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Parmi les rencontres qui comptent, celle avec Hausmane occupe une place à part. Si nos chemins s’étaient brièvement croisés aux débuts de FORM, c’est la première fois que nous avons réellement pris le temps d’échanger. Ce qui devait être une simple interview de 30 minutes s’est transformée en une conversation de prés de deux heures, où se sont mêlées confidences artistiques, souvenirs intimes, récits de transmission, l’évocation de son magnifique EP solo et de sa double release party hors du commun. Long résumé.
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Dans la voix de Hausmane, il y a quelque chose d’à la fois ancien et neuf. Une voix qui incarne un pont entre les cultures, enracinée entre le Liban, le Val d’Oise et Paris qu’il a appris à aimer à nouveau. Un lien invisible entre les cultures, les gens, les sons. Et toujours, le besoin de faire ensemble. De construire à plusieurs ce que seul on n’ose à peine rêver.
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La musique, comme un jeu sérieux
L’apprentissage ne s’est pas fait dans les conservatoires. « Je suis très autodidacte. J’ai fait un peu de batterie de 7 à 11 ans, mais sinon, rien de vraiment académique. » Ce qu’il retient, c’est la pulsation, le corps. « Ma grand-mère m’a mis à la batterie à 4 ou 5 ans parce que je tapais partout. Ça m’a appris à désynchroniser mes membres. Ça, c’est resté. » Puis, la guitare devient l’obsession. « À 8-9 ans, je voulais chanter, faire de la guitare. C’était viscéral. » Ce premier outil devient la matrice de toute son écriture. « Le côté guitare-voix, c’est mon gros kiff. Revenir à ça, c’était retrouver quelque chose d’organique, de simple. » Hausmane commencera une fac d’anglais à à Cergy, « parce que je ne savais pas trop quoi faire. J’aime bien l’anglais et je le parle également ».
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L’adolescence dans les marges créatives
Son adolescence se passe à Taverny, dans le Val d’Oise. C’est son grand frère qui l’inspire en lançant l’idée de réinvestir des lieux abandonnés avec des talents variés. « Il disait toujours qu’avec de l’énergie et de la volonté, on pouvait faire beaucoup, même sans argent. » C’est ainsi qu’est né l’Abattoir, un ancien hangar à Pontoise, transformé par un collectif de bricoleurs et de rêveurs. À 17 ans, Hausmane s’y installe. Il y découvre la vie en collectif, la création artistique, l’autonomie. Avec son ami d’enfance Aksel Bahouche, il réalise ses premières productions musicales. « On faisait tout : des soirées, des expos, des bals, des chantiers. J’ai appris à construire, à m’organiser, à faire du son. » Lui et Aksel, les plus jeunes du lieu, deviennent un peu les mascottes du collectif. Ils apprennent au contact des anciens et commencent à composer pour des pièces de théâtre, rejoints par Adrien Vincent, un ami de son frère. Pascal Stirn, alors directeur de l’EMB (la salle de musiques actuelles du département), propose à Hausmane de préparer un plateau avec les producteurs de l’Abattoir pour assurer la première partie de Fakear. C’est là que naissent FORM et le collectif Akousmatic.
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Le Musée Sauvage, une nouvelle aventure fraternelle
Quatre ans plus tard, son frère relance une nouvelle initiative à Argenteuil, dans l’ancien musée et hôpital de la ville. « On a toujours été liés dans nos projets. Pour FORM, il faisait les visuels, donnait son avis. J’ai monté ma boîte avec lui, un peu sans trop savoir où ça irait. » Le Musée Sauvage naît de cette complicité : Hausmane s’occupe de l’artistique et du culturel, sa sœur du lien social avec les habitants et les associations, et son frère pilote la vision globale. « On a fêté les 5 ans en avril. C’est un lieu unique, inspirant. Il y a cette énergie des possibles, cette envie de rassembler, d’apprendre, de créer sans cesse. »
Mais revenons un peu en arrière…
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FORM : le groupe, la fraternité à nouveau
Avec le groupe FORM, Hausmane vit une aventure humaine et musicale intense. Trois EPs, un album, des lives. « C’était mes frères de son. On a tout fait ensemble. Même aujourd’hui, on continue à produire ensemble, même si FORM est un peu en sous-marin. » Cette période le nourrit : « Je faisais les concepts de morceaux, les grilles d’accords, l’écriture. Les gars faisaient la prod, le beatmaking. On se complète à fond. » L’aventure est d’ailleurs loin d’être terminée officieusement : préparation d’un remix pour Chien Méchant, le prochain album de Fakear, celui de La Chica…
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Le solo comme miroir
L’écriture devient peu à peu un déclic. « C’était excitant de me dire : avec presque rien, je peux écrire plein de choses. » L’idée du solo lui est soufflée par La Chica, puis encouragée par Hugo de Nowadays. Il partage ses démos, sans trop savoir si elles sont pour FORM ou pour lui. Jusqu’au jour où Hugo lui dit : « C’est super, mais j’ai l’impression que c’est plus toi ». Et là, tout s’éclaire. Créer en solo devient un nouvel élan. « Il y avait des choses que je n’exprimais pas dans FORM, pas par frustration, mais parce que ce n’était pas le cadre. Là, je pouvais être totalement moi, sans filtre. » Ce projet devient un terrain d’exploration plus intime, plus brut. « Je me suis demandé : c’est quoi, ma musique, à moi seul ? Je n’avais jamais pensé à ça. » L’écriture devient plus directe, plus vulnérable. « Parce que là, tu parles juste pour toi. Il y a une simplicité, une fragilité que je n’avais encore jamais vraiment touchée. »
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La bascule en solo
Tout change au Café de la Danse, quand La Chica lui propose de faire sa première partie. Guitare-voix, seul sur scène, face à un public venu pour quelqu’un d’autre. D’abord, il hésite. Par pudeur, par réflexe, il propose d’être accompagné. Puis il accepte. « J’ai flippé au début. Mais au bout de trois morceaux, j’ai senti que ça marchait. Ça m’a mis une claque. » Il joue presque tout l’EP, une reprise de Fink, deux morceaux de FORM. Le duo avec La Chica viendra plus tard. « J’en suis ressorti avec ce sentiment de puissance, d’être à nu. Et c’est devenu une obsession. » Tout s’enchaîne : il trouve un tourneur, enchaîne les premières parties, toujours en solo, jusqu’à l’enregistrement de ses cinq premiers titres.
