Membre émérite du collectif et label Bon Gamin, le rappeur de Montreuil Ichon multiplie les featurings et les projets : après sa mixtape Il Suffit De Le faire fin 2017, sa vidéo et son nouveau incisif titre “2018” (Club des 27) où il tacle Rohff en passant, il figure également sur quatre titres sur l’album Bisous de Myth Syzer dont “Le Code” et “Coco Love” publié en mai. Pour Colors, il livre une performance puissante de son morceau “Série B”, titre toujours issu de sa mixtape et produit par son acolyte Myth Syzer. On attend Ichon avec un véritable album et peut-être même devant la caméra courant de cette année. 2018 sera-t-elle l’année Ichon ?

C’est l’occasion rêvée de nous replonger dans l’interview et le shooting mode de l’artiste publiée dans Modzik #54, non?

Photos Ulrivaldo Lopez
Style Edem Dossou
Mise en beauté Aurore Gibrien
Assistant style Christian Boua
Interview Jakob Rajky

« Je ne sais pas à quoi tout ça servira mais je sais que je veux laisser une trace positive dans ce monde. Je cours après le bonheur et c’est en travaillant sur moi, auprès des gens, que je m’en rapproche. C’est la vie et j’en fais des chansons ».

Une honnêteté radicale se dégage de toi, en studio comme en interview. Tu dénonces le système aussi brillamment que tu l’utilises et tu vas même jusqu’à inculper le journalisme.
Je pense que notre génération a un problème avec les journalistes. Le problème n’est pas nouveau mais il était moins flagrant avant les réseaux sociaux. Ce réseautage, justement, nous saute trop aux yeux pour qu’on fasse l’impasse dessus.

Tu prétends « faire du rap depuis toujours » mais je doute que tu kickais déjà en couche-culotte. Quand as-tu réellement commencé ?
Dès que j’ai su écrire par moi-même. J’en parle souvent : dès mes 8 ans, j’écrivais des mots d’excuse à mes parents si souvent absents pour leur travail qu’ils n’avaient pas le temps de me gronder. Je me suis fait virer de pas mal d’écoles quand j’y pense ; c’était ma manière de m’expliquer, de les amadouer. De mémoire, ce sont les premières fois où j’ai saisi le pouvoir des mots, je m’y penchais longuement pour trouver la bonne formule, la bonne tournure. Écrire me permettait de mieux me faire comprendre et de mieux me comprendre.

Quelle incidence aura eu cette précocité littéraire dans ta relation à la scolarité ? Tu dis avoir été viré de plusieurs écoles mais je soupçonne que tu étais le favori de tes profs de français, non ?
Le préféré, oui, mais seulement des futés. Ils aimaient ma répartie, beaucoup moins ma fainéantise. Ils me disaient : « arrête d’être borné et fais tes devoirs ». J’ai toujours été intéressé par les études, j’adorais l’histoire, les mathématiques, etc. Mais ouvrir un cahier chez moi ? Hors de question. J’avais déjà bien travaillé pendant la journée, je préférais sortir m’amuser.

À quel moment te vient l’idée de mettre tes mots en musique ?
Mes premières maquettes ont été faites sur MSN. Je mettais des ins- trus sur les vieilles enceintes de l’ordinateur et je rappais par dessus, le tout enregistré via la fonction dictaphone. Autant te dire que la qualité était horrible. Par la suite, j’ai rencontré Loveni, qui avait déjà cette démarche d’aller en studio ou dans des soirées open mic. C’est grâce à lui que j’ai eu le déclic.

Un amour des mots et pourtant avec toi aucun livre n’aura eu la chance d’être lu jusqu’au bout comme tu le dis si bien sur l’interlude de ta mixtape.
J’aimerais beaucoup lire, beaucoup de gens ne me comprennent pas et me poussent à le faire. Pour être honnête, j’ai un dégoût de la culture en tant que telle, cette espèce de vomi sans finalité. Mon père est très cultivé, il faisait du théâtre, on a une flopée de bouquins à la maison. Lorsqu’il m’emmenait au cinéma, il me demandait de faire un résumé du film juste après comme si on était à l’école ! Je l’aime beaucoup mais il m’a légèrement rendu intolérant à la culture.

Savoir-Faire au management, Live Nation au booking, Pain Surprises Records au mastering, t’es plutôt bien entouré ! Pourtant, tu restes très indépendant en publiant ta mixtape sur votre label tout fraîchement lancé : Bon Gamin Entreprise.
J’ai des difficultés à accepter la manière de travailler des autres. Je considère, comme le titre de ma mixtape, qu’il suffit de le faire. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je comprends que d’autres artistes puissent avoir besoin d’être accompagnés pour les clips, les visuels, la musique, mais je ne fonctionne pas de la sorte, je préfère rester en famille et avoir une vue d’ensemble sur mon travail. J’ai longtemps rêvé d’être directeur artistique d’un label, j’aime beaucoup ce côté-là de la musique. Je suis quelqu’un de très relationnel, je connais beaucoup de monde, ce qui explique la présence à mes côtés des structures que tu viens de citer.

J’aimerais m’entretenir avec toi sur le thème de notre numéro: la masculinité.
C’est intéressant ! Je ne peux pas t’en dire beaucoup, même si c’est un thème que j’aborde dans ma mixtape. Je suis en train de travailler sur un clip qui traite de ce sujet. On peut résumer : la masculinité c’est, pour un homme, assumer sa part de féminité. Et vice-versa. La frontière se floute de plus en plus.

Ta mixtape casse tous les codes : le freestyle de Jeune LC à la fin de « Demain » ou l’artwork réalisé par Keffer. Je crois que tu as réussi ton pari, ça va en inspirer plus d’un. Ce n’est pas un peu frustrant d’avoir tout compris si vite ?
Non, justement, je m’amuse là. J’en ai plus rien à foutre. J’ai plein de trucs en cours, je suis libéré dans ma création, je me suis mis au piano. Ça commence en fait, je suis en train de m’envoler. Courir après le bonheur, courir après le ciel. Faut pas avoir peur de mourir pour vivre. On sera pas bien au paradis, le paradis il est là. J’en veux à personne, j’ai aucun problème. J’ai fait table rase du négatif. Il m’en reste un peu mais c’est celui qui me nourrit aussi.

« Si je perds c’est que je tire dans le vide » est une phrase de ta mixtape. Si je comprends, la négativité c’est tirer dans le vide ?
Tu as tout compris là.

Une autre chose que je ne comprends pas encore, comment as-tu atterri dans le mannequinat ?
J’ai été repéré à la sauvage dans la rue et quelques temps après je défi- lais pour Margiela. C’est le mannequinat qui m’a permis d’investir dans mes EP, dans la mixtape. Une chose en fait découler une autre. Je ne sais pas si c’est de la chance. Je suis bon avec les autres, je suis ouvert.

C’est le karma ! Une dernière chose à dire ?
Il suffit de le faire.

Ichon
Il suffit de le faire
(Bon Gamin Entreprise)