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La sélection Modzik pour sonoriser ce weekend.

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OURI – PARIS (FT. OLI XL)

“Walking in Paris, feeling so restless”, la première phrase du morceau donne le ton. Dès les premières secondes du clip, Ouri nous plonge dans une sensation d’agitation sourde, de tension intérieure, dans un Paris à la fois grandiose et oppressant. Le décor est planté : l’errance commence. Réalisé dans les rues de la capitale, le clip de Paris nous entraîne dans une boucle urbaine haletante. Tourné dans des lieux emblématiques, du rond-point de l’Arc de Triomphe aux quais de Seine, il suit Ouri en mouvement constant, comme prise au piège d’un cycle qui se répète. L’histoire : alors qu’elle traverse la ville, son téléphone lui est arraché par un homme passager d’une voiture. S’ensuit une course-poursuite nerveuse dans les rues parisiennes, jusqu’à ce qu’elle retrouve l’assaillant. La confrontation est brève, le téléphone leur échappe des mains et finit par sombrer dans la Seine, comme une métaphore de tout ce qu’on ne contrôle plus. En duo avec Oli XL, producteur suédois à la patte glitch et déconstruite, Ouri superpose un chant murmuré et inquiet à une production fragmentée, oscillant entre tension électronique et douceur mélodique. Ce titre s’inscrit dans la lignée de son nouvel album, Daisy Cutter, à paraître le 24 octobre, quatre ans après Frame of a Fauna et un an après Jour 1596, son projet en duo avec Helena Deland. Elle y poursuit son exploration du trouble et de la perte de repères dans un monde ultra-connecté. Le clip de Paris se distingue aussi par son rythme cinématographique et son esthétique à la fois brute et poétique. La répétition de la scène d’ouverture en clôture donne une impression de boucle sans fin, comme si la routine urbaine et les violences invisibles du quotidien ne laissaient aucun échappatoire. Figure incontournable de la scène montréalaise, collaboratrice de Tirzah, Jacques Greene ou encore Yves Tumor, Ouri est aujourd’hui à la croisée des mondes : la musique, l’image, et même la mode, elle est l’un des visages de la dernière campagne Versace Eyewear. Avec Paris, elle livre un fragment de vie où le réel dérape doucement vers l’allégorie. Une errance électrique dans une ville où rien ne s’arrête jamais. (SK)

Paris est disponible via Born Twice.

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MAX BABY – FAKDAP

Entre ses activités de producteur, les concerts à travers l’Europe, la sortie imminente de son nouvel EP Break (7/11/25) et la construction d’un univers singulier fait d’images à la fois oniriques, sobres et surréalistes dans ses clips, Max Baby vit à 100 à l’heure. Fakdap est le troisième extrait de cette odyssée dans la tête et le corps de l’artiste. Composé de sept titres, cet EP s’aventure plus loin dans l’indie rock, l’alt rock et la pop expérimentale, consolidant un style à la croisée des genres et surtout, une manière très personnelle de faire de la musique. Max Baby travaille souvent seul. Ce choix de solitude lui permet de conserver une forme d’honnêteté, loin des conventions. Sur Break, les guitares saturées et industrielles se mêlent aux basses groovy et aux refrains entêtants, portés par une voix ronde, tantôt nonchalante, tantôt emportée par une tension. Le son est méticuleusement élaboré : Max Baby cherche à préserver les imperfections, ces petits défauts qui donnent de la vie et de la chaleur à sa musique. Avec Break, il signe un parcours musical où la fracture intérieure se dévoile sans fard. Dès les premiers titres, le rock abrasif et la voix fragile s’entremêlent pour raconter la chute, le chaos, jusqu’à une forme de renaissance. Cet EP est une plongée progressive dans un monde émotionnel secoué. Chaque morceau fonctionne comme un fragment d’un puzzle brisé, traduisant un combat intime, sincère et viscéral. On ressent la douleur à fleur de peau, l’errance, mais aussi la lumière fragile née de la mémoire et de l’acceptation. De Dogma à Always, chaque titre marque une étape dans ce cheminement : la remise en question et l’acceptation du chaos dans Dogma, la lucidité douce-amère sur la perte dans Playground, la tension puis la libération dans Feet, la confrontation à soi dans Mirror, le déni émotionnel et la fausse autonomie dans I Can Do Anything, la chute lucide et le retour à soi dans Fakdap, jusqu’à la mémoire et l’acceptation dans Always. Ce dernier morceau se conclut sur des bruits d’enregistrement en studio, suivis d’une porte qui grince puis claque. Un choix simple mais marquant, qui donne l’impression que le cycle se referme comme un dernier souffle avant le silence. Un cycle complet, rugueux, sincère, bouleversant. Break parle de nos failles avec justesse et tendresse, et réussit à en faire un langage musical à part entière. (LFC)

Fakdap est disponible via Animal63. En concert à Paris (Main Room) le 19 novembre 2026.

