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Parmi les disques de cet été 2025, Now Would Be A Good Time, premier album du groupe australien Folk Bitch Trio, s’impose comme un joyau d’intimité, d’humour, de tension et d’harmonies. Nous avons rencontré les trois musiciennes, Gracie, Heide et Jeanie à Paris, quelques heures avant leur concert à la Mécanique Ondulatoire. Entretien croisé.

 

 

« Nous avons eu des vies avant. Enfin… pas vraiment. »

À les entendre plaisanter sur leur retraite imaginaire dans un bar à vin ou leur passion commune pour les huîtres, Gracie Sinclair, Heide Peverelle et Jeanie Pilkington semblent tout droit sorties d’un film indie, de ceux où l’on parle d’amour, d’art, de trauma et de vin avec la même ferveur.

Mais leur musique, elle, ne fait pas semblant. Leurs harmonies vocales – tantôt cristallines, tantôt brisées – portent des chansons à la fois déchirantes et drôles. Now Would Be A Good Time est un album profondément vocal : « Beaucoup de chansons sont juste trois voix », précise Jeanie. « On voulait que ce soit fidèle à ce que nous sommes sur scène. Pas de fioritures. »

Un album pensé comme un concert

Le disque a été produit avec Tom Healy et enregistré en analogique, sur bande, dans un esprit de dépouillement. « Il y avait un peu de purisme dans notre démarche », dit Jeanie. « On voulait que ce soit fidèle à notre son live. » Même sur les grandes scènes, en ouverture de Courtney Barnett ou de King Gizzard, elles ne sont que trois, face au public et face à elles-mêmes.

Cette tension entre proximité scénique et distance imposée par l’espace les amuse. « C’est bizarre, les grandes scènes », sourit Gracie. « Mais à Bruxelles, au Botanique, on a joué en cercle, comme en répétition. On s’est regardées. C’était incroyable. C’est comme ça qu’on répète. Jamais face à un mur. »

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Un répertoire tissé d’intimité et de nuances

Les chansons de l’album abordent la mémoire, les blessures intimes, la famille, la sexualité, l’ennui, les ruptures  sans lourdeur. Les titres Mary’s Playing the Harp ou Cather Bray déroulent une tension lyrique, entre simplicité acoustique et précision du texte. « Il faut de la profondeur », insiste Gracie. « Un peu de nuance. »

Le morceau d’ouverture, God’s A Different Sword, frappe par sa puissance symbolique et sa fragilité à trois voix. Plus loin, la reprise de Discover de Ted Lucas sert de pont lumineux entre deux morceaux sombres. « C’est une chanson qu’on utilise souvent comme échauffement vocal, et qu’on chante en ouverture de concert », raconte Gracie. « On voulait qu’elle soit là, comme un clin d’œil à notre set live. »

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Trois autrices, une voix collective

Chaque membre compose et écrit. Mais aucune ne s’impose. « On n’apporte jamais une chanson terminée », explique Jeanie. « C’est toujours : voilà sur quoi je travaille. On s’écoute, on suggère des changements. Il faut être ouvert à la critique. Il faut écrire de mauvaises chansons pour écrire les bonnes.»

« En général, on écrit déjà en pensant l’une à l’autre », complète Heide. « C’est toujours collaboratif. » Cette écriture partagée se ressent : l’album sonne comme un discours à trois voix parfaitement accordé.

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(c) Copper Taylor-Bogaars

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Le jazz comme tremplin

Leurs parcours sont différents, mais convergent vers une même exigence : faire de la musique sincère, en dehors des cadres imposés.

Gracie et Jeanie ont toutes deux étudié la musique : Jeanie dans un lycée artistique spécialisé, mi-ballet mi-musique, puis à l’université, sans toutefois terminer son cursus. « J’ai étudié très intensément », raconte-t-elle. « Du classique, du jazz… mais j’ai fini par bifurquer. Le jazz m’a donné de très bonnes bases techniques mais ce n’était pas ma passion. »

Gracie, elle, est allée plus loin dans cette voie : « J’ai étudié le chant jazz. J’ai atteint un bon niveau, et je pensais que c’était ce que je devais faire… avant de réaliser que ce n’était pas vraiment là que je voulais être ».

