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La sélection Modzik pour sonoriser ce weekend.

 

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LOUS AND THE YAKUZA – CASSE-TOI

Trois titres seulement, mais assez pour rouvrir les plaies, en recoudre certaines, et planter une graine nouvelle. Avec No Big Deal, Lous and The Yakuza signe un retour à l’os : un EP court, intime, sans fioriture. Deux ans après Iota, l’artiste belgo-congolaise délaisse les textures électroniques pour un son plus organique. Et au centre de ce triptyque, Casse-toi, une chanson de rupture d’une élégance amère. « Casse-toi, serre-moi fort ». Le paradoxe est net. En quelques mots, Lous installe la tension d’un amour qui ne sait pas comment finir porté par une instrumentation aux teintes pop-rock, presque lo-fi. Ici, pas de cris, mais un repli vers l’intime. Ce morceau, comme l’EP tout entier, évoque un tournant. Si Gore marquait ses débuts dans une trap poétique et Iota jouait les textures futuristes, No Big Deal revient à l’essence : l’émotion. Derrière la musique, il y a le chemin. Lous, aujourd’hui confrontée à la maladie, ne cherche plus à séduire, mais à dire. Dire la perte, dire la fatigue, dire ce qu’il reste après l’amour : la solitude, la mémoire. En trois morceaux dont deux en anglais, elle esquisse une trajectoire : le chaos émotionnel (Good to Know), le rejet doux-amer (Casse-toi), l’apaisement (Sad Boy’s Anthem). Un cycle amoureux raconté comme un crash au ralenti. On entre dans cet EP comme dans un journal intime griffonné à la guitare. Et Casse-toi, devient une réponse à tout son parcours : un refus poli, mais ferme, de continuer à tricher avec soi-même. Lous est aussi actrice, à l’affiche du film Le Grand Déplacement de Jean-Pascal Zadi, au cinéma le 25 juin. (LFC)

No Big Deal est disponible via YUME ENTERTAINMENT/Sony Music.

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AMERY – ELECTRIC LOVE

Il faut soit un vrai besoin de protection, soit une rupture intérieure pour s’éclipser pendant six ans, surtout quand une carrière débute sur les chapeaux de roue, saluée par Elton John et portée par plusieurs millions de streams. C’est pourtant le choix qu’a fait Amery, jeune chanteur belge né au Rwanda, élevé dans une famille stricte et religieuse avant de s’installer en Belgique à l’adolescence. Entre deux mondes – l’un de rigueur spirituelle, l’autre d’ouverture culturelle – il a appris à naviguer en silence. Ce tiraillement, longtemps contenu, devient aujourd’hui le cœur de sa voix artistique. Avec Electric Love, Amery signe un retour qui n’a rien de cosmétique. Le morceau s’ouvre sur des nappes d’orgue au parfum liturgique, rapidement balayées par un refrain porté par des guitares saturées et une batterie massive. La production, signée du fidèle James Lowland, joue habilement avec les contrastes : entre vulnérabilité assumée et tension maîtrisée. Après des années passées à tenter de coller aux normes – de genre, de réussite, d’image – Amery écrit désormais depuis un endroit plus brut, plus personnel. Electric Love parle de solitude, de relations toxiques, de chute, mais surtout de reconstruction. En choisissant de faire de sa vulnérabilité une force, Amery livre avec Electric Love une première pierre vers une œuvre plus mature, plus assumée. (LFC)

Electric Love est disponible via AMERY (autoproduit).

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WASTING SHIT – JPEJA

wasting shit du duo Angsty Camboyz Revenge (une formation franco-belge, née de la collaboration entre Bob Glocc et Err Walou), s’impose à nouveau avec son style inclassable, entre glitch rap expérimental et influences électroniques. JPeJA, avec son esthétique volontairement dégradé reflète parfaitement une approche sonore qui déconstruit les codes du rap traditionnel en y injectant des éléments de musique expérimentale, de bruitisme et de déconstruction sonore. notinbed est à la prod., un nom qui résonne de plus en plus dans le paysage musical actuel. Après son album emotional behaviour 2, il confirme ici son talent en offrant une ambiance sonore lourde et hypnotique, une toile de fond parfaite pour le flow saccadé de wasting shit. Le rythme en dents de scie de la prod. vient compléter l’univers visuel du clip, où chaque dérapage sonore se mélange à l’agitation des images. Pour ceux qui cherchent à s’évader des formats traditionnels et des conventions établies, JPeJA est une invitation à plonger dans un univers qui défie le paysage musical actuel. (ECA)

JPeJA disponible via WASTING SHIT EXCLUSIVE/Sony Music Entertainment.

