Avec Oh! The Ocean, The Wombats livrent un album plus introspectif et mature, franchissant une nouvelle étape dans leur carrière. Attablé dans un hôtel parisien, une tasse de thé à la main, Matthew Murphy, alias Murph, leader et principal compositeur, se confie sur son évolution artistique, sa nouvelle approche de la musique et sa propre transformation.

 

 

 

Des débuts chaotiques

C’est au Liverpool Institute for Performing Arts (LIPA) que tout commence en 2003. Murph, peu intéressé par les études, y trouve un espace propice à l’écriture et à l’expérimentation musicale : « J’étais dans un groupe qui répétait tous les soirs, on fumait beaucoup d’herbe et j’arrivais à l’école encore stone. J’ai eu un A en musique, mais le reste était à chier. J’avais entendu dire que le LIPA était difficile à intégrer, alors j’ai tenté et j’ai obtenu une place. J’y ai passé plusieurs années. LIPA était vraiment génial, parce qu’il vous donne le temps d’écrire et de travailler sur des choses. J’ai donc un diplôme de musique, je suivais surtout des cours d’écriture de chansons. Cela m’a permis d’apprendre mon métier et m’a donné le temps de comprendre ce que je voulais faire. Et ça m’a permis de comprendre ce que je voulais vraiment faire. »

C’est là qu’il rencontre ses partners in crime Dan Haggis (batterie, claviers, chœurs) et Tord Knudsen (basse, claviers, chœurs). « Dan et moi étions des amis très proches et on avait besoin d’un bassiste. Tord était impliqué dans neuf groupes différents, mais petit à petit, tous ces projets ont disparu jusqu’à ce qu’il ne reste que The Wombats. Nous avons d’abord obtenu un contrat d’édition. Peut-être, est-ce pour cela qu’il est venu avec nous. LIPA nous a beaucoup aidés. »

 

Matthew Murphy © @wombatsofficial

 

Grâce à l’un de ce premier réseau social Myspace, le groupe sort son premier album exclusivement au Japon, avant d’exploser au Royaume-Uni. « On nous a proposé environ 3 000 dollars pour enregistrer un album (Girls, Boys & Marsupials en 2006). On l’a fait, et ensuite, tout s’est enclenché. Mais notre premier vrai album (A Guide to Love, Loss & Desperation en 2007) contenait déjà certaines de ces chansons, alors c’était un peu confus. »

Les premiers concerts, eux, sont loin d’être des succès : « Notre premier show à Liverpool, dans un bar appelé Hannah’s Bar, était un désastre. On portait des chapeaux de bouffon et des lunettes de soleil. Moving to New York devait faire partie de la liste des chansons à l’époque. Mais toutes les autres chansons n’étaient pas très bonnes. Seules vingt personnes étaient présentes. Moving to New York était déjà dans la setlist, mais toutes les autres chansons étaient nazes. Nous étions… très, très saouls. On essayait d’être plus Monty Python, qu’un groupe à prendre au sérieux. C’étaient des débuts très étranges. »

Ce premier concert sera suivi d’autres, tous aussi foireux à Londres. « C’était horrible. On a fait beaucoup de concerts à Londres à cette époque. Le premier, c’était sous l’impulsion de Simon, notre manager. Il nous a dit : « On vous a trouvé un super concert à Londres ». C’est un festival. Il s’appelle Lark in the Park. Et on s’est dit, « oh, wow, on va faire un festival ». On était tellement excités. Et puis on est allés dans ce pub marron où il y avait juste écrit « Lark in the Park ». Et on a joué dans une salle deux fois plus petite, devant un homme et son chien. Et c’est tout. Et il y a eu beaucoup de concerts londoniens comme ça, au début, parce qu’on avait l’intérêt d’un gars de l’A&R d’un label, Dave. Et il nous disait : « Oh, quand est-ce que vous jouez pour la prochaine fois ? » Et nous répondions : « On va trouver le prochain concert et on y va ». Mais le gars du label ne venait pas. Donc on était toujours à Londres à faire des concerts de merde. »

 

© Julia Godfrey

 

Le virage de 2018 : l’indépendance

En 2018, The Wombats sont remerciés par Warner. Une rupture brutale qui, sur le moment, affecte Murph : « Mon ego était lié à l’idée d’être sur un grand label. J’ai eu quelques mois difficiles. Maintenant, je n’ai plus besoin de l’aspect commercial d’un grand label. J’ai déjà ce côté commercial dans les chansons que j’écris ». Pourtant, ce changement s’avère bénéfique : « Chez AWAL, on possède nos masters, on a plus de liberté. C’est mieux que ça ne l’a jamais été. Aujourd’hui, je veux créer un album de valeur plutôt que de courir après un hit ».