Toutes deux reconnaissent que le jazz les a formées, mais sans jamais vraiment les convaincre. « C’est une musique très codifiée, qui prétend ne pas avoir de règles alors qu’elle en regorge », dit Gracie. « C’est une courbe d’apprentissage très raide. Il faut déjà être bon pour avoir le droit d’y participer. »

Jeanie précise : « Le folk m’a toujours attirée. C’est plus vulnérable. Écrire une chanson folk, c’est beaucoup plus intimidant que de chanter un standard de jazz. Parce qu’il n’y a pas de filet ».

Quant à Heide, elle vient d’un autre monde : celui des arts visuels. Elle a d’abord étudié la photographie, sans ambition musicale immédiate. « Je ne pensais pas que je ferais de la musique, jusqu’à ce que ce projet devienne sérieux », confie-t-elle. « Mais dès que ça a commencé à exister, j’ai su que c’était important ».

Ce détour artistique donne à Heide une approche différente : plus visuelle, plus intuitive peut-être. Son apport au groupe ne se mesure pas seulement en notes, mais en atmosphères. « Ielles a une manière de penser les chansons qui est très sensible aux textures et aux émotions », note Gracie. Une complémentarité essentielle dans le trio.

Si le jazz a été pour certaines une étape, le folk est aujourd’hui leur langage commun. Et pourtant, Gracie le rappelle : « Le jazz est censé être une musique sociale, collaborative. Il ne devrait pas être élitiste. Malheureusement, il l’est devenu dans certains cercles ».

« Mais on peut toujours attraper une guitare et écrire une chanson », conclut-elle. « C’est ce qui rend le folk plus démocratique ».

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Melbourne, Paris, Tarbes : une trajectoire cosmopolite

Les trois musiciennes vivent à Melbourne, où elles se sont rencontrées au lycée. « On est amies depuis plus de dix ans », dit Jeanie. Mais leur imaginaire va au-delà de l’Australie. Heide a vécu à Tarbes, dans le sud de la France. Gracie a passé deux mois à Paris, rue Sedaine. Et toutes trois s’y retrouvent aujourd’hui avec une certaine évidence : « J’aime Paris », glisse Gracie. « On aime le vin », renchérit Heide (Rires).

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Clips low-budget, visuels absurdes

Le clip d’Analogue (2023), où Jeanie et Heide attaquent Gracie dans un cinéma, reflète une autre facette du trio : celle d’un groupe qui ne se prend pas au sérieux. « On a tourné ça avec un ami, une seule caméra, dans le cinéma où travaillait Heide », raconte Jeanie. « Ça ne veut pas dire grand-chose. On aime faire des choses absurdes. »

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Signer avec un grand label ? Fêter ça avec des huîtres.

Depuis peu, Folk Bitch Trio est signé chez Jagjaguwar, un label américain prestigieux. « C’est très important pour nous, surtout en tant qu’Australiennes », confie Jeanie. « On est si loin… On a besoin d’un soutien international. » Pour fêter ça ? Elles sont allées au marché, ont acheté des huîtres. « C’était très bon. On adore les huîtres », ajoute Gracie, simplement.

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Une musique libre

Now Would Be A Good Time est un disque de convictions et de vulnérabilités. Un album qui parle à ceux qui aiment la musique pour ce qu’elle raconte.

« On n’a pas commencé à 17 ans, on n’a pas fait partie d’autres groupes, c’est notre premier projet », rappelle Jeanie. Et c’est peut-être pour ça que ce premier album sonne aussi vrai.

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Now Would Be A Good Time est disponible via Jagjaguwar.

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Texte Lionel-Fabrice Chassaing 

Image de couverture Folk Bitch Trio/Jagjaguwar