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GIORGIO POI – LES JEUX SONT FAITS

Lorsqu’on découvre Giorgio Poi pour la première fois, c’est au défunt International en 2018, avec son premier album Fa Niente. Trois albums plus tard, quelque chose s’ouvre, se fissure, se fragmente à l’écoute de Schegge, son quatrième disque. Le mot signifie « échardes », « éclats », et l’album en est une véritable collection – éclats de mémoire, d’émotion, de son. En fond, la pop italienne des années 70, celle d’un Lucio Battisti ou d’un Franco Battiato : ces progressions harmoniques, cette manière de faire swinguer une mélancolie douce, d’écrire des chansons comme des poèmes existentiels. Mais le disque s’enrichit aussi d’éclats de reggae (Giochi di gambe), de nappes électroniques qui refusent l’esbroufe (Uomini contro insetti), de guitares nostalgiques, et d’une voix toujours fragile mais affirmée – comme celle d’un ami qui nous raconte à voix basse une histoire importante. Le dernier extrait Les jeux sont faits (« En Italie, on utilise beaucoup cette expression ! » nous glisse-t-il) mêle guitares et batterie avec une énergie immédiate. Après Fa Niente, Smog et Gommapiuma, ce nouvel opus prolonge un parcours cohérent, marqué par des métamorphoses subtiles en équilibre entre la légèreté apparente des mélodies et la profondeur des thèmes abordés. Revenu vivre à Rome après dix-sept années d’errance entre Berlin, Londres ou Bologne, Poi retrouve dans les ruelles de son enfance un sol fertile. C’est là, dans cette ville où le passé se superpose au présent, qu’il compose un album aussi intime qu’universel. Giorgio ne cherche pas à plaire, mais à toucher. Schegge ne suit pas un genre, mais un état. Schegge est un disque sensoriel. Pour la première fois, il en confie la supervision à un regard extérieur : celui de Laurent Brancowitz de Phoenix. Giorgio Poi avance par petites touches, éclats après éclats, vers une forme de maturité tranquille. À la fois personnel et universel, cet album s’écoute comme un carnet de route intime, entre chutes et relèvements où la pop devient le lieu d’un réenchantement possible. Un album essentiel. (LFC)

Schegge est disponible via Bomba Dischi – Puro/Sony Music. En concert à Paris (La Bellevilloise) le 12 mai 2025 et le 12 février 2026 (La Cigale).

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ESTELLE – NEW DIRECTION FT. LARUSSELL & KEYON HARROLD

Avec New Direction, Estelle, de son vrai nom Estelle Fanta Swaray, l’auteure-compositrice de l’incontournable American Boy, amorce un tournant musical à la fois personnel et artistique. Portée par une instrumentation entre jazz cuivré, funk chaloupé et R&B vintage, la chanteuse britannique nous livre un titre dense, généreux, profondément ancré dans les sonorités des années 70 et 80. À ses côtés, le rappeur de Vallejo, en Californie LaRussell et le trompettiste Keyon Harrold collaborateur de Jay-Z, Beyonce, Rihanna, Eminem et Snoop Dogg, viennent enrichir cette composition d’une énergie live, ensoleillée et spontanée. Le morceau s’impose comme une ode à la liberté, à cette euphorie simple née du mouvement. Estelle y célèbre la joie de danser, le retour au corps, à la musique qui fait vibrer autant qu’elle rassemble. Elle convoque les géants – Michael Jackson, Quincy Jones, Stevie Wonder, Bill Withers. Ce qui frappe, c’est la justesse de l’hommage et la fraîcheur de l’intention. Précédé de Fire avec JOI et Oh I, New Direction annonce la couleur de Stay Alta, le sixième album studio d’Estelle, attendu pour le 23 mai. Estelle explique : « Stay Alta, c’est se souvenir de soi, s’élever au-dessus du bruit et choisir la joie, même dans les moments difficiles. Cet album est né d’une période de profonde réflexion et de réalignement, où j’ai dû être vraiment honnête sur ce qui m’apaise, ce qui m’élève et ce que je ne veux plus porter. C’est une célébration de la transformation, du lâcher prise, du retour à soi et de la reconnaissance du pouvoir de recommencer. Je veux que cette musique touche les gens, au sens propre comme au sens figuré, et nous rappelle à tous qu’il y a de la beauté dans la reconstruction et de la force dans le maintien. » En combinant groove rétro et souffle moderne, ce nouveau single marque un retour aussi élégant que sincère. Estelle n’impose pas un style, elle suit son instinct. (LFC)

New Direction est disponible via Established 1980 Records/Fab Factory.

