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Hyperactif, loquace, curieux de tout, Rémy Béesau a longtemps vécu sa carrière comme une succession d’élans et de détours. Trompettiste, producteur, compositeur, il a enchaîné les expériences, porté par une vraie gourmandise de la vie, au risque parfois de s’y perdre. Aujourd’hui, dans Une fleur et des papillons, son nouvel album, il raconte la métamorphose intime d’un musicien qui apprend à aimer, à ralentir, à respirer.

 

 

 

Un parcours né de hasards et de connexions

Chez Rémy Béesau, la carrière ressemble davantage à une série de collisions heureuses qu’à un plan de route millimétré. « La vie est absurde, c’est des connexions de connexions », confie-t-il d’emblée. Quand il sort, à 22 ans, son premier EP acoustique sous le nom Rémy Béesau Quintet, influencé par Roy Hargrove, dont on ne trouve aujourd’hui que quelques teasers vidéo, le Rochelais ne sait pas encore que la suite le conduira sur les scènes de Seal ou dans les bureaux de Blue Note France.

Il travaille d’abord avec l’éditeur indépendant Laurent Balandras et multiplie les concerts et tremplins musicaux sous son nom. Puis un jour, par hasard, il croise la route de Kungs, DJ star du moment : « Je me suis retrouvé dans ce projet-là à faire une tournée de l’espace ». Curieux de tout ce qui touche à la production, il observe les métiers autour de lui. Le chef de projet de Kungs, Philippe Laugier, « à l’époque, c’était un des derniers résistants directeurs artistiques », l’introduit chez Universal et son label Decca. Néanmoins, raconte-t-il, « je continue ma petite vie. Je me remets à faire beaucoup de productions à l’ordi sur lesquelles je pose ma trompette… j’ai commencé à 14 ans ». Cette curiosité et ce travail solitaire finissent par attirer l’attention de Blue Note France.

Chez Blue Note, Béesau débarque impressionné : « Je vois la photo de Coltrane… Je suis absolument fan, mais je ne fais pas du tout ça et je n’ai pas le niveau ». Mais Nicolas Pflug, son directeur artistique,  le rassure immédiatement : « On aime bien tes trucs ». Une rencontre décisive : « Je n’avais pas plus d’un truc intéressant que n’importe qui. Je me retrouve là un peu par hasard ».

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© Gabriel Collignon

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Une musique hybride, intranquille et impossible à classer

« Je voulais plutôt essayer de créer une sorte de mouvance, un peu comme ce que Ludovic Navarre avait fait avec St Germain. Je suis peut-être un peu moins dans la house, mais j’ai une affinité plus marquée avec la production, ce qu’on appelle aujourd’hui “urbain”, un peu rap. » C’est dans cette logique qu’il réalise en 2017 un album autoproduit de neuf titres, Aliens Believe in Us, dont il ne sortira que le morceau éponyme : une première esquisse musicale de ce que sera plus tard Une fleur et des papillons.

Son premier EP en label, Placement libre, aurait dû, lui aussi, être un album. « Il y avait dix titres… moi je le voyais comme un album. Je ne voulais pas choisir cinq titres », raconte-t-il. Nicolas Pflug insiste pour un format court, et Rémy accepte à contrecœur : il garde le reste pour plus tard.

Cette coupe forcée illustre un enjeu récurrent : son hybridité déjoue les cases. « En France, il faut quand même bien cataloguer », glisse-t-il. Le label met alors l’accent sur son lien avec le rap, ce qui nourrit des lectures parfois maladroites. « En interview, on me disait : “mélanger le jazz et le rap, c’est complètement moderne”. Ah oula, non, pas du tout. Je n’ai rien inventé », précise-t-il, citant Erik Truffaz et Oxmo Puccino comme exemples pionniers.

Pour lui, cette fusion est un geste naturel, fondé sur son adolescence passée à bidouiller une MPC, « en 2007-2008, alors qu’en province personne n’écoutait ça », inspiré par le trompettiste Christian Scott, BrassTracks ou les sélections de Gilles Peterson. Une hybridation instinctive, jamais stratégique.

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Gourmandise, dispersion et nécessité de se recentrer

Béesau parle souvent de sa « gourmandise » : de la vie, des projets, des rencontres. « J’ai envie que tous mes copains me suivent… parfois je fais plus les trucs des autres que les miens ». Cette générosité l’a parfois conduit à s’oublier. « Mon entourage me dit : « fais gaffe, recentre-toi, n’oublie pas que t’as ton truc » ».

Cette dispersion, couplée à une vie amoureuse mouvementée, l’amène à entamer une thérapie et une période de sobriété : « Je voulais me recentrer pour moi ». Une démarche qui infuse son nouvel album, conçu comme une manière de « briser cette boucle » de répétitions sentimentales et artistiques. On retrouve d’ailleurs cette réflexion dans une note vocale publiée sur Coco Charnelle (Part. 1).

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© Gabriel Collignon

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L’histoire d’amour et la chrysalide

Son nouvel album, après le diptyque Coco Charnelle (2021-2022), où il mêlait jazz, hip-hop et textures électroniques comme autant de marées changeantes, tourne une nouvelle fois autour du thème de l’amour, mais cette fois à partir d’une histoire atypique. Il tombe amoureux d’une amie, vit une relation aussi intense que fragile, puis s’effondre lorsqu’elle lui dit « t’es trop intense » dans un café parisien. « Je garde la face… mais derrière, effondrement total ».

