Pour promouvoir l’héritage de la couture italienne, Alta Roma, la semaine de la mode romaine romaine présidé par Silvia Venturini Fendi, a collaboré avec le commissaire d’exposition Alessio de Navasques qui a fait appel au photographe américain Jeff Bark. Dans le cadre de l’exposition The Secrets of Couture, cet amoureux de l’Italie rend hommage au savoir-faire de la belle botte avec une vidéo onirique, pourvue de photos qui se mettent en mouvement, instaurant un sentiment d’inquiétante étrangeté. Le court-métrage de Jeff Bark est aussi un clin d’œil appuyé au cinéma italien, de la mystique joyeuse de Federico Fellini à l’angoisse chromatique de Mario Bava. Alessio de Navasques, fondateur d’Artisanal Intelligence, est allé à sa rencontre.

Alessio de Navasques :  Tu m’as confié te sentir artistiquement plus proche de l’Italie, pourquoi ?
Jeff Bark : J’ai déménagé de Los Angeles à Milan et j’y suis resté cinq ans. Je n’ai pas appris l’italien, en revanche j’ai plongé au plus profond de mon imagination. La lumière diffusait des tons gris qui sont depuis restés ancré en moi.

AdN : Parle nous de tes moments de création…
JB : Mes idées commencent généralement avec une couleur ou même un accessoire. Le projet prend forme quand les idées se croisent et s’assemblent. C’est aussi une question d’ouverture et de faire table rase pour que le projet puisse évoluer avec authenticité. C’est comme un puzzle où l’on pense aux pièces nuit et jour dans sa tête.

AdN : Te rappelles-tu de cette nuit, lorsque nous nous sommes rencontrés ? Tu étais en train de manger un sandwich avec Gloria Cappelletti.
JB : Oui, je t’ai demandé ce qui t’a marqué cette nuit-là, si tu connaissais mon travail.

AdN : Qu’est-ce qui t’a amené à Rome ?
JB : Être de retour à Rome m’a rappelé mes années de jeunesse, quand je dessinais tout le temps. Je dessinais à partir de livres d’art et de plein d’autres choses quand j’étais à Rome. Toutes les routes mènent à Rome, le proverbe dit vrai à bien des égards. J’ai aussi passé une nuit éméché en virée dans la ville avec mes amis italiens préférés et ils m’ont emmené dans tous les lieux que je n’avais jamais visité. Nous étions juste des gens en train de se balader dehors la nuit, mais la ville était à nous.

AdN : Les personnages que tu mets en scène sont les représentations des peurs et des angoisses de nos vies quotidiennes, mais aussi des reflets de nos plaisirs et désirs enfouis.
JB : J’ai beaucoup de mal à voir une personne et à ne pas imaginer sa vie. Je suis attiré par la banalité du quotidien et je veux glorifier le quelconque et le négligé. Je trouve presque tout triste à un certain niveau.

AdN : Souvent, tes photos sont très fortes. Helmut Newton a dit que pour photographier les choses qui lui faisaient peur, il ne pouvait dialoguer qu’avec la caméra. Qu’en penses-tu ?
JB : Regarder à travers la caméra est à la fois une forme de protection et un obstacle, donc ce regard me sert de masque en tant que personne. Je shoote de manière à tout contrôler, donc le sujet fait exactement ce que je lui demande de faire pour avoir la bonne pose. Je dois les détendre suffisamment mais pas trop, sinon ils perdent leur concentration. Je suis toujours respectueux de ce que les modèles me donnent.

AdN : Avec l’exploitation intensive des réseaux sociaux, penses-tu que la photographie est en train de perdre de sa valeur ?
JB : Aujourd’hui, tout le monde est photographe et jamais autant de gens n’ont regardé de photos. La clé, c’est de prendre la photo que personne d’autre ne pourra avoir.

AdN : Que penses-tu du cinéma ?
JB : Je pense qu’il est plus difficile de capturer des idées fortes en photo qu’au cinéma, où tout passe. J’essaie de construire des concepts de photographie avec plus de narration, pour les rendre plus profondes et pour que le spectateur puisse se poser plus de questions.