Murph à cette période était dans une spirale infernale. « J’ai réalisé trois albums où je me suis isolé dans une pièce, peu importe mon état d’esprit, et j’écrivais, écrivais, écrivais… mais ce n’était pas sain pour moi. Quand on est seul, on est toujours avec soi-même. À l’époque, je me promenais dans la pièce avec un paquet de Marlboro, fumant sans arrêt, entre Coca Light et café. Ce n’était pas vraiment créatif. Je me rendais fou. Nous avons fini par sortir le troisième album. La fin avec Warner, et la dépression qui a suivi m’ont totalement bloqué créativement. Pourtant, il fallait que je sois créatif, car nous devions avancer. Mon manager m’a alors suggéré de déménager à Los Angeles, de tenter le coup, et j’ai adoré. Ça m’a beaucoup appris. Et puis c’est plus rapide : on peut écrire vingt ou vingt-quatre chansons par an et choisir les dix meilleures, ou en écrire soixante et retenir les dix meilleures. J’ai recommencé à écrire beaucoup seul, mais aussi avec Dan et Tord du groupe. Cela m’a appris à être moins possessif, à ne pas tout ramener à moi. Cela a ouvert des portes pour la créativité. »

C’est ainsi qu’est née son projet solo de Love Fame Tragedy. Cette initiative naît d’un besoin d’évasion artistique et d’une volonté de collaborer avec d’autres musiciens. « C’était vraiment une expérience pour voir ce que c’était que d’enregistrer et de collaborer avec des gens, surtout le premier. Pour le second, je n’ai pas eu le temps ou l’énergie de le faire. Pour moi, il est difficile de trouver dix ou onze chansons que je suis heureux de présenter au monde. Une fois que je les ai trouvées, je me suis dit que j’allais les enregistrer et les sortir parce que je pense qu’avoir des invités sur un album, c’est cool, mais ça prend beaucoup de temps. Nous avons donc décidé que les chansons étaient bonnes telles quelles. Et qu’il fallait les enregistrer. Pas d’artifices. »

 

Artwork

Oh! The Ocean : l’album d’un nouveau process…

Cette exploration musicale a directement influencé Oh! The Ocean, qui est sans doute l’un de leur meilleur album. Murph’ s’ouvre au monde. « J’ai arrêté de boire, et à partir de là, la vie est devenue beaucoup plus claire. Les hauts sont vraiment hauts et les bas vraiment bas, mais tout semble juste… Après neuf à douze mois de sobriété, j’ai eu cette sensation étrange, comme si la vie devenait vraiment… différente. La conscience elle-même est étrange, bizarre. Je pense que je me suis toujours senti un peu détaché du monde extérieur, mais maintenant, je me sens plus ouvert, prêt à l’accueillir. Cela se ressent dans ma musique, je pense que cela fait de moi un meilleur artiste. C’est un peu ce que représente la pochette de l’album, cette image d’un animal choqué qui voit l’océan pour la première fois. C’est un peu ce que j’ai ressenti pendant deux ans. » Sentiment qu’il capturera dans Reality Is A Wild Ride, sur l’album.

 

 

… et humain

Une nouvelle vision de la vie qui s’accompagne d’un changement de producteur avec l’arrivée de John Congleton. « Mark Crew a produit nos trois derniers albums, la moitié de mon deuxième solo et tout le premier. Pour celui-ci, on a voulu prendre un risque en travaillant avec John, avec qui on n’avait jamais collaboré. Il a refusé d’écouter les démos avant de finaliser la liste des morceaux. Chaque chanson commençait par le choix du tempo, puis je la jouais du début à la fin sur une guitare acoustique ou un autre instrument. C’était comme si John, Dan, Tord et tous ceux qui étaient en studio scrutaient mon âme pendant que je jouais. Il y a eu des moments où j’ai détesté ça et où je me suis demandé pourquoi on faisait tout ça. Ensuite, on ajoutait les autres éléments progressivement, en enregistrant tout dans une continuité sans sauter de parties. C’était un processus très différent, parfois un peu ennuyeux, mais au final, il a apporté à l’album une énergie unique. Je pense qu’il a cette folie organique que le deuxième album n’avait pas, et c’est ce qui me plaît. »

