Nourri aux sous-cultures des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, Francisco Terra imagine avec Neith Nyer une mode aux influences diverses. Un peu rebelle, un peu couture, un peu street et nostalgique, ses créations, elles, ne laissent personne insensible et le placent au sommet des créateurs à suivre. Immersion en backstage lors de son dernier défilé automne-hiver 2017 par notre photographe Justino Esteves. Interview par Quentin Adler.

Tu peux nous en dire plus sur ton parcours avant Neith Nyer ?
J’ai suivi des études dans le domaine de la négociation internationale, ce qui m’a amené à travailler à l’ONU, au sein du département de développement textile pour douze pays francophones d’Afrique. J’ai toujours voulu faire de la mode, mais je ne viens pas d’une famille aisée donc j’ai dû trouver un métier, gagner de l’argent pour pouvoir ensuite déménager à Paris et intégrer une école de mode. Après mon master à l’Istituto Marangoni, j’ai rejoint la maison Givenchy en tant que stagiaire et j’en suis sorti comme styliste senior. J’y suis donc resté un petit bout de temps… Après mon départ, j’ai travaillé chez Carven et j’ai fondé Neith Nyer !

Pourquoi était-ce le bon moment pour créer ta propre marque ?
Je ne sais pas vraiment si c’était le bon moment ou pas, mais je m’en sentais capable. Je me suis posé la question de ce que je pouvais amener à la mode alors que tout a déjà été fait  : une jupe est une jupe, une robe est une robe, personne ne peut se vanter de leur invention aujourd’hui. Pour moi, la seule façon de créer la différence c’est de raconter des histoires au moyen de mes collections  : elles sont toujours très personnelles, inspirées par des moments que je vis, des villes que je visite, des gens que je rencontre.

Tu références souvent le passé dans tes collections, mais un passé pas si lointain. Qu’est-ce que signifient pour toi les années quatre-vingts, quatre-vingt-dix ?
En fait, je m’inspire de ce qui a marqué mon enfance, mon adolescence. Quand tu étais punk, tu ne traînais qu’avec les punks, si tu étais grunge tu ne traînais qu’avec les grunges. Aujourd’hui, on ne retrouve pas ce phénomène de sous-cultures, tu peux te réveiller un jour et avoir envie d’être punk, alors tu t’habilles punk. Dans mon adolescence je suis passé du grunge au hippie, donc je trouve ça drôle que maintenant la société mélange tout. Neith Nyer, c’est la fusion des mouvements que j’ai connus, c’est dans l’air du temps et je pense que c’est ce qui attire les gens.

D’où vient le nom Neith Nyer ?
C’est le nom de l’une de mes grands-mères qui était couturière. Les deux l’étaient, mais j’ai vécu pendant plusieurs années avec ma grand-mère maternelle. J’ai grandi au pied de ses machines à coudre.

Défiler dans le calendrier officiel de la fashion week, c’est quelque chose dont tu as envie ?
Oui ! Je veux entrer dans le système pour ensuite pouvoir le bousculer de l’intérieur, y apporter un peu de fraîcheur. En revanche, ce dont je suis sûr, c’est que je souhaite que Neith Nyer reste une marque indépendante, je ne veux pas faire partie d’un groupe ou vendre un nom qui m’est si cher.

À qui penses-tu quand tu dessines tes collections ?
Je pense aux gens qui ont envie de porter mes vêtements. Il y a une hypocrisie dans la mode où l’on s’inspire des gens qu’on voit dans la rue, de leur style, mais on fait défiler des mannequins. Pour le dernier défilé Neith Nyer, le casting était composé d’amis, d’artistes qui nous inspirent et c’est une démarche que l’on voit de plus en plus souvent. Gosha Rubchinskiy, Vetements ou Koché font appel au street casting et pas pour des raisons budgétaires, mais parce que c’est en adéquation avec leur vision.

Pour qualifier ton équipe, tu parles d’un gang. C’est important d’avoir cet entourage ?
Oui, parce qu’il faut que je me sente à l’aise avec les personnes avec qui je travaille. On passe la majeure partie de notre temps ensemble, je les apprécie beaucoup. Plus qu’une équipe, c’est ma bande de potes, mes cop’s.

Est-ce que tu as une obsession, dans la vie ou dans ton travail ?
Je suis obsédé par les vêtements bitchy, les putes, les films pornos, le sexe.

Quelle personnalité voudrais-tu voir porter tes créations ?
Courtney Love ! Justement parce que c’est une personne très sexuelle.

Tes projets pour la suite ?
Le prochain défilé et on va aussi essayer de se pencher sur la question commerciale. Je me suis toujours focalisé sur l’image, ce qui est une petite erreur de jeunesse. Au bout d’un moment, il faut pouvoir vivre de son travail donc, pour la saison prochaine, on va réfléchir à cette problématique sans mettre de côté l’image Neith Nyer.

Un plaisir coupable ?
Un Coca Zéro.

Quelle chanson chantes-tu sous la douche ?
Alanis Morissette et Nirvana.

Années quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ?
Quatre-vingt-dix, forcément !

Un objet fétiche ?
Les lunettes de soleil.

Un pays qui te fascine ?
Le Japon, j’y passe beaucoup de temps et je suis en train d’écrire mon propre manga, qui servira d’inspiration au prochain défilé !

Et ton manga préféré ?
La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda, très esthétique, très garce.

Interview originellement publiée dans le numéro 50 de Modzik, toujours disponible ici.