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Avec Shibari Love, extrait de son EP Wounded Hero, Naomi Greene signe une rencontre singulière entre musique et performance, où la symbolique du shibari transcende la séparation amoureuse pour devenir matière artistique.
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Shibari Love, la vidéo, est née de la rencontre de trois artistes à des moments différents de leur parcours : Elisheva Revah, artiste multidisciplinaire qui place le rituel au cœur de ses créations, Georges Labbat, danseur et chorégraphe qui interroge les rapports de domination, et Naomi Greene, musicienne, autrice-compositrice-interprète.
La vidéo que vous allez découvrir en exclusivité est à la croisée de la chorégraphie, de l’art plastique et de la musique.
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Quand une rupture sentimentale rassemble
Naomi Greene : « Ce qui était assez magique dans la création de Shibari Love, c’est que la musique est née en premier. Je suis allée à New York avec l’intention de travailler avec mon ami Jake Sokolov-Gonzalez, que je connaissais depuis l’école. Nous n’avions encore jamais vraiment fait de musique ensemble en tant qu’adultes. Nous nous sommes retrouvés chez lui, et nous étions tous les deux en pleine rupture amoureuse. Nous venions chacun de nous séparer d’un partenaire de longue date, et c’était très douloureux. Mais le fait d’être ensemble à ce moment-là et de créer a donné naissance à Shibari Love : une œuvre intense, mais aussi pleine d’espoir, de souffle, de magie et de tension. J’ai eu le sentiment qu’elle incarnait exactement ce que nous vivions tous les deux. Quelques années plus tard, je traverse une deuxième rupture. Elisheva vit la même chose. Nous commençons alors à échanger sur ce que signifie quitter quelqu’un : comment le faire, comment cela perdure, comment se défaire, se reconstruire, et retrouver sa propre souveraineté après une relation. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de créer cette œuvre ensemble. Elle était personnelle et essentielle pour nous deux ».
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Naomi Greene, entre cordes et révoltes
Ce n’est pas un hasard si Naomi Greene s’est reconnue dans le langage du shibari. Toute sa vie est marquée par les cordes, les liens, les ruptures et les renaissances. Elle grandit à Paris dans une maison pleine de sons et de couleurs : un père ingénieur du son dans le New York des années 80, nourri aux avant-gardes de Meredith Monk et aux vinyles de salsa, de musiques maliennes ou de David Bowie ; une mère, peintre américaine, qui colorie le quotidien.
À sept ans, elle découvre la harpe par hasard, coup de foudre vite contrarié par l’académisme qu’elle fuit pour fonder un groupe de rock. Ce n’est qu’aux États-Unis, entre New York et Los Angeles, qu’elle retrouve l’instrument, électrique, déconstruit, et en fait sa signature sonore, entre pop planante, trip-hop habité et chanson alternative.
Avec son EP Wounded Hero, elle assume cette hybridité : dans le clip du morceau-titre, elle se rase la tête, geste radical et guérisseur, chante en français pour la première fois avec l’autrice Louise Chenevière. Musicienne hybride, elle peut jouer dans une cathédrale avec Laurent Voulzy un soir et composer des paysages électroniques le lendemain.
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Des rencontres qui se tissent
C’est dans ce contexte que les chemins se croisent. Naomi et Elisheva se rencontrent à Barbizon, lors d’une résidence artistique de cette dernière. Naomi : « Je me souviens que nous regardions les œuvres que tu venais de réaliser sur les murs. C’était notre première conversation ». Elisheva Revah : « Et puis nous avons réalisé que nous étions toutes les deux intolérantes au gluten. Parfois, ce sont les petits tracas qui créent des liens ».
Les difficultés ont aussi rapproché Elisheva et Georges Labbat, sur un plateau de tournage. « Nous étions gelés dans nos vêtements d’archives Givenchy. Tellement malheureux que nous avons fini par sympathiser ».