« John a choisi délibérément des morceaux qui étaient un peu hors du temps et loin d’être parfaits, ce qui correspondait à ce qu’on voulait faire. J’en ai marre d’être perfectionniste maintenant. C’est épuisant, et de toute façon, on n’obtient jamais exactement ce qu’on veut. Nous voulions quelque chose avec des erreurs. » C’est aussi un bon moment pour évoquer l’enjeu de l’IA. « Je pense que l’IA sera plus bénéfique que négative. Je ne peux vraiment pas imaginer un futur où l’humanité se contenterait de musique créée par quelque chose sans âme, sans esprit, sans conscience. Je pense que ça n’affectera pas vraiment la musique live, mais les enregistrements et le streaming, oui, c’est certain. Il faudra trouver des accords justes sur la rétribution des artistes. »

 

 

Une tournée mondiale au programme

L’album sera défendu en live lors d’une grande tournée des arénas au Royaume-Uni. « Je suis excité de jouer ces chansons sur scène. Ça fait longtemps. Que l’album devienne numéro un, ça n’a pas vraiment de sens. Faire une tournée dans des arénas, non plus. Mais ça fait du bien de partager notre travail après tout ce temps… 2003. 22 ans. À ce stade, je devrais être dans un hôpital psychiatrique. Je sais. Mais ça va. » Murph a toujours parlé de ses problèmes de dépression et de crises de panique, notamment dans My Head Is Not My Friend sur ce nouvel album. Son départ aux États-Unis, sa rencontre avec sa femme et la naissance de ses filles l’ont aidé à trouver un équilibre, qu’il devra laisser de côté pendant la tournée de promotion de Oh! The Ocean, débutée avec des rencontres presse et une tournée dans les magasins de disques. « Il s’agit de maximiser les ventes pendant la première semaine, comme pour les trois derniers albums. Mais je préférerais faire des concerts. Je pars trois semaines, puis je reviens pour deux semaines, puis repars quatre semaines. Ma fille aînée commence à ne plus trop aimer ça, alors je dois leur expliquer que c’est mon travail et que j’aime ce que je fais. Mais quand on n’est pas en plein cycle d’album, je suis plus à la maison qu’un père qui travaille de neuf à cinq. »

Murph revient également sur la création des vidéos qui offrent une vision toujours décalée où la famille a aussi un mot à dire : « Elles sont toujours en lien avec la chanson d’une manière ou d’une autre. C’est aussi intéressant de donner à la chanson un peu de liberté, de l’amener dans un autre univers. C’est peut-être pour ça que les vidéos semblent parfois décalées. Je n’aime pas vraiment faire des vidéos littérales, qui suivent à la lettre les paroles. Et puis, il y a souvent des morts. On est toujours en train de mourir. Mais je n’ai pas pu le faire sur cet album, car mes filles n’aiment pas ça. Ma femme m’a dit : « Il faut que tu arrêtes de mourir dans tes vidéos ». J’ai répondu : « D’accord, d’accord, je vais arrêter. La famille d’abord. »

 

Dan Haggis, Murph, Cherub, Tord Knudsen © DR

 

Pour finir, on demande des nouvelles de Cherub, la mascotte qui a accompagné le groupe depuis leurs débuts. « On l’a perdu à Oslo-Gardemoen, on l’a oublié là-bas. Je crois que quelqu’un l’a retrouvé. On a reçu quelques photos de lui depuis, mais on n’a aucune idée d’où il est maintenant. Si quelqu’un a des infos, on aimerait bien qu’il revienne, même si on ne sait pas dans quel état il est. Ce serait marrant de le retrouver. »

Oh! The Ocean marque une étape importante dans la carrière de The Wombats. En alliant brillamment leurs racines indie-rock à des explorations sonores modernes, le groupe livre un album à la fois solaire et pertinent. Murph nous confie une nouvelle fois sa vérité, une vérité qui aborde des thèmes universels auxquels chacun peut s’identifier.

 

Oh! The Ocean est disponible via Awal/Sony. En concert à Paris (le Trabendo) le 28 mars 2025.

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Julia Godfrey