Productrice et DJ Française, Dylan Dylan dévoilait son deuxième album, Love Theory, il y a un mois, sous le label anglais Shall Not Fade. Véritable ode à l’amour, ce projet s’accompagne d’une tournée jusqu’en octobre, et marque un tournant dans la carrière de l’artiste, devenue résidente du club parisien Le Badaboum cette année.

 

 

Hello Élise, comment tu vas ?

Ça va super, il fait beau et c’est mon anniversaire aujourd’hui ! Je joue ce soir à Rouen donc pas de fête de prévue.

 

Ton deuxième album Love Theory est sorti il y a un mois, pourrais-tu nous en parler en quelques mots ? En quoi est-il différent de ton premier projet ?

Mon premier album, qui s’appelait Euphoria, était plutôt expérimental. On voyageait dans différents univers, il y avait quelque chose d’assez onirique. Pour Love Theory, j’avais envie de quelque chose de plus direct, plus concret, donc il y a plus de formats courts. Je pense qu’il est plus accessible pour les oreilles les moins averties, qui n’écoutent pas beaucoup de musique électronique. C’était une volonté de ma part, il y a des titres qui se rapprochent même de la pop, comme le featuring avec Emma Wizz, Sorry, qui est un peu R’n’B. J’étais partie sur cette idée là, sans même savoir de quoi l’album allait parler. Je fais tout de manière assez intuitive, j’ai des grosses phases de production, où j’écris tous les jours dans mon studio, et je ne regarde qu’après quels sont les thèmes et les ambiances qui s’en dégagent. Là, de manière complètement inconsciente, le fil rouge c’était les ressentis amoureux : une rupture, une frustration, une rencontre, ça c’est fait vraiment naturellement quand j’ai commencé à assembler les titres pour voir à quoi allait ressembler l’album. C’est pour ça que je l’ai appelé Love Theory, chaque titre incarne un sentiment différent. C’est difficile de ne pas tomber dans le cliché quand on parle d’amour, il y a un côté très simpliste. Je trouve que c’est le sentiment le plus beau et le plus difficile à la fois, il y a plein de choses à écrire.

 

 

La collaboration avec Emma Wizz est la seule sur Love Theory, il n’y en a aucune sur Euphoria, pourquoi ce choix ? L’électro ne se prête-t-il pas aux featurings ?

C’est sûr qu’il y a beaucoup d’instrumentaux dans la musique électronique, mais on peut faire des featurings dans tous les styles. Je pense que ça vient plutôt de moi et de mon processus de création, je fais tout toute seule, chez moi, dans mon studio. J’utilise beaucoup de samples de voix, ça me fait une matière supplémentaire, mais le featuring c’est quelque chose que j’ai envie de faire depuis longtemps. J’en ai fait d’autres qui ne sont pas sortis ou qui sont encore en chantier, mais je suis très contente de celui-là, je trouve qu’Emma a vraiment rendu le track plus fort, plus percutant et plus joli, ça raconte une autre histoire dès qu’on pose une voix dessus, c’est quelque chose que je veux développer, que ce soit inviter des artistes sur mes titres, ou même écrire des instrumentaux pour les autres. Ce premier featuring, c’est un peu le commencement de ça.

 

D’ailleurs, l’électro est moins souvent associé aux femmes que la pop par exemple, est-ce dur de se démarquer en tant que femme dans ce registre ?

C’est vrai que quand j’ai commencé, il y a presque vingt ans, au début des années 2000, il y avait peu de femmes qui jouaient et qui produisaient. Dans le sud, d’où je viens, il y avait des collectifs de femmes, qui m’ont d’ailleurs beaucoup inspiré. Il y a eu des pionnières de la musique électronique, dans les années 1950 et 1960, mais comme dans tous les domaines, c’est une part qui a été invisibilisée, donc ça a crée des schémas de boys club avec des mecs qui sont là depuis 20 ou 30 ans, qui ont monté leurs labels, leurs collectifs, leurs soirées, mais ça tend à vraiment changer, il y a de plus en plus de femmes qui font la même chose, il y a même des collectifs féminins qui proposent des initiations au mix et à la composition sur ordinateur (M.A.O.) pour les femmes, afin de créer un climat de bienveillance, où on est sûres de ne pas être jugées, ça fait plaisir à voir. Je dirai que ça n’a pas été plus dur, mais ça a été moins évident.

