Paris, on ne le présente plus : les amateurs de mode connaissent tous l’enfant prodige venu tout droit du Lubéron pour insuffler un air de sud aux femmes des grandes villes. Jacquemus joue avec des allures délibérément rustiques, un je-ne-sais-quoi sulfureux et une nonchalance digne de la Lolita de Nabokov, pour faire vibrer les podiums parisiens où il défile désormais. Portrait d’un jeune créateur qui a le Lolo de Ferrari dans la peau.

Jacquemus, c’est surtout une histoire avant tout. Un jeune créateur qui conte la mode et la puise là, où elle n’existe pas – la campagne rurale, une manufacture de rivets de porte, la sécurité routière – afin de donner une véritable identité au vêtement. Une manière de rendre justice au prêt-à-porter femme, qui est malheureusement souvent dépourvu de caractère au nom d’une inspiration qui change d’une saison à l’autre. L’inspiration, Jacquemus en a aussi, mais elle n’a pas de date d’expiration comme pour la plupart des ses collègues, elle lui colle définitivement à la peau : « Je suis tombé amoureux et j’ai convenu avec cette personne de me faire tatouer Lolo sur le bras, si elle se faisait tatouer Ferrari, comme cela, quand on se tient par la main, on est unis », sourit le jeune créateur. «Mais au final, c’était Lolo, sans Ferrari ! C’est juste une anecdote qui me résume bien, ainsi que mon travail. Je parle de ma mère, du sud de la France, de la Sicile qui me tient à cœur. Et surtout, je traduis tout cela dans des tenues épurées, parfois un semblant rigides, presque comme des tenues d’ouvrières », continue Jacquemus, qui ne jure que par la fragilité de la soie, mêlée à l’opacité de la popeline de coton et de la laine bouillie.

Ses débuts dans la mode, Simon Porte Jacquemus les a faits à tout juste 20 ans : en 2010, l’aspirant couturier fait ses griffes dans une école de mode à Paris, qu’il quitte rapidement, ses marcels et ses pantalons à taille-haute n’étant pas au goût de ses professeurs. C’est pour se dédier à sa première collection L’Hiver Froid, suivi des Filles en Blanc, qu’il a quitté la machinerie des écoles privées. « Mes idées sont souvent très brutes », poursuit le créateur. « Je fais mes dessins comme un bébé, je pourrais travailler à la SNCF ! Mais maintenant, je prends mon temps pour bien faire les choses. » Une bonne décision, puisque sa troisième collection marque son premier succès commercial et est distribuée par Opening Ceremony à Hong Kong. Il opte pour un film au lieu d’un défilé, avec un court-métrage signé Bertrand Le Pluard, photographe qui collabore avec Simon depuis ses débuts. Des uniformes pull-jupe en laine bouillie, strictement coupés et délibérément sobres, défilent ainsi devant la caméra, qui révélera plus tard des prises de vues aux couleurs vintage. C’est dans une manufacture de rivets de porte, que des filles habillées en Jacquemus, travaillent machinalement ou bien sirotent un Coca-Cola en soupirant d’ennui.

La femme Jacquemus, c’est un peu Isabelle Adjani – que Simon adule – dans L’Eté Meurtrier : délicieusement paumée, naturellement belle avec un soupçon de folie dans les yeux. Rien de plus naturel donc, que de choisir Caroline de Maigret pour son dernier film de la collection printemps-été 2012, intitulé Le Chenil. Là aussi, Le Pluard est derrière la caméra et suit une Caroline qui promène ses chiens dans les champs, quand elle ne cajole pas un bichon qui porte un collier avec le nom du jeune créateur. Un train-train journalier en campagne, que Jacquemus sublime avec des soupçons d’esthétique Nouvelle Vague. Suit sa cinquième collection, le soi-disant Sport 90s, qui se fera plus discrète que les précédentes, tout en narrant la course d’une jeune fille dans la capitale. Simon mélange volontairement le costume de travail rayé à des jupes plissées aux allures fifilles, sans oublier la paire de basket au pied pour un contraste couture-jogging, qui ravira les uns et laissera les autres perplexes face à cette incohérence stylistique assez osée. C’est finalement avec sa sixième collection, intitulée La Maison, que Jacquemus ose le passage du film au défilé pour la saison printemps-été 2013 : « C’était une étape nécessaire, plus commerciale et plus réaliste. Cela dit, cela ne m’empêche pas de rester fidèle à mon style. Pour le choix des mannequins, c’était du street casting – une fille belle dans la rue est une fille belle tout court ». Au programme, ses habituelles popelines et son inspiration tenue de travail qui va, cette fois-ci, jusqu’à puiser ses tissus dans des manufactures : «J’ai choisi l’étoffe orange fluo, que l’on retrouve sous forme de gilet de la sécurité routière, pour façonner quelques silhouettes, ainsi que de la moustiquaire pour toutes les transparences».

La prochaine étape ? « Je suis toujours vendu chez Opening Ceremony et Dover Street Market, vient maintenant une collaboration avec Wood Wood et peut-être, aussi, la réalisation d’un film d’horreur. » Et parce que Simon est fier du savoir-faire français, dans une industrie qui préfère nettement le copier-coller bon marché, l’ensemble de ses collections est, exclusivement, signé à Paris. À la bonne franquette !

www.jacquemus.com

 

 

 

Par Elisabeta Tudor