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Dans les bureaux parisiens de son label, Because Music, Asa Taccone nous accueille avec un large sourire. Le chanteur et producteur, moitié du duo Electric Guest, est venu seul défendre le nouvel album 10K, son complice Matthew Compton étant resté à Los Angeles. Il aura fallu six ans au groupe pour livrer ces douze titres d’une pop indé lumineuse, empreinte d’une énergie estivale et d’un retour à l’essentiel. Enregistré dans un esprit DIY, 10K a vu défiler amis et collaborateurs de longue date, parmi lesquels le producteur Cole MGN, Kacy Hill ou encore Emmett Kai. C’est autour d’une table de réunion, entre deux fou rires blagues et quelques souvenirs de studio, qu’Asa Taccone se confie sur la genèse de cet album et l’évolution d’Electric Guest.

 

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Des débuts bricolés à la recherche de sincérité

« J’ai commencé par la trompette quand j’avais dix ans », raconte Asa Taccone. « C’est le premier instrument que j’ai appris, et je continue d’en jouer. Je l’avais perdue pendant sept ans, et deux amis divorcés à Los Angeles l’ont retrouvée parmi leurs affaires. Je l’ai utilisée sur 10K. » L’histoire donne le ton : un rapport simple et organique à la musique, qui traverse toute la trajectoire d’Electric Guest.

Le premier album Mondo (2012), réalisé avec Danger Mouse, naît dans la chambre d’Asa. « C’était un album très personnel. Je l’ai fait dans ma chambre avant de le terminer avec Danger Mouse. » La suite, plus ambitieuse, l’éloigne un temps de cette spontanéité : « Le deuxième album marquait les débuts d’un style plus pop, puis le troisième, avec Atlantic, était vraiment très pop. Au final, je n’ai pas vraiment aimé ça. 10K, pour moi, c’est un retour à Mondo : un album plus petit, sans personne pour me dire quoi faire. »

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L’album abandonné

Après Mondo, Asa et Matthew enregistrent un album entier qu’ils ne sortiront jamais. « Six mois après Mondo, j’avais enregistré un autre disque, mais il était tellement sombre, tellement triste, que nous avons fini par l’abandonner. » Deux morceaux seulement en ont survécu : « Les deux premiers titres de Plural (2017) viennent de cet album abandonné. Et une chanson de 10K aussi : la dernière, I Don’t Know the Back of Me, vient de cette époque. C’est la chanson préférée de beaucoup d’artistes que je connais, alors j’étais content de l’avoir gardée. »

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Un prêt de 10 000 $ comme point de départ

Le titre de l’album renvoie à une histoire fondatrice. « 10K, c’est parce que mon mentor dans la musique m’a donné dix mille dollars pour que je puisse quitter mon job à Los Angeles. Je travaillais comme serveur, et cet argent m’a vraiment tout donné. Il m’a permis de me concentrer sur la musique et d’écrire Mondo. »

« J’ai une relation amour-haine avec l’argent. Au cours des dix dernières années, pour être honnête, j’ai perdu mon chemin, j’essayais de réussir, j’essayais d’être dans de grandes salles, d’écrire avec les plus grands. Et j’ai réussi, j’ai eu beaucoup de chance. Mais quand je me remémore cette période, je ne pense pas que j’aimais la musique que je faisais. Je trouvais qu’elle était trop pop, vide d’une certaine manière. » Pour Asa, ce nouvel album symbolise un retour aux fondamentaux.

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Composer en petit comité

10K s’est construit dans un cadre volontairement intime. « Ces dernières années, je les ai passées dans de grandes maisons de disques, entouré de gens importants qui me disaient ce dont les chansons avaient besoin et ce qu’elles devaient faire. J’ai fini par comprendre que personne ne sait rien. Personne ne sait si une chanson va marcher. Il faut juste qu’elle soit honnête. » Cette fois, Asa s’est entouré uniquement d’artistes proches, entre Los Angeles et New York : « Je voulais que la pièce soit vide, à part les amis musiciens. »

Il cite Leonard Cohen : « Si je savais d’où viennent les bonnes chansons, j’irais là-bas plus souvent ». « C’est difficile d’écrire une bonne chanson. Et dès que tu te dis ‘je vais écrire un hit’, c’est fini. J’ai passé cinq ans à essayer d’écrire des tubes, et je n’aimais pas ce que ça me faisait ressentir. Je voulais simplement revenir à la musique telle que je la connaissais. »

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Un album-journal

Pour Asa, 10K est bien plus qu’un simple recueil de chansons : « C’est un voyage. Ça couvre les six dernières années : la pandémie, le COVID, Trump, les États-Unis… beaucoup de choses. C’est un album qui ressemble à un journal intime ». Et si les thèmes du capitalisme et du consumérisme sont moins frontaux que dans ses albums précédents, ils sont toujours là : « The Show parle entièrement du capitalisme. Qui dirige ce show ? Ça semble en faillite. Les États-Unis traversent une période difficile. On n’est pas le meilleur exemple pour le monde ».

