Avec son retour sur les podiums et dans le dressing des modeuses, le bomber procure un voyage dans le temps assez insolite dans les racines d’un mouvement et d’une culture associée aux bandes. Et pour cause, à l’origine identifié à la working class anglaise, vêtement confortable et pratique, puis récupéré par des mouvements politisés extrémistes, il fut ensuite l’apanage de bad boys. A ce moment là, toujours plus ou moins associé à la musique. Dans le hip hop – version moderne et bling ring – mais surtout dans la culture skinhead, le bombers est plus qu’une pièce mode, c’est un code dont les origines viennent d’où toutes les meilleures tendances ont jailli : la rue.

Issu d’une working class explosive dès la fin des années 60, voulant se démarquer des Mods, certes violents mais tendant à être pédants, quand ils favorisent le style aux match de foot et à la bagarre, le bomber est la pièce maitresse de ceux qui pratique le two tone, le stomp et écoutent de la black music dans les clubs crasseux de Brighton. Le rude boy écoute du reggae et le style qu’il adopte répond à la fois un dressing sportwear et populaire. La mode est au Harrington, une icône du placard anglais, qu’on retrouve dans toutes les classes et générations britanniques entre les années 60 et 70.

 

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Dès 1963 on découvre le bomber comme élément de l’uniforme militaire sur des soldats pendant la guerre du Vietnam qui sévit alors. Le bomber est vert kaki avec une doublure orange, son aspect reversible permettant de le porter sur l’envers : un moyen de se faire repérer par les pilotes en mission de sauvetage. Un uniforme vite repris par ce mouvement populaire naissant d’un régime politique placé sous le signe des cracks boursiers et de la « Dame de Fer » ainsi que la guerre des Malouines pour les anglais. Le pub comme seule distraction, les matches de football mais surtout : la baston, celle qui vient souvent après mais parfois aussi avant. Qu’il soit au travail, à l’école ou en sortie, le skinhead fait attention à son look. Le donkey jacket est aussi un élément extrait du milieu du travail et emprunté aux dockers et mineurs ou encore éboueur pour devenir ensuite, porté sur ces jeunes au crâne rasé, un élément de style. Petit à petit la jacket bomber s’infiltre marginalement tout comme les hard mods, ces jeunes blancs énervés qui troquent le reggae contre une forme de punk naissante : la Oï.

 


Gangs Story: “Les années rock.” (docu.) par stranglerman

 

Cette jeunesse perdue permet aux mouvements extrémistes et surtout à l’extrème droite d’éclore en son sein, à coups de paraboots, poings américains et de riffs de Oï, pure et dure. Un esprit que Yan Morvan a réussi à saisir dans ses clichés sur les bandes de rockeurs de Paris dès 1975. Récompensé par deux prix de photo : le World Press Photo pour sa couverture de la guerre du Liban en 1983 et l’évolution des gangs…Des blousons noirs aux identitaires et jeunes bandes skinheads français de paris et sa banlieue en pleine émergence, Yan Morvan, montre des jeunes en révolte qui se réapproprient un vêtement à la connotation saisissante de virilité. « Le bomber vert et les docs, c’est l’uniforme des années 80. Les gangs de skinheads d’extrème droite comme d’extrème gauche se différencient des Mods et du cuir punk rock avec un habit d’ouvrier, commode qui vient de la rue », explique le photojournaliste qui confirme que ces jeunes veulent se représenter comme des «gens pas commodes » en pleine révolution prolétaire.

 

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Malheureusement sous le coup d’une joute judiciaire avec l’un d’entre eux, photographié il y a plus de 25 ans, le livre est sous interdiction de diffusion. « Petit Mathieu » était un jeune skinhead d’extrème droite dont le cliché apparaît dans les deux livres de l’auteur, «je l’ai photographié dans sa chambre avec des armes et des affiches nazi en 1987…il porte un bomber d’ailleurs ». 30 ans après, le dérouté, se retranche dans une « erreur de jeunesse » qu’il souhaite faire oublier. Au nom du « droit à l’oubli » des dommages et intérêts mais surtout le retrait de diffusion des ouvrages : “Gang” et « Gang Story » sont exigés. Alors que le photographe revendique le droit à l’information, le concerné lui, souhaite faire oublier un passé gênant.

 

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« Si vous demandez à un skin sa pièce d’identité il vous dira : un Fred Perry, un Bomber ou des Docs sinon rien ! » rapporte Yan Morvan de son infiltration, durant des décennies, dans ces gangs qui ont aussi construit leurs propres normes autour de ce code vestimentaire. « C’est d’ailleurs lors d’une vente privée que Clément Méric s’est fait tué car, antifa comme facho, ils ont le même style» confirme le journaliste pour qui le lien entre cette tendance mode et musicale a un aspect hiératique intrinsèque.

«  Dans son sens grand public le terme Skinhead signifie : un jeune aux cheveux rasés, vêtu de manière paramilitaire et exprimant avec violence idées racistes et néo nazies », nous dit Wikipédia. Mais ce vêtement vit par celui qui le porte et s’exprime de la même manière. Les jeunes inspirés par le mouvement punk, cousent patches, portent le bomber retourné; le tout pour se différencier. Et il le fallait. Surtout pour les anti-fascistes qui ne souhaitent plus être associés à leurs opposants. L’amalgame des médias continuera pourtant. Badges avec une boots écrasant le svatizka ou la couleur des lacets, sont pourtant des marquages différentiels cruciaux. A l’époque, les Red Warriors, les Ducky Boys ou les Ruddy Fox se mettent en guerre, on les appellera les chasseurs de skin.  A ce sujet le reportage « Antifa – chasseur de skin » est un des rares témoignages de cette époque où en france, la culture skinhead fait le lien entre le hip hop et punk.

 

 

Si le bomber à été très vite récupéré par un mouvement qui prend ses racines dans les mêmes problématiques sociales : le hip hop lui, en reste pourtant bien moins attaché. « Le bomber est un truc de gang blanc » confirme Yan Morvan. L’appropriation de ce blouson par ce courant de black music a tout de même des choses à dire. En révolte d’opinion et surement façon combat de coq les Mcs bombent le torse et prennent une pièce mode effigie de leurs ennemis afin de les narguer, bien sûr. Une sorte de « hey ! Tu te croies le seul bad boy ici ? ». Leur façon de le porter influencera d’autant plus les gangs et leaders, mettant en avant une silhouette qui peut cacher armes ou drogues avec un vêtement façon « camouflage ». Si les catwalks érigent le bomber en version haute-couture, ne soyez pas dupe, c’est bien parce qu’ils en connaissent tout le background et la portée qu’il procure à cette pièce iconique d’aujourd’hui et d’hier.

L’exposition Gang Story est visible jusqu’au 22 février uniquement à la galerie Sit Down à Paris et on vous conseille cette chance unique de voir ce témoignage plutôt couillu.