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Shibari Love, comme un rituel d’exorcisme
Elisheva : « Tout est parti d’une performance que j’avais créée. Deux danseuses reliées par une corde. Je leur ai simplement dit : étudions la composition avec cette corde, la tension et le relâchement. Chaque fois qu’elles se rapprochaient, elles reculaient. Naomi a vu ça. Elle m’a dit : « J’ai une chanson. Elle s’appelle Shibari Love« . Le shibari, c’est tout un art d’attacher et de nouer. Elle m’a proposé qu’on fasse quelque chose ensemble. Quand j’ai entendu son histoire autour de la chanson, j’ai voulu que cette création soit comme un rituel qui explore le lien et la tension entre deux personnes autrefois intimes, qui essaient maintenant de se séparer. À quelles parties du corps pouvaient-elles être attachées ? Pendant tout le travail, j’étais assez sûr qu’il n’y aurait pas de narration classique. Ce devait être un rituel entièrement consacré à ce voyage émotionnel qui consiste à rompre, à se séparer de quelqu’un qui vous est si proche. Et ce voyage prend du temps et vous devez vous y engager. Dans mon travail, je remarque souvent que répéter un rituel, tourner sur moi-même vingt minutes, entrer en transe vingt minutes, ouvre une intensité particulière. C’est fort de donner aux spectateurs la possibilité d’entrer dans ce sentiment, de rester dedans. Dans la vie, on s’échappe vite quand ça devient trop. Dans un rituel, on reste. C’est ce qui permet la transition, le voyage ».
Georges Labbat avec son talent de danseur a permis d’explorer encore plus loin le voyage imaginé par Elisheva et Naomi. « Dans la vidéo avec Naomi et Elisheva, cette question de la relation de force m’a beaucoup parlé. Elle est au cœur de mon travail. Le shibari aussi, dans sa culture, met en jeu cette idée : quelqu’un attache, quelqu’un est attaché. C’est une relation de domination, et c’est un sujet essentiel pour moi. […] Il était donc logique de poursuivre dans cette voie. Ce qui m’intéresse, c’est que ce rapport de force n’est jamais figé. On peut être dominant, puis soumis, puis l’inverse. Ce va-et-vient rend la situation complexe et belle. C’est ce qui fait la beauté de cette vidéo. Il y a aussi l’histoire qui se cache derrière et votre relation à celle-ci. Ce n’est pas seulement unilatéral, avec une personne mauvaise, une personne bonne, un méchant. Les deux partagent le pouvoir et l’utilisent différemment à différents moments. C’est souvent entremêlé et beaucoup plus complexe qu’un simple système de domination directe. »
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Naomi complète : « J’ajouterais qu’il ne s’agit pas seulement de domination, mais aussi de ce désir contradictoire de partir et de rester. On dit souvent il l’a quittée ou elle l’a quitté. Mais en réalité, même celui qui part veut rester, et celui qui est quitté a aussi une part de lui qui veut partir. C’est plus neutre qu’on ne le raconte ». Elisheva conclut : « C’est très complexe et fonctionne par strates. C’est le sujet de la chanson et de l’histoire : le dénouement. Comment se sépare-t-on ? Ce n’est pas forcément brutal. C’est un processus : traverser ensemble le deuil, l’amour, la séparation. Le shibari en devient le symbole. Nouer, dénouer, démêler : un art qui incarne parfaitement ces liens qui nous ont rapprochés, et qu’il faut apprendre à relâcher ».
Shibari Love ne se lit pas comme un simple clip musical. C’est une véritable vidéo d’artistes, à la fois chorégraphique et plastique, où l’image dialogue avec la musique pour la transfigurer. La harpe électrique et la voix de Naomi Greene trouvent un écho dans les gestes, les cordes, les tensions et relâchements du rituel performatif imaginé avec Elisheva Revah et Georges Labbat.
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Naomi ne pratique pas le shibari. Ce qui l’intéresse ici, c’est sa charge symbolique : les liens amoureux qui se tissent, se nouent, puis se défont. C’est ce processus intime et universel, douloureux et libérateur, qui devient matière à création. Shibari Love se déploie alors comme une traversée sensible, où l’art – entre musique, danse et performance – sublime l’expérience de la séparation pour en révéler la beauté fragile.
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Shibari Love est disponible via Greene Dream.
Enūma Elish by Elisheva Revah 10 — 25 Septembre 2025 Galerie Sainte Anne (Paris)/
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Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Elisheva Revah
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Merci à Zoé, Naomi, Elisheva et Georges pour leur disponibilité.
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