 

As-tu déjà eu une expérience de ce genre, où on t’as fait comprendre que tu dérangeais ?

Oui, j’en ai même eu beaucoup, plutôt quand j’ai démarré. Les premières années, il y avait toujours les gars qui te disaient « Tu joues bien pour une fille », ça c’était classique, c’était des petites remarques inconscientes de leur part mais qu’ils ne se seraient pas permis avec un homme. Sinon, on m’a déjà placé dans des soirées 100 % féminines, ce qui pouvait partir d’un bon sentiment, mais qui était un peu maladroit. Depuis quelques années, j’en ai moins, mais ça arrive encore de temps en temps. La plus récente, c’est un mec qui s’est mis devant moi pendant que je jouais, et qui m’a expliqué comment faire mon travail, alors que ça fait vingt ans que je le fais donc je pense que c’est bon (rires).

 

« J’ai grandi dans une maison où il y avait toujours de la musique : quand je me réveillais, quand je rentrais de l’école, du rock, du blues, de la musique classique, mon frère écoutait du hip-hop et du metal… J’ai eu accès à plein de styles différents, mais j’ai découvert l’électro plus tard ».

 

D’où viennent tes influences ? Ont-elles évolué au fur et à mesure de ta carrière ?

J’ai commencé le piano assez jeune, vers 5 ou 6 ans je pense. J’ai grandi dans une maison où il y avait toujours de la musique : quand je me réveillais, quand je rentrais de l’école, du rock, du blues, de la musique classique, mon frère écoutait du hip-hop et du metal… J’ai eu accès à plein de styles différents, mais j’ai découvert l’électro plus tard. J’ai fait mon éducation un peu toute seule, en rentrant par les grandes portes avec l’électro-pop, rock. C’est un terrain de jeu tellement vaste avec de l’ambient, du trip hop, de la techno, il suffit d’être curieux. J’ai vraiment creusé, en passant par des phases plus minimalistes, par la scène house parisienne qui est très intéressante, je suis très influencée par la musique UK aussi, ça se sent dans mes productions. Je pense qu’elles ont changé, mais pas de manière radicale, il n’y a pas eu de rupture entre chaque influence, c’est plutôt une continuité, tout s’entremêle.

 

Quand tu composes ta musique, qu’est-ce qui t’inspires en particulier ?

C’est très simple, je suis du matin ! J’ai mon studio dans mon appartement, donc à 9h maximum je suis devant l’ordi. J’ai besoin d’être chez moi, au calme et toute seule, il y a des artistes qui peuvent composer dans le train, moi je suis incapable de faire ça (rires). 

 

Tu en es pile au milieu de ta tournée, comment ça se passe ?

Ça se passe super bien. J’ai moins joué les premiers mois de l’année, parce que j’étais aussi en tournée l’été dernier, donc j’en ai profité pour me reposer. Ce week-end, j’ai deux dates avec des artistes que je connais et que j’adore, et aussi quelques dates à l’étranger, ça me fait plaisir d’aller voir la culture électronique dans des pays différents. Je me suis bien faite au rythme, mais les premières années c’était plus dur, j’ai mis du temps à m’adapter.

 

Tu as été nommée Artiste à suivre de près en 2023, selon le ranking Trax Magazine, qu’est-ce que ça t’avais fais ? Comment ça a influencé la suite de tes projets ?

