Il y a des groupes étoiles filantes, et il y a ceux qui restent. Ceux qui restent sont ceux qui ont su se détacher des tendances, qui ont su rester concentrés sur leur évolution, toujours dans un souci de justesse. The Shutes sont de ceux-là. Rencontrés au Old Blue Last après un concert fort en émotions, les quatre garçons transpirent la simplicité et la sympathie. Mais derrière cette allure détendue et détachée de toutes modes musicales se cache un potentiel explosif. Un potentiel cultivé depuis déjà quelques années, lorsqu’ils étaient encore trois. A l’époque, ils sortent Hits Like Mourning, leur premier EP déjà prometteur mais néanmoins passé inaperçu, tournent en Europe et donnent quelques concerts avec Peter Bjorn & John. Mais quelque chose manque. Sur leur belle île de Wight, les Shutes prennent alors le temps de se remettre en question et d’esquisser les contours d’une pop voyageuse et puissante. Il aura fallu cette rencontre, la bonne, avec le label londonien Cross Keys Records pour que la machine s’envole. Avec eux, ils sortent un single Noah’s Ark et prennent le chemin du studio. 

Michael, le chanteur à la voix aérienne, explique : « Le premier EP était dans la veine DIY [Do It Yourself, ndlr.], on s’est débrouillé. Mais sur ce single, on a pu travailler en studio et vraiment apprécier cette manière de construire les chansons. Pour nous, l’enregistrement est une phase cruciale, c’est là que de nouvelles idées peuvent arriver. Ce qu’on a apprécié sur Noah’s Ark, c’est la présence d’un producteur qui a pu nous aider à trouver le son qu’on voulait réellement entendre. Je pense vraiment que les producteurs font partie intégrante des groupes. » 

A l’origine, trio voix-guitare, basse, batterie, la formation recrute le frère de Michael, David, deuxième guitare, pour retrouver cette profondeur sonore acquise entre les quatre murs de leur studio d’enregistrement. La différence est saisissante. Aujourd’hui, Michael vit à Londres, et les autres sont éparpillés entre l’île de Wight et Winchester ; lorsqu’ils se retrouvent c’est pour de longues séances de travail. « Le travail se fait assez naturellement, raconte David, Michael compose, nous donne la base, on se retrouve pour aller plus loin, on improvise et on pousse la chanson avec les spécialités de chacun.» Le résultat de ce travail : l’EP Echo of Love à sortir le 2 avril dont le premier titre éponyme Echo of Love  tourne déjà sur la Toile. Un bijou entre lyrisme pop et tréfonds électronique. Un morceau cruellement tendance qui ne dit pas son nom.

De surf rockers à nouveaux espoirs

Des petits surf-rockers de l’île de Wight, ils deviennent le nouveau groupe à surveiller selon NME. Christopher, le batteur en est d’ailleurs plutôt content : « Pour nous, le terme surf rockers est affilié à quelque chose de hippie, de sautillant, alors que ce n’est pas forcément la musique que l’on fait. Après, ce n’est pas péjoratif de dire que l’on est des surf rockers, on aime les sixties et on vient d’une île où on aime beaucoup surfer. » Mais la comparaison s’arrête là. La musique des Shutes a quelque chose de très précis, à la limite de l’anatomique : comme s’ils disséquaient chacun des sons pour toucher l’intime de chacun. C’est une pop qui marque, une pop viscérale. En live, la dimension aérienne est d’autant plus présente, Michael chante souvent le regard vissé vers le haut, et leur timidité en transparence vient toucher l’audience. Mais ce qui qualifie le mieux leur musique aujourd’hui est sûrement le mot variation. Dans leurs morceaux, la trame musicale peut-être très joyeuse, les paroles profondément triste et vice versa. Entre She Said où Michael se transforme en crooner désabusé, Here my Blood Runs Clear morceau estival assez synthétique ou encore The 3 Oh 1, très rock, presque drum’n’grass (pour le côté organique), leurs chansons oscillent inlassablement entre excitation et tristesse mais gardent un côté étourdissant. On a alors à chaque morceau l’impression de pénétrer un peu plus dans le jardin secret indie des Shutes. Rien n’est linéaire, on sent toujours des nuances de ressentis. Selon Michael : « Il y a des chansons qui viennent donner de l’énergie avant de sortir le soir, avec des guitares pleines de distorsions, des sons très rapides, mais aussi des chansons plus lentes, plus sensibles, des chansons insulaires écoutées au casque dans son lit avant de dormir. » Pas étonnant alors de retrouver dans leurs idoles des traces de Leonard Cohen, Bob Dylan ou Wilco au Flaming Lips, en passant par la new wave des New Order. Les chemins qui mènent à la musique de The Shutes sont toujours tortueux, empreints d’indices insaisissables mais lorsqu’on a osé s’y aventurer, impossible de revenir en arrière.

