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Holybones, projet musical énigmatique, dont on ne connaît ni le visage, ni le nombre de membres, était de passage au Pitchfork Music Festival Paris. Quand ils apparaissent à cinq, ils s’exposent ensuite à deux et parfois plus qu’à un (comme sur le visuel du single What You Talk). Rencontre.
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Holybones se révèle particulièrement cette année, après quelques singles sortis en 2024, pour sortir leur premier EP I got a good night’s sleep. La vivacité des sons et la puissance du storytelling attisent notre curiosité, prolongées par l’intensité des clips. Il(s) véhicule(nt) une rage brute, avec des textes douloureux. Holybones trouble son auditeur et s’amuse à jouer avec notre confusion. Pour en savoir plus, on s’est aventuré dans leur loge pour leur poser quelques questions, toujours muni(s) de leur masques, imperméables et indévisageables.
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Aucun membre de Holybones n’est musicien, même si vous menez tous/toutes d’un milieu de création. Comment la musique s’est imposée comme une expression artistique nouvelle ?
La plupart d’entre nous se sont rencontrés en faisant du théâtre dans le nord de l’Angleterre, donc on avait déjà été amené à travailler ensemble sur une pièce. Mais ce qui a fait la différence, c’est que l’un d’entre nous était producteur, donc on avait déjà des rythmes en tête, et puis un autre écrivait de la poésie. Ensuite, on a juste tout rassemblé ensemble pour poser des paroles sur des rythmes. Ça a été un long processus qui a évolué dans le temps, mais qu’on a beaucoup développé pendant le Covid-19. On s’envoyait des prods, des idées, chacun de son côté, un peu comme on pouvait le faire autrement pour le théâtre. Certains écrivaient chez soi, d’autres composaient des prods, et ensuite, on mettait tout en commun. À ce moment-là, c’était la seule chose qu’on pouvait faire donc c’est venu assez naturellement. C’était le meilleur moyen de nous exprimer pendant cette période, ça nous faisait simplement du bien d’avoir un moyen d’expression. Et puis nous faisions un peu de tout avant la musique, je pense que c’est cool d’avoir des influences qui ne viennent pas uniquement de ce milieu-là.
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Vous avez déclaré que « les vingt ans » ne sont pas forcément « les plus belles années de la vie ». Qu’est-ce qui rend, selon vous, cette période si troublante ?
Beaucoup de choses différentes. Je pense que quand on a la vingtaine, on est ambitieux, on a certaines attentes de cette période, donc on a beaucoup de pression et de choses à prouver. En réalité, on n’a qu’une fenêtre très étroite pour réaliser ces choses. Et puis quand on est jeune, on se dit qu’il faut faire plein de choses, qu’il faut profiter, le temps passe vite, etc. Il faut être un mec drôle et sympa pour les autres. C’est vraiment plus le bordel que l’on ne le pense et je crois que dans Holybones, on s’est vachement retrouvé dans ce désordre. On nous fait croire qu’être jeune c’est seulement avoir du bon temps et s’amuser, ou bien qu’il faut que ça soit aussi incroyable que l’on le prétend. C’est plus compliqué que ça en réalité et les gens n’en parlent pas. Même si l’on passe des moments géniaux, surtout maintenant, on est traversé par plein de choses à cette période, donc c’est ce dont on parle dans notre EP. En fait, on n’a pas voulu parler de ça spécifiquement mais c’est juste ce qui nous est venu à l’esprit en composant.
Le choix de ne pas dévoiler vos visages publiquement suscite l’intérêt. À ce propos, il existe une de vos citations que j’apprécie particulièrement (pour le magazine Hunger) : « Nous sommes anonymes mais identifiables ». Comment parvenez vous à maintenir une relation de proximité avec votre public tout en préservant l’effacement de votre identité ?
On ne choisit pas d’être proche ou non du public, c’est eux qui le décident. Tout ce que l’on peut faire c’est de parler de ce qui nous traverse et compte pour nous. Et si ça parle aussi à d’autres, alors c’est super pour nous ! Mais on cherche juste à être authentique. C’est justement l’anonymat qui nous permet de l’être, parce qu’on ose être plus vrai dans des textes qui nous paraîtraient être difficiles à écrire. C’est une protection qui nous permet de nous dévoiler. En plus, être couverts, ça peut permettre aux gens de s’identifier plus facilement. On est neutre dans notre apparence, peut-être qu’ils peuvent plus se projeter en nous.
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« C’est un peu comme quand on atterrit dans une grande ville, au milieu de tout le monde, on a un peu l’impression que chacun mène sa barque seule, alors qu’on traverse tous des épreuves communes. Il y a de l’appartenance dans la solitude, quand elle est partagée. »
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Dans vos morceaux, vous évoquez à la fois la solitude et l’appartenance, l’individualité et le collectif. Est-ce que vos chansons relèvent-elles davantage d’une expérience personnelle ou générationnelle ?
