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Le 8 novembre, le duo parisien Projections nous a donné rendez-vous à Saint-Denis, pour découvrir le tournage du clip By Your Side, titre phare issu de leur prochain album Anyone Can Sing, qui sortira en 2026.
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Après 5 ans d’absence, Arthur et Ronan, les deux membres du groupe, nous ont conviés afin d’assister aux coulisses du tournage de leur prochain clip, une occasion pour comprendre l’univers et les intentions derrière ce tout premier album, intitulé Anyone Can Sing. On a eu la chance de pouvoir l’écouter en exclusivité, c’est pourquoi on ne manquera pas de vous partager un petit avant-goût, histoire de vous faire encore plus attendre…
Avant cela, revenons sur les fondations du groupe Projections. Ce n’est qu’en 2016 que les deux membres du groupe se lancent dans l’aventure musicale, pour ensuite sortir leurs premiers EP et singles en 2017. Entre autres, Trois leçons de Ténèbres, qui se fait remarquer par son aspect cinématographique et cet espace sonore faisant instantanément appel à l’image. Tout ça n’est pas anodin, puisqu’avant de s’associer en musique, les deux hommes avaient l’habitude de composer à destination du monde du cinéma. Ronan a par exemple travaillé sur la musique du film Belle Dormant, réalisé par Adolfo Arrieta.
Fans des compositeurs de BO, le duo imagine donc sa musique à travers un visuel et une déambulation d’images, mais sans aucune narration. Cet imaginaire, inhérent à leur travail, est avant tout une relation réciproque, puisque l’auditeur ne peut pas échapper à cette projection (sans mauvais jeu de mots), portée par la dimension épique, voire mystique de leurs morceaux. Leur EP II, également sorti en 2017, en est une illustration assez claire.
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Mais derrière cette instrumentalité, se cache une certaine retenue, substituée à une volonté « d’incarner une posture de chanteur », désir grandissant chez les deux artistes (relativement au titre de l’album). Mais pour cela, le temps est le maître mot : « l’idée d’incorporer nos voix a été toute une réflexion », à raison de ne pas être « désagréablement surpris par ce que tu sers ». L’un des membres nous confie : « C’était un fantasme [l’idée de chanter] ! On se cachait derrière la musique instrumentale, pourtant on est en adoration sur plein de groupes avec des chanteurs ou chanteuses qui incarnent quelque chose. On est assez pudiques de nature ».
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« C’était un fantasme [l’idée de chanter] ! On se cachait derrière la musique instrumentale, pourtant on est en adoration sur plein de groupes avec des chanteurs ou chanteuses qui incarnent quelque chose. On est assez pudiques de nature »
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Mais cette fois-ci, les deux artistes ont décidé de franchir une étape et de se donner entièrement à leur « envie de faire des chansons ». Pour ce faire, Ronan et Arthur ne s’affranchissent pas seulement de leur pudeur, puisqu’ils s’entourent de musiciens exceptionnels pour la réalisation de l’album. Ils font appel à Will Berman (batteur pour MGMT), Gordon Raphael (producteur du groupe The Strokes) ou encore Dave Cooley (ingénieur du son américain, notamment pour Tame Impala).
C’est pourquoi, dans ce virage serré pris par le duo, toujours fidèle à l’imagerie, on ne pouvait manquer de se rendre au tournage de leur nouveau clip, afin de comprendre la fabrication visuelle qui réside derrière ce premier album chanté.
Pour ça, les deux artistes ont décidé de s’associer une nouvelle fois avec le réalisateur Emilio Gamal Boutros, avec lequel ils avaient d’ores et déjà collaboré sur le clip de Lights Gones, clip le plus abouti de leur discographie d’ailleurs.
Dans un bref échange, le réalisateur aux multiples casquettes (Emilio a œuvré aussi bien dans la publicité que dans le clip, tout en signant plusieurs courts-métrages) nous confie que cette fois-ci, il s’est attaché à « entrer beaucoup plus dans l’univers », pour correspondre « à leur [il parle de Projections] attachement à l’enfance et à l’adolescence ». Pour ce faire, toute l’équipe s’est mobilisée pour penser « un décor d’anniversaire, collant à la chanson et allant plus en profondeur dans le travail entre visuel et musicalité ».