The Shutes seront en concert le 2 mai au Barfly à Camden (Londres)

Lumière sur le label Cross Keys Records


Créé fin 2010, par trois fans absolus de musique, le label Cross Keys Records surprend par l’écoute et les libertés qu’il accorde aux groupes qu’il soutient. Encore activité secondaire pour Alex qui travaille pour Parlophone, Joss réalisateur et Ally journaliste pour The Independent, le label risquerait bien de leur prendre plus de temps dans un futur proche au vu de ce que laissent entendre leurs poulains. Il y a d’abord le groupe Lover Lover et leur single fascinant Freebirds derrière lequel se cache le guitariste de Jarvis Cocker et Nick Littlemore de Empire of the Sun, les bien-nommés The Shutes et les petits derniers, déjà séduisants Modern Borders. Au-delà de leurs groupes qu’il faudra suivre de très très près, l’activité de ce label est donc à lorgner à la loupe. L’année 2012 devrait être la leur.

Quels sont les finalités de votre label ?

Être fantastique, original, hallucinant et faire découvrir une musique encore inconnue à l’audience la plus vaste possible. Ramener les laissés pour compte de la musique sur le devant de la scène. On ne montre que la musique qui nous passionne. L’idée de sortir un disque par un groupe qu’on n’aimerait pas vraiment juste pour se faire de l’argent est un concept extraterrestre pour nous.

Vous adorez aussi les vinyles…

Il y a pas mal de gens qui pensent que c’est un truc rétro, mais ce n’est pas vraiment ça. On aime ça déjà parce que nous sommes tous les trois Djs. Aujourd’hui, tout sort sur Internet et les vinyles sont une manifestation tangibles de notre passion pour la musique pop. Dans un monde où énormément de médias deviennent exclusivement digitaux, le vinyle est quelque chose que tu peux prendre en main. C’est difficile de tomber amoureux d’un MP3…

Quels groupes vous intéressent ?

Ceux qui sont sur Cross Keys, évidemment ! Lover Lover et The Shutes. On vient juste de commencer à travailler avec un groupe super Modern Borders qui font de l’électro pop. Mais à part ça, les artistes qui nous ont influencés viennent d’un spectre musical assez large : Johnny Cash, A Tribe Called Quest, Four Tet, Bob Dylan et LCD Soundsystem.

Comment vous aidez vos artistes ?

Le rôle des labels a été remis en question ces dernières années, avec l’usage de Soundcloud, Bandcamp ou Facebook. Mais il y a beaucoup de choses que l’on peut faire pour aider les groupes à toucher un public plus large. C’est facile de sortir des chansons sur Internet et d’en parler à tous ses amis sur Facebook, mais des choses comme le mastering, la production vidéo, le marketing, etc. Tout ça nécessite de l’argent et c’est en ce sens que l’on peut aider. Dans nos boulots respectifs on a travaillé avec des artistes allant de Coldplay à Peter Gabriel en passant par les Rolling Stones, du coup on se sent légitime pour conseiller les groupes plus jeunes.

On organise aussi des concerts. Au mois de novembre dernier, on a organisé un concert dans une église où les Shutes ont d’ailleurs joué. Il y avait aussi d’autres groupes d’autres petits labels comme Au Palais, qui s’en sort vraiment bien aujourd’hui, et un artiste électro : Antwerp. C’était vraiment une belle soirée.

Comment voyez-vous votre label évoluer ?

C’est notre seconde année et on aimerait sortir 5 ou 6 singles de groupes différents. On est vraiment très excités par les choses sur lesquelles on va travailler. On va aussi organiser plus de concerts à Londres, dans des endroits étranges et beaux.

Par Cécile Becker