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Le mois de novembre s’est conclu avec la très attendue vente aux enchères de la légendaire collection Jean-Paul Gaultier appartenant à Mouna Ayoub. Avant cet événement, une prévisualisation s’est tenue au 84 rue de Turenne, dans le 3ᵉ arrondissement de Paris.
Les 41 créations, issues de la garde-robe personnelle de Mouna Ayoub, femme d’affaires libanaise et grande passionnée de haute couture, ont été confiées aux maisons Maurice Auction et Kerry Taylor pour une vente exceptionnelle. Couvrant les périodes Automne-Hiver 1998-1999 à Automne-Hiver 2022-2023, elles retracent l’univers fascinant de « l’enfant terrible de la mode », grandement inspiré par l’art du corset, du trench, des cultures du monde, du cinéma, de la musique et de son amour inébranlable pour Paris.
L’événement a dévoilé des créations iconiques, parfois portées par Mouna Ayoub lors d’événements célèbres. Parmi elles, la robe Valérie en dentelle orange fluo, issue de la collection Printemps-Été 2012 Hommage à Amy Winehouse, brillamment arborée sur le tapis rouge du 65ᵉ Festival de Cannes. Autre chef-d’œuvre, la mythique robe bustier Écume des jours, de la collection Printemps-Été 1999, réalisée en denim et plumes d’autruche, a été adjugée pour 377 000 euros. Inspirée par sa grand-mère qui pratiquait l’upcycling durant la Seconde Guerre mondiale, époque où l’inventivité était un talent essentiel pour contourner la pénurie, cette pièce illustre l’esprit punk de Gaultier. C’est ainsi qu’à partir d’un simple jean, il a créé une robe fourreau à l’ourlet sirène, sublimée par des milliers de plumes d’autruche appliquées à la main, voltigeant avec grâce à chaque mouvement. Cette pièce remarquable inspirée par L’Écume des jours, roman surréaliste de Boris Vian publié en 1947, a nécessité 64 heures de travail pour sa réalisation, sans compter l’ornement minutieux des plumes d’autruche. Les nuances de dégradés des plumes qui flottent sur la robe simulent l’écume des vagues de la mer, établissant un lien visuel et poétique avec l’œuvre littéraire. La robe fut le poumon de la collection, elle illustre à la fois son excellence technique, son univers déjanté et la méticulosité propre à la haute couture. Jean-Paul Gaultier, fidèle à son identité stylistique, s’est fortement inspiré des thèmes maritimes, un univers qui a marqué sa carrière et dont la marinière est devenue l’emblème. La robe incarne parfaitement cette fusion entre rêve, mer et couture.
Dans la continuité des grands couturiers de l’âge d’or, Gaultier baptise ses créations d’un nom unique, souvent teintés d’humour ou d’hommage à ses muses. Cette robe s’impose comme une véritable déclaration d’art et d’imagination, qui , selon son ancienne propriétaire, mériterait une place dans un musée.
Jean-Paul Gaultier, marqué par ses souvenirs d’enfance passés à regarder des films en noir et blanc avec sa grand-mère, a nourri un amour profond pour le cinéma d’époque. Cette source d’inspiration trouve une expression saisissante dans l’ensemble de soirée noir et or intitulé Paris Câlin, issu de la collection Automne-Hiver 2000 Paris et Ses Muses. Cet ensemble est composé d’un body sans manche nude pailleté or et d’une jupe en vison noir dotée d’un côté extérieur en daim, ornée de motifs pixellisés. Ces motifs représentent une image d’étreinte capturée à l’écran, travaillée avec du daim jaune, ocre, vert et ivoire, conférant à la pièce une dimension cinématographique. D’ailleurs, c’est devant le film Falbalas (1945) que son destin s’est révélé : il a entrevu son avenir de couturier, imaginant des défilés où la mode se mêlerait à la magie du cinéma. Le look est complété par un imposant chapeau noir et un voile couvrant le visage, renforçant l’aura dramatique et nostalgique du cinéma d’autrefois. Cette création illustre la capacité du créateur à transformer des souvenirs et des références culturelles en une mode sophistiquée et narrative.
Enfin, la robe du soir Néons de Pigalle en velours imprimé et brodé, tirée de la même collection, rend hommage aux lumières vibrantes de Pigalle et à la scintillante Tour Eiffel, symboles du romantisme parisien cher à Jean-Paul Gaultier. Cette pièce a nécessité 350 heures de travail et se veut une véritable ode à la Ville Lumière. Confectionnée en velours de soie teint à la main, elle est ornée de perles multicolores, de bandes de plastique et de broderies évoquant les néons scintillants des rues de Pigalle. Chaque détail, jusqu’au nom du couturier brodé sur la robe, incarne son amour profond pour cette ville. Fasciné par un Paris loin des clichés lisses et polis, Gaultier cherchait à capturer l’âme du Paris nocturne : libre, audacieux et outrancier. Il rend hommage aux scandaleuses et fascinantes créatures de la nuit, telles que les bourgeoises encanaillées, les bad girls, les danseuses de cancan, les androgynes… Bref, à celles qui profitent des plaisirs de la nuit de manière éhontée. Ces personnages exceptionnels, qui défilent des Champs Elysées à Pigalle en défiant les conventions avec assurance et liberté, trouvent ici une célébration parfaite. Avec cette création, il représente brillamment l’effervescence nocturne, transformée en une œuvre d’art vibrante et poétique.
Gaultier a toujours cherché à mettre en lumière ceux que la société considérait comme « anormaux », refusant de les cacher ou de les réduire au silence. Il les a glorifiés et sublimés, leur offrant une place sur le catwalk, un espace où rêve et représentation se mêlent, à travers des vêtements façonnés à leur image.
Cet accès privilégié à de véritables pièces de musée a offert une plongée fascinante dans l’univers éclectique de Jean-Paul Gaultier. À travers ses créations, il brise les codes avec passion, insufflant à chaque collection une vision avant-gardiste qui célèbre la diversité des corps, des genres et des arts.
Texte Noémie Fonkou Guemo