H JeuneCrack dévoile avec Hustleuse un clip où l’animation 3D devient un prolongement de sa musique. Entre chaos et reconstruction visuelle, ce clip sublime les paroles et l’énergie de la chanson, offrant une expérience immersive et émouvante.

 

 

H JeuneCrack est un artiste aux deux pieds bien ancrés dans le paysage du rap français. Bien qu’il ait collaboré avec des figures intéressantes de la scène new wave, ce sont ses projets solo, tels que 1er Cycle, 2ème Cycle et 3ème Cycle en 2021 et 2022, qui confirment son statut d’artiste complet. Ce qui le distingue, c’est son humour décalé et sa capacité à se déprécier avec une grande dose d’autodérision.

L’amour au bord du précipice

Pendant 2 minutes 58, H JeuneCrack nous immerge dans une relation à la Bonnie & Clyde. La fusion des visages de H JeuneCrack et de son alter ego féminin intensifie la tension narrative, symbolisant leur complicité destructrice.

 

© Étienne Saby

 


Etienne Saby
, réalisateur : « Le concept du clip est de représenter une relation amoureuse à la fois complexe et complémentaire, comme celle décrite dans les paroles de la chanson Hustleuse. Pour y parvenir, nous avons choisi de représenter deux corps littéralement entrelacés et mélangés. »

Au cœur de l’esthétique du clip, un contraste fascinant entre destruction et reconstruction se déploie progressivement. Il y a des formes qui se désintègrent avant de se reconstruire, grâce à un processus minutieux alliant images filmées et recomposition en 3D. L’ensemble crée une atmosphère où les fissures d’un amour fragile deviennent palpables.

Fusion du réel et de l’animation 2D/3D

La présence d’H JeuneCrack et de sa copine apporte un aspect visuellement réaliste, renforçant l’immersion et l’authenticité de la narration.

 

© Étienne Saby

 


Valentin Gaubert
, artiste 3D : « Il fallait que ça ressemble à H. Pas forcément à l’identique, mais en respectant les proportions — sa bouche, par exemple, est restée fidèle à sa taille réelle. On a une banque de matières premières qui avaient été tournées en deux phases. Des plans rapprochés — comme des yeux, une bouche, ou des gestes — ont ensuite été extraits, détournés, et réincorporés en 3D avec des déformations ».

Thomas Bertrand, artiste 3D : « L’enjeu était de rigger les scans 3D comme des marionnettes pour créer une déformation des corps qui correspondait à l’intention artistique du clip ».

 

 

L’équipe a combiné plusieurs techniques pour brouiller les lignes entre réel et digital. Les plans tournés sur fond vert ont servi de base pour des transformations complexes, où la 3D se sert d’éléments physiques comme l’aquarelle, de la pâte à modeler ou d’autres matières manipulées manuellement.

La 3D : un médium libre mais exigeant

La 3D offre une grande liberté créative, même si elle demande une maîtrise technique. Le slit scan (1) génère des déformations poétiques et organiques dans l’animation.

Tanguy Didier, superviseur VFX  (effets visuels, NDLA) : « La 3D est un médium qui permet d’être très libre, qui s’alimente de toutes nos expériences passées. On peut venir de backgrounds variés, que ce soit créatif ou technique, culminer ces expériences et se nourrir de tout ce qu’on a fait auparavant. Le seul problème c’est que c’est un peu plus chronophage que d’autres médiums. Mais ça reste celui qui, à mon avis, permet le plus d’expression créative ».

 

© Étienne Saby

 

2xvroum, artiste 3D : « Pour les cubes en 3D, j’ai eu l’opportunité d’apprendre des techniques que je ne connaissais pas, comme l’utilisation de booléens (2) modifiés sur le mocap (3) du visage de H. C’était une belle occasion de me perfectionner dans la gestion de la fracture et de la transformation des formes ».

Andréa Oguey, artiste 3D : « C’est hyper intéressant de faire des tests sur le slit-scan, parce que le rendu est organique. Cette technique a été une belle surprise. Par exemple, la tête de H qui est tirée vers le haut et les corps qui s’enroulent… ça aurait pu être trop absurde, pas assez poétique, mais au final, ça a créé quelque chose auquel je ne m’attendais pas ».

 

Références visuelles : cubisme, 3D et rétro

Les inspirations graphiques mêlent le cubisme, le surréalisme et l’esthétique des années 2000, avec un style créatif et décalé. L’expérimentation a joué un rôle clé dans le processus.