Ce choc déclenche l’écriture. Il compose, pour la première fois, non pas dans la douleur, mais dans le désir de comprendre : « Je me suis dit : « est-ce que c’est ça vraiment l’amour ? Vouloir le bien de l’autre, même si c’est sans toi ? » ». De cette réflexion naît le premier titre de l’album, Une fleur et des papillons.

C’est aussi à ce moment qu’il entame sa thérapie : « Au début je le fais pour qu’elle voit que j’ai changé… puis j’oublie complètement qu’elle existe dans l’équation ». L’image de la chrysalide s’impose alors : « Exactement pour ça », dit-il, symbole d’une transformation intérieure.

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Quitter Universal, créer en indé

Fin 2023, alors qu’il arrive au terme de son contrat Universal, « il me restait encore huit mois d’exclu », Rémy compose trois pièces inspirées d’une toile de Sophie Dherbecourt : « Je voulais écrire sur les trois personnages de ta toile ». Il travaille en parallèle comme producteur sur l’album Où les garçons grandissent de Jewel Usain.

Béesau sort donc son projet 3 en indé, sans argent, sans attaché de presse : « Quand je suis allé à Berlin, j’étais tout seul avec ma valise ». Malgré tout, « ça a quand même un peu marchouillé ». Une réussite modeste mais fondatrice.

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Le collectif en mouvement : Usain, Ferdi, Thomas Sega

Sa carrière est aussi une affaire de rencontres. Avec Thomas Sega, ingénieur du son, meilleur ami et partenaire central, avec Jewel Usain, qu’il produit, avec DisizIchon, Luidji, Pongo, Primero… et avec Ferdi, rencontré à Bruxelles : « Il me saute dessus : “c’est toi Rémy Béesau !” Le lendemain, il arrive en studio avec un pack de bières… ». De là naissent un EP et une amitié. Ce goût de la transmission nourrit aussi sa dispersion, une de ses zones d’ombre, qu’il apprend aujourd’hui à cadrer sans renoncer à sa curiosité.

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Formidable : cinq heures d’impro et la naissance d’un son

Il se souvient d’une anecdote fondatrice : le projet Formidable, né lorsque Jean-Michel Proust, directeur artistique du festival Jazz au Phare (Île de Ré), lui propose d’animer les afters du festival après sa victoire au tremplin. « Quatre soirs, cinq heures… tu as un set ? »« Ouais ouais t’inquiète ». « J’avais rien ! », avoue-t-il en riant.

Il appelle donc le fidèle Thomas Sega. Ensemble, ils montent en urgence un set d’électro-impro inspiré de Fat Freddy’s Drop : « C’était Thomas sur les machines, moi sur machines et trompette… il faisait le chef d’orchestre. Rien n’était automatisé ». Les nuits sont folles, et Béesau réalise qu’ils « jouaient mieux dans ces moments-là que quand tout était maîtrisé ».

Le nom du groupe, Formidable, naît presque par accident avec l’aide de Jean-Michel Proust. À l’époque, Rémy et Thomas fréquentent souvent L’Émeraude, un bar de l’île de Ré où l’on sert un verre d’un litre de bière baptisé Formidable. « On trouvait ça marrant, ça sonnait bien, et c’est resté », se souvient-il. Une blague entre amis devenue symbole d’un moment charnière : celui où tout s’improvise, se cherche et se crée dans l’instant.

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La Gaîté Lyrique : improvisation organique et électronique

Pour sa date du 16 janvier 2026 à la Gaîté Lyrique, il veut justement renouer avec cet esprit. « J’ai envie d’axer le live sur l’improvisation organique, trompette, claviers et sur l’improvisation électronique », explique-t-il. Le dispositif sera immersif, pensé en 360°, mêlant machines, textures, souffle et spontanéité. « Programmer tout, c’est hyper chiant. Une fois que tout est programmé, c’est facile, mais il faut le faire », sourit-il. Le live sera travaillé en résidence sur huit à dix jours pour retrouver un équilibre : celui qu’il cherchait déjà à l’époque de Formidable, cette passerelle fragile entre chaos vivant et maîtrise.

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Une fleur et des papillons : l’album de l’après

Dès les premières notes du morceau-titre, on comprend que Une fleur et des papillons n’est pas un album de rupture, mais d’acceptation. Béesau écrit le moment d’après, celui où l’on aime encore, sans posséder, juste pour le bien de l’autre. Cette idée simple sert de fil rouge à un disque poétique, clair et troublant.

À travers six titres, le trompettiste déroule les étapes d’une traversée amoureuse, entre rythmiques organiques et textures électroniques, guitares diaphanes et claviers délicats. On sent une écriture d’un groupe soudé : Édouard Monin au piano, Antonin Fresson à la guitare, Emmanuel Camy à la basse, Vincent Tortiller à la batterie, Thomas Sega aux machines. Ensemble, ils tissent un son poreux, mouvant et libre.

Ce n’est pas un album qui s’écoute distraitement : il faut se laisser happer. Les morceaux s’étirent, avancent par flux, par vagues. Chaque respiration, chaque silence pèse autant qu’une note. Et quand arrive Chrysalide, dernier morceau, tout fait sens : le cocon se défait, la métamorphose est achevée. Pas d’explosion, juste un apaisement.

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© Gabriel Colligon

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Avec Une fleur et des papillons, Béesau signe un album de lumière tamisée, d’émotions et de beauté.

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Une fleur et des papillons est disponible via Out Of (The) Blue/La Belle Kaki. En concert à Paris (Gaité Lyrique) le 16 janvier 2026.

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Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Gabriel Collignon

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