Si 2012 marque la 22ème année de l’enfant prodige de l’électronique Nicolas Jaar, elle marque aussi l’avènement d’un producteur désormais mondialement connu et reconnu. Son album Space is only noise a ponctué tous les classements des meilleurs albums 2011 et ses lives, marqué les plus grands festivals : Glastonbury, Sonar, Nuits sonores ou encore le Montreux Jazz Festival. 
Passé par la matrice Fabric en mars 2011, puis en juillet pour une série de deux dates inédites avec le label Wolf + Lamb, il était alors entouré de ses talentueux musiciens et avait transformé le club en un sauna survolté. Entre temps, les Londoniens se sont passés le mot et en quelques semaines son concert programmé au Roundhouse (salle mythique dans le quartier de Camden, qui a entre autres accueilli Pink Floyd, The Cure ou The Rolling Stones) était complet. Les augures sont plutôt bonnes pour la dernière date de la tournée Don’t break my love du label Clown & Sunset créé par Nicolas Jaar, vivier exaltant de la jeune production.
Dans un froid glacial, 3000 personnes se pressent alors sur le parvis du Roundhouse transformé pour l’occasion en salle de vente où les tickets se revendent parfois 4 fois plus cher. On spécule, on grelotte, et on s’impatiente. Tandis que des petits malins entrent clandestinement par le coin fumeur extérieur, le staff, visiblement dépassé, tente de gérer l’affluence. Il est presque impossible de se frayer un passage jusqu’à la fosse, indices si vous en doutiez encore, de la starisation du jeune Américain, Chilien d’adoption.

Un show hypnotique, très énigmatique

Sur le dancefloor surmonté de balcons, c’est d’abord la surprise de découvrir une superbe salle au dôme illuminé, et le plaisir d’assister à la première représentation anglaise de Soul Keita, producteur éthiopien. Avec le délicieux Journey in Satchidananda d’Alice Coltrane et l’excellent Para(sol) né de la collaboration avec Nicolas Jaar, il baigne l’audience dans une ambiance psychédélique. C’est ensuite au tour d’Acid Pauli, producteur allemand aux multiples alias, le public attend visiblement de lever les bras frénétiquement.
La pression est à son comble lorsque Nicolas Jaar entre sur scène éclairé par la lumière d’une caméra (documentaire ? DVD sur la tournée?). Il entame son live avec Être, titre caressant de l’album. Pendant une quarantaine de minutes, il tient son public dans une atmosphère très (trop) confortable et l’emmène doucement vers une électronique plus puissante mêlée de soul, de folk et de blues. Prostré derrière un ordinateur, une table de mixage et quelques claviers, il fait résonner Too Many Kids Finding Rain in the Dust et Mi Mujer et fait entendre sa voix. Des filles s’émeuvent et tendent les bras vers lui comme hypnotisées. Un écran géant diffuse des vidéos aux couleurs monochromes, symétriques : le Roundhouse est baigné par le mystère. Car avec Nicolas Jaar, le fossé entre performance et production tend à disparaître pour laisser place aux nombreux sens de la musique, et ce soir, il revisite en direct ses nombreux titres et remixes devenant parfois difficilement reconnaissables. 

Live experience

Rejoint par le guitariste Dave Harrington, Nicolas Jaar réussit tout de même de belles performances mélodiques, notamment sur le très bon Darkside. Rythmes entraînants et sonorités subtiles se révèlent à mesure que la représentation avance. Quand le tube Space is Only Noise if you Can See emplit la salle, les nuances sont tellement vastes que le public, pourtant avide de basses, semble perdu. Les genres de musiques se mélangent, à l’image de l’audience qui se partage entre les fins connaisseurs et ceux qui sont là… parce qu’il faut être là. Après une heure et quart de live, Nicolas Jaar revient pour deux rappels et termine sur une improvisation acide.
On regrette le temps où il était entouré de ses musiciens et on repense à cette scène à la Fabric remplie d’amplis et de bruits percussifs. Au moment où le show devait prendre son envol, Nicolas Jaar, tout petit sur sa vaste scène, dans ce gigantesque espace, n’arrive pas à faire prendre la folie pourtant invitée par le dosage crescendo de basses. Énigmatique, expérimental, ce show aurait explosé dans un club à taille humaine où l’expression « Live experience » promise par le ticket aurait trouvé tout son sens. Mais c’est peut-être sur des scènes désormais plus grandes que Nicolas Jaar trouvera la place pour l’art inspiré qu’il défend…