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OLIVER SIM – TELEPHONE GAMES

Trois ans après son premier album solo Hideous Bastard (2022), Oliver Sim revient aux affaires avec un nouveau single au goût trouble : Telephone Games. Ce morceau, dans la continuité de Obsession, sorti en août dernier, marque une suite élégante à son virage électro-pop entamé depuis sa pause avec The XX. Produit, comme son prédécesseur, par Bullion, architecte sonore redoutable (Carly Rae Jepsen, Ben Howard, Nilüfer Yanya) et connu pour ses textures électroniques analogiques et ses constructions pop efficaces), la voix de Sim, glisse sur une ligne synthétique qui flirte avec la coldwave des années 80 autant qu’avec une pop contemporaine. Le clip réalisé par Sharna Osborne, déjà derrière l’objectif sur Obsession, évacue toute forme de mystère. Là où la campagne de teasing (avec ses cartes de visite disséminées dans les cabines téléphoniques de Londres) promettait un récit codé, la vidéo livre au contraire un jeu visuel très frontal : inspirée d’une ligne de téléphone rose, elle met en scène Sim dans une performance stylisée et décalée. Au-delà de la musique, Oliver Sim continue d’explorer des territoires artistiques hybrides : on l’a vu récemment dans le lookbook JW Anderson Resort, au milieu d’un casting qui inclut Alison Oliver, Joe Alwyn, Ben Whishaw et Luca Guadagnino. Des apparitions qui renforcent son statut d’icône discrète d’un art queer à la fois cérébral et pop. Et sur le plan musical, il enregistre un nouvel opus avec ses camarades de The XX, avec un retour annoncé live pour 2026 (Primavera, Coachella), après son apparition à Rock en Seine 2025 avec Jamie XX. Enfin, mention spéciale pour Baby Blue, un titre coécrit avec SG Lewis, qui explore un versant plus dance. Avec Telephone Games, Sim affine une pop adulte, stylisée et sans esbroufe. Moins sombre que par le passé, il donne l’impression d’avoir trouvé un ton juste. (LFC)

Telephone Games est disponible via Young/Beggars.

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BRIAN NASTY – I HAVE SO MUCH TO TELL YOU

Le Londonien Brian Nasty poursuit son exploration des zones floues du sentiment et de la communication avec I Have So Much To Tell You, nouveau chapitre faisant écho à I Have Nothing More To Tell You, extrait de sa mixtape Anywhere But Here With You. Cette fois, le ton se fait plus retenu, presque en apesanteur, comme si les mots hésitaient à franchir les lèvres. En collaboration avec Sofie Royer, artiste austro-iranienne connue pour son approche multidisciplinaire et sa sensibilité visuelle singulière, Brian délaisse les grooves lumineux de son précédent morceau pour une composition beaucoup plus épurée. Une boucle de batterie discrète, des lignes de basse solides, et un solo de guitare fragile structurent ce titre tout en retenue. Chaque son semble pesé, chaque silence chargé de sens. Là où l’émotion se diluait auparavant dans la mélodie, elle se concentre ici dans ce qui n’est pas dit. Le clip, signé Manuel Haring, prolonge cette atmosphère d’intimité contenue. Entre distance et proximité, il met en scène ce moment suspendu où l’on aimerait parler sans vraiment pouvoir le faire. Brian décrit cette sensation comme un « espace liminal », ni rupture ni lien, un entre-deux mental où cohabitent nostalgie et désir de communication. Le visuel capture cette tension avec une délicatesse rare : lumière tamisée, espaces vides, gestes retenus. I Have So Much To Tell You est moins une chanson qu’une respiration, celle qu’on prend avant de dire quelque chose d’important, mais qu’on garde finalement pour soi. En l’espace de quelques minutes, Brian Nasty et Sofie Royer réussissent à rendre palpable cette émotion universelle : la pudeur d’un aveu qu’on ne fera peut-être jamais. (SK)

I Have So Much To Tell You est disponible via Big Dada Records.

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EZRA FURMAN – ONE HAND FREE

Avec One Hand Free, Ezra Furman livre un nouveau fragment de son monde, tiré des sessions de Goodbye Small Head, son dernier album sorti plus tôt cette année. Un morceau qui aurait pu s’intégrer à ce disque dense, traversé par des angoisses existentielles et de pop baroque. Mais Furman a préféré le garder à part. Trop bon, dit-elle. Trop lumineux, peut être aussi. Le morceau, décrit par l’artiste comme une « chanson de rupture/dépression enjouée, sortie en terrasse », affiche en effet une légèreté trompeuse. One Hand Free semble chercher un équilibre entre spiritualité douce et malaise existentiel. Furman y parle d’amour qui s’effondre, de corps qui se dérobent et de mains qu’on garde libres, juste au cas où. C’est une chanson qui réconforte. Réalisé par JJ Gonson, le clip ajoute à cette impression de flottement. Ezra y évolue dans une sorte de jardin étrange, entourée d’oiseaux, de lézards, d’espèces multiples et interférentes. Il y a là une métaphore de transformation, de dérèglement peut-être, mais aussi de coexistence. On pense à un bestiaire intérieur, comme si Furman était entourée de ses propres métamorphoses. Depuis ses débuts avec Ezra Furman and the Harpoons, puis en solo à partir de The Year of No Returning (2012), Furman a construit un univers unique : rock’n’roll, doo-wop déstructuré, new wave et ballades à fleur de peau. Son chef-d’œuvre Twelve Nudes (2019) faisait hurler la rage queer, là où All of Us Flames (2022) ralentissait le tempo pour embrasser une forme de prière punk. Artiste trans, juive, queer, punk, et radicalement littéraire, Ezra Furman n’écrit jamais à moitié. Même ici, sur un morceau plus « léger », elle insuffle ce mélange de beauté et de désarroi. C’est mélancolique et lumineux. Comme si elle s’autorisait, une chanson ouverte et simple mais toujours un peu étrange. Ezra Furman sait donc livrer des chansons fortes, même quand elles sont « hors format ». (LFC)

One Hand Free est disponible via Bella Union. En concert à Paris (Cabaret Sauvage) le 29 janvier 2026.

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