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Le jazz comme renouveau
C’est encore Sophie (La Chica), toujours bienveillante, qui ravive l’élan d’Hausmane. Lors de son deuxième soir au Café de la Danse, un groupe de jeunes hyper connectés à sa musique vient le voir. Sophie lui glisse : « Ce sont des élèves du Pôle Sup en jazz, une promo incroyable ». Hausmane, en quête de renouveau, accepte de les rencontrer. La connexion est immédiate avec Nathan Mollet, claviériste. Une jam dans son salon avec la chanteuse Cathy déclenche quelque chose. Il les invite à jouer en première partie au Musée Sauvage : la dynamique est lancée. Peu à peu, il monte une équipe solide autour de lui : Matis Hurion à la batterie, Cathy aux chœurs, Levane Katchlichvili à la guitare, Viktor Raynaud à la basse. Il découvre la scène jazz parisienne, les jams au Baiser Salé, une nouvelle effervescence. « J’ai redécouvert Paris. Là où je pensais avoir fait le tour, je me suis retrouvé à jouer tous les soirs, à rencontrer des musiciens incroyables. » Cette immersion devient le cœur de son projet artistique. C’est aussi au Café de la Danse qu’il rencontre Thomas Clément, l’ingé son de Sophie, qui devient un pilier discret mais essentiel. Puis vient Jordan Kouby, l’artisan du son de FORM. « Je faisais mes trucs solo dans mon coin, et un jour, il m’a dit : “Tu bosses en solo et tu me fais même pas écouter ?” » Dès la première écoute, Jordan embarque juste par passion. C’est ainsi que naît l’EP. « Des gens comme Jordan, Thomas, La Chica… Sans eux, je n’aurais jamais eu la confiance de sortir ce projet. Même un solo, en vérité, c’est toujours une aventure collective. »
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Une release hors du temps
Le Musée Sauvage, c’est le cœur du projet d’Hausmane. Il y crée un format de concerts intimistes — 70 à 80 personnes assises au sol, guitare-voix, piano-voix — où l’émotion prime sur la notoriété. « J’ai vécu des moments bouleversants là-bas. » C’est dans ce cadre qu’il découvre Hohnen Ford via TikTok, la contacte, l’invite. Elle loge chez lui, répète dans le salon, et trois jours plus tard, un concert magique. Ce soir-là, en février, marque aussi son premier test live en groupe. Un tournant. Ce lien intime avec le public devient une évidence. En échangeant avec Sébastien Zamora, son producteur spectacle, l’idée d’un concert différent naît. Pas une salle classique, mais un lieu à l’image du Musée : il pense au Studio Ferber. « C’était un rêve. Et un soir, après un concert, Sébastien m’a dit : “On le fait”. L’objectif : recréer l’esprit du Musée, mais à une autre échelle. Deux soirs à Ferber, 100 personnes par date, une atmosphère unique. » Toute son équipe est là : Thomas à la captation, Jordan au son, les musiciens rencontrés au fil des jams organisées au Musée. La scène sera partagée avec La Chica, Claire Days, Coline Rio, deux trompettistes Lilian Mille de Bada-Bada et Nizar Ali et les cordes qui l’accompagnent depuis longtemps. Certains répéteront le jour même, dans un esprit libre et vivant. « L’idée, ce n’est pas la perfection, mais l’intensité. » Ce furent deux soirs uniques, suspendus, pensés comme une célébration collective. « C’est intense, mais je suis trop heureux. Je me sens comme un enfant. »
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Double héritage, racines en tension
« Je suis le fils d’un Libanais arrivé tôt. » Hausmane parle avec franchise — et gratitude. Son père lui a transmis le sens de la chance, et l’idée qu’il fallait en faire quelque chose. Une grande partie de sa famille est restée au Liban, même si beaucoup de cousins sont partis ailleurs : Europe, États-Unis, Canada, Dubaï. Lui, il a toujours gardé un lien fort avec le pays. « Si je n’y vais pas une ou deux fois par an, il me manque quelque chose. » En 2006, à 11 ans, il se retrouve sous les bombes à Tripoli. La famille fuit en montagne, puis est évacuée par la Marine Française. « Ce n’était pas un traumatisme, mais une révélation. J’ai compris ce que signifiait avoir un passeport français. » Ce départ, alors que sa famille restait, l’a profondément marqué. Avec le temps, il s’est éloigné de la vision religieuse et conservatrice de son père. « Je ne suis pas croyant, même si j’ai respecté les pratiques plus jeune. Mais j’ai toujours aimé la générosité de cette culture. » Aujourd’hui, il redécouvre Tripoli autrement : une ville marquée par la crise, mais pleine de vie, de créativité, de jeunesse, notamment dans le quartier d’El Mina. « J’y ai même commencé à jouer de la musique. »