C’est toujours gratifiant d’avoir la reconnaissance des médias spécialisés, de gens qui sont dans le métier depuis longtemps, qui te disent que c’est bien ce que tu fais, pas en termes d’égo, mais dans les milieux artistiques il y a beaucoup de moments de doute, de remises en question, en tout cas pour ma part. D’avoir ces coups de pouce, ça fait chaud au cœur, ça donne envie de continuer, c’est super stimulant, tu te dis que tu ne t’es pas trop trompé.

 

« Il y a beaucoup de choses que j’adore, en tout cas ce qui me touche le plus, ce sont les moments de composition parce que c’est vraiment sans fin, je suis toujours très curieuse d’expérimenter, parfois le logiciel fait aussi des erreurs que je réutilise pour faire de la texture, je suis fascinée par tout ça ».

 

Tu parlais des nombreux doutes en tant qu’artiste, mais qu’est ce que tu préfères le plus dans ton métier ?

Il y a beaucoup de choses que j’adore, en tout cas ce qui me touche le plus, ce sont les moments de composition parce que c’est vraiment sans fin, je suis toujours très curieuse d’expérimenter, parfois le logiciel fait aussi des erreurs que je réutilise pour faire de la texture, je suis fascinée par tout ça. Quand tu passes des heures à faire un titre, qu’il sort enfin, que tu peux le jouer en live, que ce soit devant 50 ou 3 000 personnes, et que les gens réagissent bien, ça me trouble parce qu’il y a quelque chose de très pudique et d’intangible, qui part de chez moi.

 

Qui est ta dernière découverte musicale ?

La semaine dernière, j’étais à Londres, au Above Below Festival, et il y a un artiste qui s’appelle Sound Synthesis qui a fait un live, c’était super. C’est un mélange de techno, de broken beat et d’acid bass, qu’il fait avec la Roland TB-303, un synthétiseur très connu dans le milieu électro, il joue à fond avec ça. C’était super prenant donc j’ai été écouter son album et j’ai vraiment bien aimé. J’ai aussi découvert Mia Koden. C’est purement la vibe anglaise que j’adore ! Il y a un peu de dub, de l’UK garage, elle fait aussi un podcast pour un festival assez réputé à Amsterdam qui s’appelle Dekmantel, je conseille d’aller l’écouter.

 

Quel a été ton meilleur souvenir sur scène ?

Ça, c’est très dur ! D’un côté, il y a des grosses scènes qui font hyper plaisir, typiquement le Garorock, le Cabaret Vert que j’ai fait l’année dernière avec 4 000 personnes devant moi, le I Love Techno que j’avais fait à la maison, à Montpellier, qui était très touchant, mon père était venu me voir et il était assez abasourdi par l’énergie qu’il y avait. Dans mes souvenirs récents, je dirai le Above Below Festival de Londres, il faisait très froid, je faisais 2h-4h du matin, pour la clôture, en extérieur. C’était assez intimiste, il n’y avait pas plus de 1 000 personnes, mais il n’y avait pas un seul téléphone portable, les gens étaient vraiment là pour la musique. J’ai fait mon set de manière assez décomplexée, sans me dire « Qu’est ce que je vais jouer après ? », il y a une énergie incroyable qui est sortie de là, une vraie communion entre les gens et la musique. J’étais épuisée alors que je n’avais joué que deux heures, ce qui n’est pas énorme, j’étais à la fois touchée, rincée et hyper apaisée !

 

C’est quoi la suite pour toi ?

J’ai un EP en collaboration avec une autre artiste qui sortira en septembre, et je viens d’en terminer un autre qui est prévu pour début 2025 sur un label français. J’ai hâte qu’il sorte, parce que celui-là est très inspiré des années 1990, autant de la house que de la soul et du R’n’B.

 

À l’occasion de sa tournée, Dylan Dylan sera en concert à Paris au Kilomètre 25 le 15 juin.

 

Texte Lucile Gamard

Photo Tasmyne Bouzima