 

© Étienne Saby

 

Etienne Saby, réalisateur : « Les inspirations graphiques proviennent principalement d’artistes cubistes et surréalistes (Georges Braque, Bill Plympton…). L’idée est de représenter les personnages sous différentes facettes simultanément pour dépeindre leur psyché plutôt qu’une vision réaliste ».

Tanguy Didier, superviseur VFX : « On a aussi une grande inspiration de tout ce qui est pubs, clips MTV décalées des années 2000, ou ce n’était pas forcément la 3D la plus esthétique ni la plus parfaite possible. C’est plutôt quelque chose de créatif, pétant, qui accroche aux yeux … où il y a toujours quelque chose à regarder dans l’image. C’est très symptomatique des vieux clips des années 2000, où il y avait pas mal de prises de risques au niveau créatif ».

Andréa Oguey, artiste 3D : « Ce qui m’a le plus inspirée, c’était la démarche expérimentale, quand on piochait dans des tutoriels sur YouTube. On regardait ce qui fonctionnait et on prenait ce qui était intéressant.  Il y avait un grand facteur d’accidents heureux qui était vraiment encouragé par le réalisateur donc c’était génial. C’est quelque chose qui est très rare ».

L’équilibre chromatique : créer une unité visuelle

 

© Étienne Saby

 

La palette de couleurs du clip a été soigneusement construite autour des vêtements de H et de sa copine, soutenant aussi l’histoire et l’émotion véhiculées par le visuel.

Extrait de Tanguy Didier, superviseur VFX : « Pour le clip, la lumière et la palette de couleurs étaient liées aux vêtements de H et de sa copine. Le but était de garder une cohérence visuelle. Une fois que tout était en place, nous avons travaillé avec un coloriste pour finaliser l’étalonnage et ajuster les couleurs dans le cadre d’une cohérence visuelle globale. Ce travail de colorimétrie (4) est extrêmement important, car quand l’ensemble est simple, les erreurs sont plus visibles ».

 

© Étienne Saby

 


Valentin Gaubert
, artiste 3D : « Chacun a fait ses propres scènes indépendamment, avec son propre setup de lumière. On ne vise pas forcément le réalisme, mais il faut que chaque plan soit clair et que ça rentre bien dans l’univers du clip. La compo, c’est vraiment ce qui unifie tout. Tous les rendus sont préparés avec le même profil colorimétrique, mais si quelque chose est surexposé, cela peut être rattrapé en post-prod. L’étalonnage (5) final permet aussi d’harmoniser les plans 3D avec ceux tournés dans la vraie vie ».

 

© Étienne Saby

 

Création collective : l’essence du travail

2xvroum, artiste 3D : « Les contraintes techniques étaient assez précises, notamment en ce qui concerne les formats d’export. Le superviseur VFX, était super méticuleux là-dessus, ce qui nous a obligés à avoir une organisation impeccable. Chaque fichier devait être bien rangé dans des dossiers partagés et sur des canaux Discord dédiés, pour que tout soit clair et prêt pour la suite. C’était vraiment un travail de précision, mais très bien pensé, surtout grâce à Saby (réalisateur) qui a géré cette organisation avec une rigueur impressionnante ».

Tanguy Didier, superviseur VFX : « On a essayé de respecter au mieux la vision artistique de Saby tout en apportant les idées de chaque artiste. Parfois, certaines propositions étaient écartées, mais l’échange créatif entre les membres de l’équipe a permis de faire évoluer le projet dans une direction que tout le monde a pu apprécier ».

 

© Étienne Saby

 


Hustleuse
est le fruit d’un travail d’équipe minutieux, où chaque artiste a contribué à créer un univers visuel cohérent et riche en textures narratives. Entre expérimentations techniques et passion pour la musique, ce projet démontre que la 3D est un langage capable de traduire l’émotion au-delà des mots.

 

 

Texte Emmamori Charles-Angèle

Photo de couverture Étienne Saby

 

 

(1) Slit scan : Technique créant des visuels déformés en capturant des images à travers une fente étroite.

(2) Boléens : Opérations géométriques permettant de combiner, soustraire ou interférer avec des formes 3D pour créer des objets complexes.

(3) Mocap : Enregistrement des mouvements pour créer des modèles numériques, utilisé dans l’animation et les jeux vidéo.

(4) Profil colorimétrique : Standardisation des couleurs pour assurer leur cohérence sur différents appareils.

(5) Étalonnage : Ajustement des couleurs, de la luminosité et du contraste en post-production.