C’est difficile à dire… Je pense que plus on est sincère dans nos textes, plus ça a de l’écho et ça en devient une expérience collective. Plus on laisse de place aux histoires qui nous entourent, plus cela fait sens pour beaucoup. On est tous amenés à vivre la solitude, et si on le partage, ça se transforme en projet commun où on se reconnaît tous. C’est un peu comme quand on atterrit dans une grande ville, au milieu de tout le monde, on a un peu l’impression que chacun mène sa barque seule, alors qu’on traverse tous des épreuves communes. Il y a de l’appartenance dans la solitude, quand elle est partagée. On retrouve ça dans beaucoup de parcours différents. Tout se joint.
Le son que vous développez mêle mélancolie indie et approche post-punk. Comment cette identité sonore se construit-elle ? Quelles sont vos influences principales ?
C’est un sacré bordel ! Il y a beaucoup d’influences et de sons différents dans notre musique. On a chopé pas mal de trucs qui nous inspiraient quand on piratait des sons sur Soundcloud à l’époque… Je pense que la façon dont on a appris à faire de la musique est basée sur beaucoup de sons synthétiques découverts aléatoirement. J’adore mélanger des trucs qui font un tout, un peu comme un alien, qu’on utilise pour ressentir quelque chose de brut, d’émotif et de très humain. C’est tellement intéressant de pouvoir utiliser toute une palette, pas toujours homogène, pour créer. C’est notre mission que d’en tirer quelque chose.
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Les clips que vous proposez présentent une dimension très cinématographique et symbolique. Quelle place l’image occupe-t-elle dans le processus créatif ?
L’image a une place hyper importante dans notre processus. Ça me fait penser à beaucoup de moments où on imaginait des tracks comme des scènes ; c’est inspirant pour composer que d’imaginer visuellement à quoi ça pourrait ressembler. La dimension visuelle c’est un langage commun pour nous, pour nous faire comprendre et communiquer nos idées. On se rappelle parfois des scènes de cinéma ou des personnages, pour identifier la vibe et ce qu’on veut. Tu peux t’amuser à imaginer toute une histoire comme un film, pour ensuite la refléter en musique comme une métaphore, comme un prolongement. Et la vidéo ajoute une dimension que tu ne peux pas toujours faire qu’avec le son. Actuellement, pour nos prods, tu peux reproduire n’importe quel son que tu veux donc parfois on se dit : « quel beat marcherait le plus pour cette situation ou cette ambiance ? ».
À ce sujet, les singles Salty Water, There Are Rooms et Everywhere Break ont été mis en scène directement par le groupe, alors que les précédents faisaient appel à Soo Han et Elliot Ancona. S’agit-il d’une volonté de reprendre un contrôle total sur le projet ?
Notre parcours joue un rôle dans notre envie de créer une extension à notre musique par les clips. C’est très important pour nous de pouvoir mettre en scène nos sons comme on l’espère. Ça donne un sens supplémentaire aux paroles et à l’intensité.
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Quelle direction imaginez-vous pour l’évolution de votre esthétique : maintenir l’anonymat ou laisser entrevoir davantage d’identité au fil du temps ?
Ah, c’est dur à dire… Pour l’instant on y pense pas trop, mais je pense que ça évoluera avec le temps, je ne sais pas… L’anonymat, ça reste important pour nous, et tant que ça le restera, on le gardera. Pour l’instant, c’est utile pour nous, ça protège quelques-uns d’entre nous et ça nous sert de moteur : ça permet de vous libérer de toute contrainte pendant le show. On devient des personnages. C’est comme un costume au ciné : on met le masque, un sweat, ce que tu veux, et après on rentre dans le truc, on sait que c’est notre moment. Tu ne penses à rien d’autre qu’à toi et à ton public. C’est très agréable ! En fait, il y a plein de raisons qui motivent notre choix de garder l’anonymat. On aime beaucoup le côté visuel du masque, mais il y a aussi des raisons personnelles à ça. Dès qu’on estimera un jour, que l’anonymat ne matche plus avec notre projet, alors on enlèvera nos masques. Mais pour le moment, notre masque est aussi important que notre musique, les deux sont indivisibles.
Pour Paris, première date en dehors du Royaume-Uni, de quelle manière a été pensée la transposition du projet sur scène ? L’ambiance qui se dégage de vos clips se retrouvera-t-elle dans le live ?
C’est intéressant comme question parce que c’est un processus un peu compliqué. Il faut vraiment trouver le noyau mère de votre musique, surtout quand c’est de la musique électronique, pour ensuite importer un sens sur la scène. Je crois que nos meilleures expériences de concert ont été des concerts de rock, et souvent on y retrouve la même énergie sur scène que dans leur musique. Ils arrivent à traduire cette puissance et la ressentir avec le public. Donc c’est drôle de partager ça avec de nouvelles personnes pour préparer les concerts et produire un nouvel aspect de notre musique. Beaucoup de gens nous ont aidés sur ce projet, c’est beaucoup de discussions, beaucoup de réflexions… Et puis je trouve ça marrant de penser aussi au public, plus qu’à notre musique parfois. On veut pouvoir ressentir cette vivacité et la transmettre. Donc on pense aux sons, aux instruments, comment placer nos voix etc… On n’est plus devant nos ordinateurs cette fois, il faut penser à être musicien et non pas artiste. C’est très marrant à vivre !
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28 Eyes est disponible via Jasper Tygner.
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Texte Antoine Caudebec
Image de couverture Droits réservés