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On retrouve donc le réalisateur et toute son équipe sur les planches d’un véritable décor de cinéma : un appart de lendemain de soirée, un beau bordel qui rappelle quelques-unes de nos jeunes soirées mouvementées, ou alors le traumatisme de parents revenus de vacances un peu trop tôt. Ici, aucun complexe, les vieilles parts de pizza traînent encore dans leurs cartons, les confettis dispersés habillent l’intégralité du sol, il ne manque plus qu’une odeur de tabac froid et on s’y croirait ! Chose étonnante, on nous révèle que le façonnement du clip n’a été imaginé qu’il y a deux semaines, tandis que le décor a été installé il y a seulement trois jours. Un temps record qui a fait planer quelques doutes dans l’équipe… Et pourtant, les voilà tous rassurés devant l’écran de contrôle, admirant le résultat.
Cependant, un autre défi attend l’équipe de tournage car Emilio Gamal Boutros a fait un pari risqué, celui de réaliser un plan-séquence de presque quatre minutes, un exercice de style chéri par le réalisateur contrastant avec l’idée du clip, généralement très coupée au montage. Ici, « on est dans l’étude d’un personnage [un adolescent errant, désorienté] en un sens, on veut justement prendre le temps d’être avec lui », d’où le choix du plan séquence.
Au centre de tout ça, Pierre Gommé, jeune comédien qui a déjà tourné pour Quentin Dupieux dans le film Le Daim. Le jeune homme paraît détendu, confiant, pourtant il s’emploie à un exercice complexe : pendant presque quatre minutes, l’acteur se balade de façon précise dans l’appart, accompagné d’une caméra rivée sur son visage, supplémentée d’une chorégraphie déchaînée en dernière partie. Un exercice pas évident, « qu’on ne fait pas souvent, avec tout un tas de timings à respecter », nous dit l’acteur. Concernant la chorégraphie, cela ne semble pas l’intimider, puisqu’il se prête vivement au jeu : « c’est de l’impro, c’est ma danse, je suis en roue libre total ! ».
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Il devient ainsi la figure des émotions véhiculées par By Your Side et illustre la déambulation d’un adolescent mélancolique qui finit par succomber à ses tourments volcaniques. Sa performance est remarquable puisque chaque prise est maîtrisée, sans hésitation ni flottement, tout s’enchaîne avec fluidité, fruit d’un travail rigoureux en amont.
Pendant ce temps, toute l’équipe est en ébullition et s’exécute à ses fonctions. Certains réorganisent les décors dans l’ombre du travelling, d’autres orchestrent les lumières, passant d’une lueur discrète à une véritable boule disco, tandis que le caméraman court autour de Pierre pour une séquence à 360 degrés, qui donne le tournis ! Et puis il y a nous, planqués entre l’armoire et le canapé, filmant au plus près de l’action, témoins de l’effervescence qui règne sur le plateau. Un tournage qui s’avère donc intense mais largement applaudi, puisque Projections et l’équipe célèbrent et se félicitent du rendu visuel. Tout le monde semble comblé et l’atmosphère se relâche, avant de se rendre à la cantine pour une pause bien méritée.
L’occasion pour nous de profiter de ces quelques instants calmes pour discuter avec le groupe, et d’en savoir un peu plus sur cet album qui ne tardera pas à sortir. Ce qu’on retient avant tout de cet entretien, c’est réellement cette volonté de partir de zéro du groupe : « Notre essence, c’est une volonté conceptuelle d’aller chercher des nouveaux trucs, de déconstruire, de chercher un nouvel artisanat ». Cela se ressent dans les morceaux de l’album : on passe d’un air rock un peu old school dans Another Friend, une bizarrerie électro dans XI ou encore un électro-pop / new-wave à la Empire of the Sun dans PFTL.
Les voix abordent plein de sonorités et se heurtent à des styles épars, qui confirment « la géométrie extrêmement variable » du groupe. Les voix sont assumées pleinement, ajoutant cette fois-ci une narration à la dimension visuelle toujours inhérente à leurs morceaux. Projections signe dans cet album des textures impeccables, nouvelles, mêlées à un storytelling décomplexé qui amène l’auditeur un peu partout, sans jamais nous perdre. La direction prise semble maîtrisée et pourtant, l’album Anyone Can Sing revêt quand même ce style désinvolte, presque je-m’en-foutiste, s’amusant et explorant tout un tas de musicalités très bien étudiées. Si tout le monde peut chanter, Projections le fait particulièrement bien…
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Texte Antoine Caudebec