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Sélectionner, renoncer, recommencer

Au départ, l’album comportait davantage de titres. « Il y avait cinq chansons supplémentaires. Elles vont sortir, il y aura un album deluxe. » Asa explique : « Je voulais tout mettre sur le même album, mais on m’a dit que c’était trop long. On a trouvé un accord sur la liste finale. Je voulais vingt chansons, comme un album de rap, mais ils m’ont dit de faire court ».

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La création comme quête spirituelle

« J’ai des centaines de démos qui ne verront jamais le jour », confie Asa. « Parfois, on ne sait pas ce qui doit figurer sur un album. C’est une question d’émotion : certains jours, c’est là, d’autres non. Il faut que ça semble réel. » Puis il prend un ton plus grave : « Je pense qu’au final, c’est une question spirituelle. J’ai longtemps hésité à utiliser ce genre de langage parce que je ne voulais pas paraître prétentieux ou donner l’impression que je romantisais les arts, mais j’ai fini par comprendre que c’était vraiment une quête spirituelle. Et plus on arrive à puiser dans cette source, meilleure sera la musique. Et je pense que c’est pour ça que je ne voulais pas d’argent, ni de gens riches dans le studio. Ils gâchent tout, vraiment ».

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L’IA, la vitesse et la perte du lien humain

Quand la conversation glisse vers l’intelligence artificielle, Asa se montre réfléchi. « J’étais à une fête il y a deux semaines », raconte-t-il. « Quelqu’un a ouvert une application, a tapé “écris une chanson d’Electric Guest”, et trente secondes plus tard, ils me la font écouter. C’était horrible. » Il marque un silence. « Pour être honnête, je pense que c’est dangereux. C’est aussi incroyable, bien sûr, ça permet des avancées rapides, mais je ne suis pas sûr que la vitesse soit bonne pour l’art ou pour l’humanité. Ce qu’on perd dans tout ça, c’est la connexion humaine. »

Asa poursuit : « C’est un territoire très délicat qu’on traverse. En tant qu’espèce, on n’a pas encore appris certaines choses. On continue d’avancer alors qu’on devrait s’arrêter, ralentir ». Il précise qu’il n’a jamais utilisé ChatGPT ni aucune IA musicale : « Je suis sûr que je le ferai un jour, parce que ça fera partie de la vie normale, mais pour l’instant, ça ne m’intéresse pas ». Puis il ajoute : « Il n’y a pas de mot technique pour décrire l’âme. On est tellement hyper-concentrés sur la technologie qu’on oublie ce que c’est que d’être humain. Et je pense qu’on va arriver à un point où il faudra se concentrer sur l’âme plutôt que sur la technologie, parce que les deux vont devenir trop fous. Ils le sont déjà ».

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La mode comme expression personnelle

Après ces considérations, le ton se détend. Asa rit quand on aborde la question du style : « J’adore la mode. J’aime bien chiner. Tous mes vêtements viennent de friperies. » Il ajoute : « Pendant des années, j’avais un goût vestimentaire vraiment mauvais. Quand on est jeune, on est fauché, on s’habille n’importe comment. Mais maintenant, j’essaie de faire un peu plus attention. C’est juste une autre forme d’expression personnelle ». Puis il conclut avec simplicité : « Avec Internet, tout le monde peut avoir l’air cool. Mais quand tu vois quelqu’un qui a vraiment son propre style, ça se voit ».

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Retour sur scène et bilan d’un parcours

Electric Guest repart en tournée avec un répertoire riche : « On a quatre albums maintenant. La setlist, ce sera surtout Mondo, Plural et 10K, avec une chanson de Kin ». Quand on lui demande ce qu’il pense de ce dernier, Asa sourit : « Kin ? C’est ok. On fait tous des erreurs dans la vie ». Puis il précise : « C’était un album honnête. J’essayais de faire un disque pop des années 2000, mais ce n’était pas ce que je ressentais vraiment. Aujourd’hui, j’essaie simplement de puiser dans une énergie différente ».

 

10K, un retour à l’essentiel

À travers 10K, Asa Taccone retrouve l’âme d’Electric Guest : l’honnêteté, la simplicité et une spiritualité discrète mais essentielle. Un disque pop, oui, mais surtout un retour à la vérité du geste artistique, là où tout recommence. « La seule chose qui compte dans la vie, c’est l’amour. C’est la seule vérité absolue que je connaisse. Tout le reste n’a aucune importance. »

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10K est disponible via Electric Guest/Because Music.

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Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture DR

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