Il est évident que quand on est à la fois fille de, actrice et mannequin et que l’on décide de se lancer dans la musique (surtout en 2012), on est attendu au tournant. Et pourtant grâce à des arrangements signés Etienne Daho, un univers folk rock sixties, mais surtout des chansons et des textes criants d’honnêteté, Lou doillon fait mouche. Nous avons décidé d’en savoir un peu plus sur cette jeune femme accomplie, d’une gentillesse et modestie déconcertantes, juste avant la sortie de Places.
Tu as déclaré que tu avais toutes les meilleures raisons de ne pas te lancer dans la musique…
C’est très étrange. Je passe mon temps à toucher du bois toute la journée, mais tout le monde est très gentil avec moi, je ne suis pas habituée. [Rires] Je pensais, comme beaucoup de choses que j’ai faites dans ma vie, que cela allait se passer très calmement et qu’on n’en entendrait pas beaucoup parler, mais finalement si. Je n’ai pas l’habitude qu’il y ait une unanimité, c’est très agréable, mais je pense qu’il ne faut pas s’y habituer car il n’y a rien de plus fragile.
Cela a vraiment été une surprise pour toi que l’album soit, pour l’instant, si bien accueilli par les journalistes ?
Complètement, mais je pense que la surprise est des deux côtés. Mon parrain, Etienne Daho, comme un grand manitou, avait prévu le coup en me disant : « Tu verras dans un an, tout va changer ! ». C’est vrai, qu’en ce moment, la seule manière de me rassurer, c’est de l’appeler tous les deux jours. [Rires]
Et comment l’as-tu rencontré ?
A un repas de famille, mais je l’avais déjà croisé plein de fois car il est très ami avec Charlotte et ma mère. Mais on ne se connaissait pas beaucoup. J’étais, à une période, assez énervée de ma vie. J’avais du mal avec ma famille, la France, mes amoureux, moi-même… avec tout. Et pour moi, Etienne était profondément lié à la famille Gainsbourg. Donc, je restais de mon côté, en me disant que j’étais un peu bâtarde, que ce n’était pas légitime. Et lui m’a vue à un moment où cela n’allait pas du tout. Et comme un homme qui aime profondément les femmes, il a su déceler mes failles tout de suite, alors que je planquais cela relativement bien. Il a parlé à ma mère du fait que je n’allais pas bien. J’étais à un moment d’extrême solitude, mais comme beaucoup de gens qui sont souvent seuls, tu peux très vite tomber dans quelque chose de limite morbide. Je ressemble beaucoup à ma mère, dans le sens où je suis très innocente, je fais toujours tout sans réfléchir. Mais comme je suis moins féminine et que je fais un peu peur aux mecs, je n’avais pas trouvé l’homme qui me sacraliserait en quelque sorte. Ma carrière est complètement en zigzag, mais je marche au coup de cœur, entre les films indé dans lesquels j’ai tourné et les comédies. J’ai également fait de la mode à une époque où les actrices mannequins, cela ne se faisait pas du tout. C’était d’une ironie totale car elles arrivaient à se lever tôt pour aller à un défilé Chanel et moi pas. [Rires] J’ai aussi fait des spectacles de lecture devant le club du troisième âge. J’étais la seule de moins de 60 ans : il y avait Sammy Frey, Fanny Ardant, Fabrice Luchini et moi. Puis d’un coup, tu arrêtes tout à 19 ans pour faire un môme. Ensuite, j’ai fait la couverture de Playboy… C’est assez déroutant pour les gens, mais je suis comme cela ! J’ai un côté très femme de la Renaissance. J’ai toujours voulu m’exprimer dans plein de domaines différents, mais quelque part, j’ai toujours eu un problème de créneau : j’étais trop en avance ou trop en retard.
Et avec la musique ?
Avec la musique, par contre, j’ai toujours été décomplexée. Je jouais de la musique avec des potes, en jammant avec des amis californiens dans un délire très hippie. C’est ma mère qui a dit à Etienne d’aller écouter ce que je faisais. Quand Etienne est arrivé chez moi, dans cette maison remplie de livres, de peintures, de guitares, le tout dans un bordel sans nom, je pense qu’il a compris qui j’étais vraiment. Il m’a dit, dès le départ, que c’est la musique qui ramènerait la paix dans ma vie, que l’on allait vraiment voir qui j’étais avec cela. Je suis une piètre guitariste. Un prof de guitare m’a appris quelques accords, mais c’est tout. Il me fallait juste un support basique pour m’exprimer.
