Judeline est une artiste singulière, dont la musique oscille entre modernité et héritage culturel. Originaire de Cadix, elle puise dans ses racines pour façonner un univers où spiritualité, poésie et expérimentations sonores se mêlent. À seulement 22 ans, elle s’apprête à monter sur la scène de Coachella et se fait une place de choix sur la scène internationale. En 2024, elle se produit d’ailleurs en tournée avec J Balvin. C’est juste avant la cérémonie des Music Mooves Europe que nous avons l’occasion de la rencontrer. Véritable paradoxe, sur scène, elle se transforme en lionne, tandis qu’en ce jour précis, elle apparaît plus réservée. Rencontre avec une artiste instinctive et passionnée.

 

 

Une ascension inattendue

Tout a commencé à 16 ans, en pleine pandémie. « J’ai gagné un concours en envoyant une simple note vocale enregistrée sur mon téléphone », raconte-t-elle. Une année plus tard, elle se trouve à Madrid. Ce moment fut un moment fondateur. « J’étais toujours dans ce studio où passaient beaucoup d’artistes différents, et j’en ai rencontré quelques-uns. Petit à petit, les choses se sont améliorées. »  D’abord autrice pour d’autres artistes, elle prend peu à peu confiance et se lance dans son propre projet : « J’ai décidé d’arrêter d’écrire pour les autres et de me concentrer sur ma musique ».

 

Entre héritage et modernité

Judeline se distingue par son univers, nourri de références spirituelles et culturelles. Son premier album, Bodhiria explore un concept mystique entre rêves et limbes INRI, son single en est une parfaite illustration : « J’ai grandi dans une ville où les influences arabes, catholiques, gitanes et juives se mélangent. J’ai étudié dans une école catholique, mais j’étais la seule athée de toute l’école. J’ai toujours été fascinée par la foi, j’aime vraiment observer et regarder les différentes façons de vivre la foi. Toutes les religions m’intriguent, tu vois ? J’ai toujours été curieuse de savoir,« la intimidad », quand les gens sont seuls, ce qu’ils mangent, ce qu’ils ressentent, quel est leur type de foi ? J’étais curieuse de voir mes amis musulmans, ou ma grand-mère passionnée par le Christ cela m’a vraiment inspirée. » Son attachement à la Semaine Sainte de Cadix, avec ses processions et ses chants sacrés, l’a profondément marquée : « Chaque année, je ressens une émotion indescriptible en voyant le Christ que ma famille vénère. La musique et l’ambiance sont bouleversantes ».

 

Une enfance solitaire, bercée par la musique

Judeline a grandi dans un petit village de 200 habitants, où elle était souvent seule. « Je suis la petite dernière d’une fratrie où ma sœur aînée a 46 ans. Il y a une grande différence d’âge, j’ai toujours été dans mon propre monde », confie-t-elle. Cette solitude, elle l’a remplie avec la musique et le digital : « J’étais une enfant iPad, c’était ma seule connexion avec le monde extérieur ». Elle tient aussi beaucoup de son père, musicien : « Il joue du Cuatro Venezolano (guitare à quatre cordes, NDLA) et de la guitare. Il écrit aussi de très belles paroles ». De son côté, elle gratte parfois la guitare, mais surtout pour composer. « Je ne suis pas une guitariste, mais ça me suffit pour écrire mes morceaux ».

Un format musical instinctif

Ses morceaux, souvent courts, ne dépassent pas trois minutes. « C’est ma façon d’aller droit au but, d’éviter l’ennui », explique-t-elle. Pourtant, elle aspire à explorer des formats plus longs : « J’aimerais faire des morceaux plus longs. Mais j’ai l’impression que ma génération est habituée aux morceaux courts. Ce format de trois minutes. Je n’aime pas vraiment ça, pour être honnête. J’écris toutes mes chansons, c’est ce qui me passionne. Ensuite, je travaille avec d’autres producteurs, mais je garde toujours un œil sur ce qui se passe dans la production. Mais ce n’est pas moi qui utilise l’ordinateur. Je suis juste derrière. Parfois, il m’arrive de m’ennuyer. Je travaille même avec des producteurs français. J’adore Lawlow, la Fève ». Judeline a travaillé d’ailleurs avec des producteurs français à Paris pour la Fashion Week. Ce n’est pas la première foi qu’elle travaille en France. « J’ai fréquenté un studio à Marseille il y a deux ans. C’était très bien. Je suis passionnée par la musique française. »

 

 

Une artiste entre deux mondes

Chanter en espagnol tout en travaillant avec des artistes français, c’est une évidence pour elle. Elle développe une approche globale de la musique. « La musique est mondiale. Par contre, je dois reconnaitre que c’est plus simple pour moi d’aller aux États-Unis, car je n’ai pas besoin de parler beaucoup d’anglais parce que tout le monde est latino. Il me suffit de prendre un taxi ou d’aller à un festival pour parler espagnol. Même dans mon label, tout le monde parle espagnol. » Cette approche mondiale l’amène aujourd’hui à se produire à Coachella. « C’est un honneur de voir mon nom aux côtés de si grands artistes. Ce n’est qu’un début, j’espère y retourner avec un show encore plus grand. » Elle avoue préférer les grandes salles, les petites salles la rendent nerveuse : « C’est tellement inconfortable, c’est comme si je chantais devant un ami ».

Le regard sur l’industrie musicale

Être une femme dans l’industrie musicale reste un défi : « On nous demande d’être parfaites, sur scène comme en dehors. Les hommes, eux, n’ont pas à prouver autant. De plus, nous sommes souvent comparées à d’autres artistes féminines, dans le mauvais sens du terme. Parfois c’est épuisant. Et c’est un peu comme être très jeune. Les gens ont l’impression qu’ils peuvent parler ou faire les choses à votre place ». Pourtant, elle sent une évolution : « Aujourd’hui, on me prend au sérieux, sans doute aussi parce que je suis grande. C’est un avantage pour moi ».

 

©JP Bonino

Mode et identité

La mode occupe une place croissante dans sa vie : « Mon entourage à Madrid est très impliqué dans l’industrie de la mode, c’est devenu important pour moi alors que cela ne l’était pas au début ». Elle cite avec enthousiasme ses goûts vestimentaires : « J’ai toujours aimé Jean-Paul Gaultier. Du fait de ma petite ressemblance avec Rossy di Palma, des amis me l’ont présenté l’an dernier, il a été si gentil. J’aime aussi beaucoup ce que fait Louis Vuitton en ce moment, Y/Project, mais ils se sont séparés, Acné Studios. Mes amis en Espagne ont aussi énormément de talent, mais il faut aller à Paris si l’on veut devenir grand ».

L’avenir ?

Avec ses deux récompenses aux MME Awards, un passage à Coachella et une carrière en pleine expansion (sa tournée espagnole est quasi Sold Out), Judeline avance sans pression : « Je suis reconnaissante, mais peu importe ce qui arrive, je continuerai ». Une artiste libre, portée par sa curiosité et son envie d’explorer de nouveaux horizons.

 

 

Cover

 

Bodhiria est disponible via Interscope Records. En concert à Paris (We Love Green) le 8 juin 2025.

 

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Ana Arden