Sous ses airs gauches et morbides, le zombie nous tend un reflet des tensions raciales et hiérarchiques de notre société. Décryptage.

En ce mois d’octobre marqué par les prémices du froid hivernal, post Fashion Week, post CouscousGate, voilà qu’arrive Halloween. Casse-tête du costume, marathons de soirées infinis et invasion interminable de mômes à la porte, Halloween s’avance à grands pas dans vos notifs Facebook. Cette année, il s’habille aux couleurs du monstre le plus famous de la pop culture : le zombie. En version Frappucino chez Starbucks ou en sandwich Whooper à Burger King, il squatte aussi le grand écran façon comédie musicale. Le film Anna and the Apocalypse caste les morts-vivants les plus enjaillés de tout le cimetière, dans ce film britannique annoncé pour Noël. Au programme ? Une jeune fille se voit dans l’impossibilité de fêter son réveillon à cause d’une invasion de morts-vivants. Dans le même registre musical, Taylor Swift revient d’entre les morts dans son clip « Look what you made me do ». Les jeux vidéos ne sont pas en reste. En effet début Novembre, le nouvel opus du fameux jeu de guerre Call of Duty — ayant pour décor la Seconde Guerre Mondiale — comportera un épisode où les joueurs devront faire face à des nazis zombies.

Une allégorie de l’Autre dans un monde apocalyptique

Loin de se résumer à une simple recette de divertissement, ce spécimen s’impose en 2017 par le biais politique. La chaîne Arte Creative l’a bien compris, et a mis en ligne une série de mini-reportages réalisée par Dimitri Kourtchine, intitulée « Tous zombies ». Elle entreprend de dévoiler les significations socio-politiques du monstre devenu figure populaire. On y apprend par exemple, que lors de la campagne présidentielle, l’équipe de Trump diffusait des spots publicitaires anti-immigration pendant le passage à l’antenne de The Walking Dead. Les migrants étaient ainsi assimilés à une horde de zombies dont il serait mieux de se débarrasser. Or, cette série — ici détournée dans un contexte où la post-vérité règne en maître —, n’est en aucun cas l’étendard de tels messages. Créée en 2007, cette adaptation de la BD de Robert Kirkman — qui en est à sa huitième saison — aborde les questions intersectionnelles (le croisement de problématiques de genre, classe et race) à travers des thèmes tels que la hiérarchie ou la division du travail. Par ailleurs, il serait difficile de ne pas citer l’œuvre de Jordan Peele, Get Out, où le réalisateur et humoriste dépeint un univers, où en résumé, de jeunes hommes noirs sont lobotomisés par des Blancs, et transformés en esclaves morts-vivants faisant écho aux victimes afro-américaines des violences policières.

Bien que son allure sanguinolente et cannibale semble l’éloigner de nous, ce héros anthropophage est bel et bien un double symptomatique de nos dérèglements sociaux-politiques – et révélateur de la fabrique de l’Autre dans l’inconscient. Effectivement, il n’est pas sans rappeler le concept freudien dUnheimlichkeit, ou d « inquiétante étrangeté », qui suggère que l’étrange nous terrifie précisément parce qu’il nous ressemble. D’étrange à étranger, il n’y a qu’un pas : ce rejet de l’altérité est la clé de l’apparition du racisme, explique le philosophe Richard Mèmeteau, spécialiste de pop culture. Si certains « craignent l’étrange(r), c’est parce qu’il leur ressemble de façon troublante. Nous craignons ce que nous pourrions devenir : en fait, nous sommes déjà des étrangers, au moins à leurs yeux. La xénophobie suppose toujours une familiarité – même fantasmée – avec l’Autre. Et c’est là tout le paradoxe de notre racisme contemporain. On pourrait aimer la différence, mais parce qu’on n’accepte pas l’altérité au fond de soi-même, on finit par haïr le dissemblable. » analyse-t-il.

Naissance du mort-vivant

Ce processus d’exclusion mis en lumière par la culture pop ne date pas d’hier. Avant Michael Jackson et le clip « Thriller » — un classique — aux 447 millions de vues, avant la série de jeux vidéos Résident Evil et ses adaptations cinématographiques infinies (la septième a fait son entrée dans les salles obscures cette année), ce trépassé — aujourd’hui anthropophage — apparaît dans de nombreuses cultures. En Europe, notamment à travers le mythe de Lazare, sorti de la tombe par Jésus. Mais également à Haïti, où le « zonbi » était un individu puni pour ses crimes, au cours d’une cérémonie punitive destinée à l’ostraciser. Il se retrouvait donc à la fois, ignoré de la société (mais vivant) et au service d’un tiers en tant qu’esclave. Plus tard, avec l’arrivée des américains sur l’île dans les années 30, ce fut une manière de renverser l’ordre impérial établi en prouvant que les Haïtiens aussi pouvaient avoir des esclaves. Après cela, cette figure envahit le monde occidental avec La Nuit des Morts-Vivants, réalisé par le feu George A.Romero. C’est à ce moment qu’elle prend toute sa place dans la pop culture. D’ailleurs, le réalisateur disait que le “zombie était un monstre en col bleu”. En effet, il incarnait par son aspect inerte cet état d’aliénation vécu des travailleurs, englués dans des tâches répétitives. Barbara Gurr, enseignante en Women and Gender Studies à l’université du Connecticut, analyse la popularité du zombie : « Sa popularité initiale venait de la fascination qu’avait la pop culture pour l’exotisme durant l’ère victorienne, alors que les voyages, les peintures, les recherches, les photos donnaient à voir des récits de l’Autre dans une société privilégiée, blanche et occidentale. »

“I Walked With a Zombie”, film de Jacques Tourneur (1943). Le réalisateur renoue avec les origines caribéennes du zombie.

À l’heure actuelle, le zombie fédère car il offre un scénario apocalyptique où son crime est acceptable : « cette figure, puisque que déjà morte, permet un crime sans culpabilité » ajoute Barbara Gurr, « elle permet une violence gratuite et sans état d’âme, comme souvent dans le gaming et les films gores. »

D’une terreur psychanalytique à une exclusion systémique, ce monstre pourrait aller jusqu’à soutenir une logique antispéciste (ou philosophie vegan), qui « milite pour l’intégration de tous les êtres vivants dans une même famille de considération morale, vers l’appartenance de l’espèce humaine à une communauté beaucoup plus large qu’elle-même » explique Aymeric Caron, auteur de AntispécisteAimer le Zombie comme son prochain, se reconnaître en lui et ne plus le poursuivre avec arbalète (clin d’oeil à Daryl de The Walking Dead), fusil ou hache en main est le futur qui nous attend.