J’ai entendu dire que chaque chanson était dédiée à un homme que tu as connu…
Non, je n’en ai pas connu tant que cela ! [Rires] Il est dédié à deux hommes de ma vie. J’ai sélectionné les chansons avec Etienne. Quelque part, j’aime les challenges casse-gueule comme mon père. Je sors un album alors que je suis actrice, à un moment où c’est complètement has been. Et puis, Mélanie Laurent s’est fait massacrer avec son album. Il y avait beaucoup d’argent en jeu, l’album a été enregistré aux Etats-Unis, alors que le mien a été fait en dix jours au coin de la rue, en gros. J’ai la chance d’être très dure avec moi-même car j’en ai pris plein la gueule à cause de mon côté fille de. Son erreur est de ne pas avoir anticipé les coups, car c’est un milieu dur. Je suis très fan de musique, mais j’ai un côté groupie flippant. [Rires] Hier encore, j’étais avec Edward Sharpe & The Magnetic Zeros et Soko. Nous avons jammé en backstage, j’adore cela. J’ai plus une position de groupie que de musicienne ! A un moment, j’appelais tout le temps ma mère et Charlotte pour avoir des places de concert ! [Rires]
Dans cet album, il y a une couleur très folk, mais aussi des références, comme celles à The Velvet Underground. C’est ce que tu cherchais ?
J’ai toujours été obsédée par le rock, je ne suis venue que très tard au folk… Quand j’ai fait ma première chanson, j’ai été hyper déçue de me rendre compte que je n’écrivais pas du rock. [Rires] J’ai une écriture musicale très carrée, très linéaire : cela sort en rimes, ce qui me gonfle souvent ! J’admire profondément des chanteuses comme Lhasa ou Fiona Apple. Je voulais un album spontané, le faire au coin de la rue en un temps record, pas cher et sans featuring, pour que les gens ne jugent que la musique car je savais qu’on m‘attendrait au tournant. Je peux jouer toutes mes chansons seule à la guitare, je veux être capable de tout gérer. Cela doit venir de mon père qui ne travaillait qu’en plan séquence. Il ne supportait pas l’idée que l’on fasse du mot à mot, de couper le maximum. Il ne faut pas perdre cette énergie, l’immédiateté. C’est d’ailleurs ce qui a amusé Etienne, le fait que je travaille quasiment en prise directe. Je venais au studio à pied, en portant ma guitare ! Je n’avais même pas de démos. Nous faisions une chanson en deux heures.
Comment as-tu rencontré Philippe Zdar, le producteur ?
Je ne le connaissais pas, c’est Etienne qui me l’a présenté. Honnêtement, je ne connaissais pas son travail. Ma maison de disques n’y croyait pas, il venait de faire le Beastie Boys et avait refusé de faire Madonna. En plus, il
produisait Cat Power ! Je ne pensais vraiment pas l’avoir. J’ai envoyé une démo, juste guitare/voix, et Zdar a été emballé tout de suite. Il a même arrêté l’enregistrement de Cat Power, pour que j’enregistre mon disque en huit jours. Cela a aussi vraiment éclaté Etienne de travailler dans un genre musical qu’il n’avait jamais fait : le folk. Ce qui est dingue, en plus, c’est que le jour où je suis arrivée en studio, cela faisait trente ans, jour pour jour, que Zdar venait d’arriver à Paris. Il y a une anecdote hyper drôle d’ailleurs, c’est qu’il doit toute sa carrière au cul de ma mère ! [Rires] En fait, il avait été infirmier à l’armée. Il est venu à Paris pour bosser en studio, c’était son premier jour, il n’y connaissait encore rien. Le lendemain, Serge Gainsbourg et ma mère débarquent en studio, en pleine journée, car ils avaient un concert le soir. Jane avait une extinction de voix, c’était à la fin des années 70. Serge a eu l’idée d’une piqûre de cortisone, mais comme il n’y avait pas de médecin, Philippe s’est proposé pour faire la piqûre. Là, Philippe a compris que toute sa carrière se jouait au bout de cette aiguille ! [Rires] Ma mère lui a donc tendu les fesses, et Zdar l’a piquée divinement bien. Sa carrière était donc sauve. Plutôt drôle quand même !
Cet album est né dans la douleur. Tu penses que cela t’a servi d’exutoire, de thérapie ?
Complètement. A partir du moment où j’ai écrit, cela allait déjà mieux. C’est beaucoup plus simple d’écrire quand ça va mal. Si j’avais été bien, je ne suis pas sûre que j’aurais réussi à écrire ce disque.
Quelles sont les différences que tu as pu noter entre les milieux que tu as côtoyés : la mode, le cinéma et maintenant la musique ?