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BEY – LA BOMBE

À 23 ans, Bey poursuit inlassablement une quête de soi. Depuis On Air, son tout premier EP autoproduit — aujourd’hui presque effacé de ses bios — où il esquissait un autoportrait sans grande lumière, il n’a cessé d’explorer ses zones d’ombre. Avec Si j’meurs demain (2024), son deuxième projet, qu’il considère comme son véritable premier disque, il met en musique la rupture, la dépression, le mal-être, l’ego, la mort — autant de failles qu’il transforme en matière sensible. Les textes sont sombres, mais jamais vides d’espoir. Introspectif et tourmenté, ce disque marque une première percée vers la lumière. Bey, de son vrai nom Baptiste, a commencé la musique très jeune. Formé à Florent Musique, il est aujourd’hui aussi arrangeur, possède un studio à Bobigny, et maîtrise chaque étape de sa création. Il a aussi marqué les esprits en 2023 avec son passage sur The Voice. Il y a chez lui quelque chose de viscéral. Et dans La Bombe, son nouveau single au goût de fin du monde, cette tension explose. L’artiste abandonne les masques : si tout doit s’effondrer, autant danser au bord du cratère. La chanson, extraite de Pas si différent, son prochain EP en deux parties (6 juin 2025), cristallise son style singulier : un rock électrique nourri de confession emo et de chanson parlée à la française. Pas si différent marque une étape plus mûre, plus radicale, mais toujours guidée par cette même urgence à dire, à crier, à comprendre. Le projet s’articule en deux volets opposés. Une première face lumineuse — mais jamais naïve — avec des titres comme Vie de Rockstar, qui fait écho à son ancien morceau Pornstar, ou encore Faire un tour. Bey y transforme le doute en énergie musicale. On y retrouve aussi des morceaux plus apaisés comme Mec chelou ou Un jour, qui dessinent un chemin vers l’acceptation de soi. Bey incarne une génération post-post-tout, à la fois désabusée et pourtant déterminée à avancer, coûte que coûte. (LFC)

La Bombe est disponible via Vernis Noir. En concert à Paris (La Boule Noire) le 5 juin 2025.

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ROSHI – ROUGE & NOIR

Roshi signe son grand retour avec Rouge & Noir, un morceau coup-de-poing qui mêle tension brute et charisme ravageur. Après avoir aiguisé l’appétit de ses fans avec trois freestyles lâchés sur les réseaux, l’artiste revient en pleine forme, bien décidé à reconquérir le terrain. Flow incisif, punchlines affûtées ‒ « Larosh capo nueve j’suis la supernova » ‒ et clip ultra marquant réalisé par Bishop : masque façon Hannibal Lecter, présence magnétique, et un teasing final qui promet une suite encore plus folle. C’est officiel, Roshi est de retour, plus dangereux et déterminé que jamais. À surveiller de très près. (SK)

Rouge & Noir est disponible via Capitol Music France & Grand Bateau.

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PALE GREY – NIKITA

Depuis leurs débuts à Malmedy (Belgique) au tournant des années 2010, Pale Grey a tracé un chemin discret mais sûr, entre indie pop rêveuse et expérimentations électroniques. It Feels Like I Always Knew You est un retour attendu et maîtrisé. Huit ans après Waves, le groupe belge s’émancipe de la seule mélancolie synthétique pour explorer une palette plus vaste, à la croisée de l’indie pop, de l’electronica et d’une certaine écriture cinématographique. Chaque morceau de ce nouvel album porte un prénom, douze au total, comme douze destins croisés dans un bus. L’idée ? Observer l’humanité de loin et inventer des biographies fictives inspirées du réel. Ce dispositif narratif permet au groupe d’aborder des thématiques contemporaines – migration, violence, solitude, espoir – sans tomber dans le didactique, mais il sait aussi capturer des instants plus légers du quotidien. Leur musique reste fidèle à ce qu’ils sont : douce, texturée, habitée par la mélancolie. Avec Ash Workman (Metronomy, Christine and the Queens, Baxter Dury) à la production, les textures se densifient et les horizons s’élargissent. Dernier extrait en date, Nikita tranche avec la douceur habituelle du groupe. Porté par une rythmique plus sombre et des arrangements électroniques marqués, le morceau explore le vide derrière une ascension sociale rapide, nourrie d’arrogance et d’amnésie. Dans ce titre, Pale Grey flirte avec des sonorités plus frontales, à la lisière du trip-hop ou de la pop urbaine. Une tension nouvelle, mais cohérente, dans un album où chaque morceau offre un point de vue singulier sur la complexité humaine. Avec It Feels Like I Always Knew You, Pale Grey signe un disque à la fois intime et lucide, qui touche juste en racontant ce que beaucoup taisent. (LFC)

Nikita est disponible via Odessa.

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ISAIAH HULL – A IS FOR AFRICA

Avec A IS FOR AFRICA, Isaiah Hull signe une entrée remarquée sur le Label Young, livrant un morceau dense, à la fois revendicatif et personnel. Le texte s’inscrit dans la tradition des abécédaires engagés du hip-hop, mais Hull y imprime sa propre marque : celle d’un poète-performeur qui fait de chaque lettre un terrain de lutte, entre mémoire collective et affirmation identitaire. Le morceau prend une résonance particulière en écho aux soixante ans de la disparition de la figure activiste féministe jamaïcaine Una Marson, évoquée en filigrane, comme un rappel à l’histoire des voix noires marginalisées et combattantes. Côté clip, la réalisation signée par Hull lui-même, avec Akira Kai Kitazono et Josh Renaut à la direction artistique, met en scène une performance brute, presque instable, filmée avec une tension volontairement chaotique. Ce n’est pas une simple illustration du morceau, mais une prolongation de son urgence : corps agité, regard fixe, lumière abrasive. La mise en image laisse peu de place au confort, elle cherche à secouer, à interpeller. Un choix qui reflète bien la posture de Hull : entre théâtre, musique et activisme, sans compromis. (SK)

A IS FOR AFRICA est disponible via le Label Young. Il se produira le 7 novembre prochain à Paris lors du Pitchfork Festival.

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