’une chute traversée en pleine conscience. Pas une métaphore. Une expérience. On n’écoute pas Goodbye Small Head, on tombe avec elle. Et parfois, on atterrit ailleurs.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : si Furman vacille, ce n’est pas sans raison. Composé dans le sillage d’une maladie inexpliquée, Goodbye Small Head est à la fois journal d’un corps défaillant et bande-son d’une libération. Loin des hymnes communautaires des derniers albums, elle revient ici à une solitude radicale. Un cri intime. Une tempête sans abri.
Créer depuis la douleur
Ce disque naît dans une forme d’épuisement. Victime d’une maladie inconnue qui l’a clouée au lit pendant une longue période, Furman compose en marge, entre deux poussées de fièvre, en s’accrochant à ce qu’elle peut. La musique devient exutoire, terrain de résistance, et surtout trace d’un combat. Elle le dit elle-même : Goodbye Small Head n’est pas une métaphore, c’est une expérience. Le son d’un corps qui lâche et d’un esprit qui s’accroche.
Ici, pas d’autotune, pas de mise à distance. Tout est organique, direct, souvent brut. La production de Brian Deck (Modest Mouse, Iron & Wine) accentue cette sensation de proximité : on entend la pièce, les musiciens, le souffle.

Une esthétique de la chute maîtrisée
Ce n’est pas un disque chaos, mais un disque qui assume le chaos. Loin des textures synthétiques de ses précédents projets, Furman revient à un son plus brut, presque live. Les guitares tranchent, les cordes grincent, la voix ne cherche plus à séduire. Elle tremble, elle lâche, elle est juste.
Quelques titres se détachent, comme Submission, morceau central de l’album où tout semble s’éteindre lentement : voix brisée, instrumentation minimale, intensité sourde. Mais globalement, ce qui frappe, c’est la cohérence d’ensemble. Furman n’alterne pas les registres : elle creuse une même veine, jusqu’à l’os.
Adieu au contrôle, pas à la lucidité
Le titre de l’album vient d’un cri lancé par Corin Tucker (Sleater-Kinney) lors d’un concert en 1999. “Goodbye small head!” : une manière de dire adieu à la pensée rationnelle, à la maîtrise. Furman s’en empare comme d’une devise, une incantation. Car ce disque, c’est ça : un saut dans le vide, un refus de la logique, une foi dans l’instinct.
Mais l’album ne sombre jamais dans le désespoir. Il y a une forme de clarté dans cette déroute. Une volonté de documenter ce qui vacille sans jamais se plaindre. À 37 ans, Ezra Furman signe peut-être son disque le plus mature. Le plus libre, aussi.
Une artiste en mouvement permanent
Depuis ses débuts, Ezra Furman se réinvente. Punk, glam, folk, pop baroque, rock spirituel : elle a tout traversé, souvent à contre-courant. En tant qu’artiste trans, elle a souvent utilisé la musique comme un lieu de résistance, mais Goodbye Small Head va plus loin. Il ne s’agit plus de porter une cause. Il s’agit de tenir debout. De se raconter sans filtre.
Et c’est ce qui fait la force du disque : il ne cherche pas à plaire, ni à expliquer. Il expose. Et dans cette exposition, il touche juste.

Goodbye Small Head sera disponible le 16 mai 2025 via Bella Union.
Texte Boris Lemoine
Image de couverture Eleanor Petry