Le Liban est pour lui une source constante d’inspiration, loin des clichés. « Ce pays m’a transmis une résilience incroyable. L’hospitalité y est bouleversante. À chaque fois, je repars avec une claque. » La question israélo-palestinienne a aussi traversé son éducation. « Mon père était très engagé. À l’école, c’était difficile d’en parler. J’ai vite senti que le sujet était tabou. » Aujourd’hui, il revendique la nuance. Il échange avec des Israéliens progressistes, cherche à comprendre. « Beaucoup de conflits viennent de traumatismes transmis. Moi, je veux pouvoir dire que je suis touché, sans être enfermé dans une case. »
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Influence musicale en creux
« Longtemps, j’ai eu du mal à me sentir légitime. Quatre ans sans retourner au Liban… Je culpabilisais. Je me disais : “Tu ne parles pas arabe, tu n’y vas pas, t’es pas vraiment Libanais”. Et pourtant, là-bas, personne ne me voit comme un étranger. » Avec le temps, il accepte pleinement sa double identité. « Je suis franco-libanais. C’est en moi. » Musicalement, pourtant, peu de traces directes. « Il y a sûrement un esprit collectif, une ouverture… Mais je n’ai jamais intégré consciemment des sonorités libanaises. » Le oud l’inspire, mais il ne l’a utilisé qu’en filigrane, peut-être pour un futur projet. « On m’a déjà demandé si je chantais en arabe. Je n’ai jamais osé, comme avec le français. Pour moi, ça doit venir naturellement. Je ne veux pas faire un morceau en arabe juste pour cocher une case ou rentrer dans un quota. » Avec FORM, l’EP Amal rendait hommage au Liban pendant la révolution de 2019. « J’ai laissé parler les voix du pays, les slogans… Je ne me sentais pas légitime pour parler en mon nom. » Aujourd’hui, ce complexe s’est apaisé. « Je n’ai rien à prouver. Certains entendent une vibe orientale dans ma voix. Peut-être. Mais ce n’est pas réfléchi. » Il refuse l’instrumentalisation de l’identité. « Si un jour j’ai envie d’en parler musicalement, je le ferai. Mais je veux que ce soit sincère. Pas parce que mon nom sonne arabe qu’on doit me mettre sur une scène “musique orientale”. Si ma musique n’y correspond pas, je ne m’y sens pas à ma place. »
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Temps pour soi, enfin
Longtemps, Hausmane a eu du mal à s’arrêter. « J’avais un peu ce truc : si je ne bosse pas plus que les autres, je suis un ingrat. » Alors il multipliait les projets, les concerts, les arrangements pour d’autres. Jusqu’à ce que son corps lui dise stop. « J’ai eu des vertiges. Sophie (La Chica) me disait : “Arrête, tu n’arrêtes jamais”. » Aujourd’hui, il essaie d’apprendre à ralentir. À se reconnecter. À lui. À ses racines. « J’aimerais retourner au Liban cet été. J’en ai besoin. » Et peut-être, dans ce calme retrouvé, composer encore autrement. Parce que même seul, chez Hausmane, la musique parle toujours de lien. En assumant d’être au centre d’un plateau, il a senti que cette fragilité assumée, cette nudité musicale, c’était peut-être là que résidait sa force. Dans les cinq titres de son EP , on entend ce qu’il a longtemps retenu. Ce qu’il pensait peut-être réservé aux autres. Il parle avec simplicité de solitude, de désir, de douce mélancolie. De l’essentiel. Hausmane écrit comme on respire quand il n’y a plus de bruit autour. Même seul, sa musique reste tissée de liens. Entre les gens, entre les mondes. Et entre les morceaux de lui-même qu’il rassemble, peu à peu.
EP I est disponible via Nowadays/Believe.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Michael Luppi