La musique est un monde nouveau, mais c’est un univers qui me met dans une position très masculine. Cela m’apporte deux aspects : la force et la fragilité. Cela fait 15 ans que je fais de la promo pour les films des autres. Là, c’est différent car ton projet, c’est comme ton enfant. Le fait de vouloir le protéger, le défendre, me procure une grande joie. Je me suis toujours arrangée pour ne pas être une actrice. Mais ce que je trouve toujours tou-chant, c’est d’être une sorte de « victime consentante », car j’ai un côté maso, surtout avec les gens avec qui j’ai travaillé. Mon père est d’une grande dureté dans le travail, mais c’est tellement agréable de vouloir à tout prix faire plaisir à l’autre. J’aime le faire pour des gens que je considère comme des génies. Quand je sortais de scène avec Beckett, j’avais l’impression d’être une petite fille. Mais c’est aussi une accumulation de névroses. Le but de ce métier, c’est d’y aller les yeux fermés : laisser ta vie, ton enfant et suivre des gens sur un tournage. C’est une histoire d’amour, quitte à se mettre dans des situations dangereuses. C’est aussi parce que, depuis que j’ai 14 ans, je suis jugée par chaque personne que je croise. Tu es évaluée sur tout et avec, souvent, beaucoup de malveillance, car sinon ce n’est pas drôle. Je passe donc ma vie à entendre des critiques sur mon compte dès que je fais deux pas. C’est dans ces moments-là, que tu dois tout lâcher en faisant un film, en t’oubliant complètement. Je revendique des influences de Patti Smith en musique, par exemple, car il faut beaucoup de « couilles » pour être une femme dans ce milieu. Dans la pop, la plupart des minettes chantent des trucs comme : « Je n’ai pas besoin de toi, va te faire foutre… », etc. Et, c’est souvent écrit ironiquement par des hommes, alors qu’il faut beaucoup plus de courage pour chanter : « Regarde-moi, je suis à terre, et j’ai un mec qui me trompe, et je suis tellement obsédée par lui que je ne trouve pas cela grave…».Je trouve cela plus beau d’assumer.Quelque part, c’est un énorme baiser à l’ennemi, c’est dire : « Je m’en fous et je t’aime ». C’est pour cela que je préfère Leonard Cohen à Bob Dylan, car Dylan, c’est le plus grand des méchants. Ses meilleures chansons sont celles qui sont odieuses. Quand il veut être gentil, il est un peu fleur bleue et léger. Cohen, quant à lui, est capable d’aller plus loin dans les rapports conflictuels. En même temps, j’ai été entourée d’hommes obsédés par les rapports compliqués. Mon père me disait que dès que l’on avait embrassé quelqu’un, il n’y avait plus d’intérêt, et Serge considérait qu’en amour, il y en avait toujours un qui se faisait chier. [Rires]
Et justement, les deux hommes à qui les chansons sont dédiées ont-ils écouté ton album ?
Le principal concerné, non. Je ne l’ai jamais recroisé, mais cela m’amuse hautement de savoir qu’il va l’entendre. Je pense que cela va être déstabilisant pour lui : quand quelqu’un s’est très mal comporté avec toi, lui dire merci dans une chanson, c’est un formidable pied de nez. C’est plutôt inattendu. Ma mère l’a écoutée, elle a été très émue, surtout qu’elle a toujours pensé que je finirai écrivaine, fumant la pipe. [Rires] Mais c’est vrai que j’ai le goût du risque. C’est quand même assez fou de faire vingt-deux films, et qu’ils se plantent tous ! [Rires]
C’était une évidence pour toi de chanter en anglais ?
C’est d’abord pour une question de musicalité. Cela marche mieux en anglais. Bizarrement, la question ne s’est jamais posée, je n’ai jamais chanté une chanson en français. Il y a aussi ce souci familial : j’ai été élevée par des gens rock’n’roll et enfantins, mais avec une politesse sans nom ! Comme ma mère, je ne veux jamais vexer, je pense que c’est par crainte de ne pas vouloir faire de bruit, de prendre de la place sur la scène française. Et puis, c’est aussi une manière de ne pas trop se dévoiler non plus.
Et comment appréhendes-tu la scène ?
J’ai hâte et en même temps peur, car j’ai seulement un album et.je n’ai pas forcément envie de faire des reprises de neuf minutes. Je suis impatiente de voir comment cela va marcher auprès du public. Wait and see !
Chronique
Deux accords de piano, une batterie délicate et une voix suave à la fois pleine de force et de drame, c’est comme cela que démarre Places, premier album de Lou Doillon. Classe, intimiste et surtout résolument honnête. L’exercice était plutôt délicat pour cette actrice, mannequin et fille de. il faut dire qu’on l’attendait au tournant. Là, où beaucoup d’autres ont échoué, Lou Doillon réussit haut la main un premier album où l’on côtoie les fantômes du Velvet underground, de Patti smith ou encore de Bowie. un écrin sixties, folk, rock, réalisé par l’orfèvre Etienne Daho. on promet un avenir plus que prometteur à cette nouvelle musi- cienne accomplie.
Lou Doillon, Places (Barclay) www.loudoillon.fr
Propos recueillis par Guillaume Cohonner
Photos Greg Gex
Réalisation Flora Zoutu