Grimes, c’est une gentille fille qui se cache derrière une pop électronique brumeuse, exploratrice des gouffres de l’âme humaine. Artiste pluridisciplinaire, la Canadienne Claire Boucher ne s’enferme pas pour autant dans les sonorités sombres de son dernier album Visions. Ouverture d’esprit oblige.

Comment décrirais-tu ta musique ?

Une sorte de pop de science fiction. Le fait de mélanger ces deux termes crée quelque chose d’intriguant qui me plaît. Ce n’est pas une très bonne description mais c’est toujours difficile de définir son propre travail de création. En plus, Grimes, c’est la seule chose que je fais de mes journées, un boulot à plein temps… J’ai parfois du mal à prendre du recul, même si en dehors, je m’active à la création de clips vidéo. Avec tout ça, j’ai à peine le temps d’écouter de la musique. Et comme je suis souvent en tournée avec 100% de mecs qui n’écoutent que des trucs comme Fugazi [groupe de post-hardcore américain, N.D.L.R.], quand je veux passer un peu de R’n’B ou quelque chose dans le genre, tout le monde râle !

Ta musique semble imprégnée d’une forme de mysticisme. Qu’en penses tu ?

Oui, c’est vrai qu’il y a une sorte de spiritualité dans ce que je fais. Je suis pas mal inspirée par les musiques religieuses de toutes les époques et de tous les continents, comme l’Afrique ou l’Asie. J’aime quand la musique ne trouve pas ses origines dans la vie de tous les jours et ne parle pas uniquement de nos petites histoires d’humains. J’aime le son dévotionnel et implicite qui ne perd pas son temps à exprimer les soucis du quotidien.

Visions, ton dernier album, est un disque plein d’angoisses. Pourtant, dans la vie, tu n’as pas l’air d’être une personne torturée…

Je suis à la fois très angoissée et assez enjouée. Mes disques sont une forme de catharsis et la majorité de mes chansons sont déprimantes même si elles sonnent parfois comme quelque chose de joyeux. Dans mes textes, j’essaye de faire un peu ressortir cet aspect de ma personnalité mais en même temps, j’aime quand les paroles ne sont pas très précises et qu’on ne comprend pas tout à la première écoute.

Tu fais la grande majorité de tes concerts seule sur scène. Est-ce par choix ?

Au début, c’était plus par souci économique mais maintenant, je remarque que j’aime jouer seule car ma musique est très intime. J’ai parfois des danseurs sur scène mais par exemple, je n’aimerais pas avoir un guitariste ou quelqu’un qui s’occupe des samples à ma place. J’aime la danse car c’est la chose la plus bizarre et la plus illogique que les gens puissent faire. C’est ça que je trouve beau.

Tes clips vidéo ont une approche esthétique assez radicale. Comment les conçois-tu ?

Pour moi, faire de la musique est une expérience très visuelle. Mes chansons sont un peu comme des couleurs : quand je les compose, je pense à des mouvements, à de la danse. Ce que je préfère, c’est travailler sur les  clips. C’est une forme d’art bien trop dépréciée, on l’associe beaucoup trop à la notion de promotion d’un artiste. Quand tu fais un clip, tu peux totalement changer le sens général d’un morceau. Sortir une chanson en vidéo, c’est vraiment offrir à ton public l’ensemble de la chanson. C’est comme au cinéma, un film n’existe pas sans sa musique car elle participe pleinement à l’émotion générale ressentie. Le son ajouté à l’image a quelque chose de magnétique qui me fascine. Du coup, pendant la composition de mon album, je me passais en boucle The Shining pour m’imprégner de l’ambiance du film.

Tu as fait toi-même toutes les pochettes de tes disques avec un style très cohérent. D’où te vient ce goût pour la peinture ?

Je ne sais pas vraiment, j’adore peindre et pour moi, c’était tout à fait logique que je fasse les pochettes de disques. Voir ces images sur ma musique m’aide à me sentir bien avec ce que je fais. J’adore tout particulièrement l’image que j’ai faite pour Visions.

Tu personnifies différentes formes d’art comme la musique, la vidéo, la danse ou la peinture. Est-ce important pour toi de garder cette approche pluridisciplinaire de ta musique ?

C’est beaucoup plus intéressant de tout mélanger ! Je ne me vois pas faire autrement. C’est ma seule chance de travailler avec d’autres gens puisque je ne me vois pas faire autre chose que Grimes. Pour moi, ce projet n’est pas juste quelque chose de musical, c’est un ensemble, une sorte de label dans lequel je projette mes créations, sous toutes leurs formes. Quoi que je fasse, je peux l’inclure dans Grimes.

La mode joue-t-elle un rôle important dans ton travail ?

Je m’intéresse à la mode quand on la considère comme de l’art, quand elle est utilisée non pas pour être populaire mais pour définir une personnalité. Je ne suis pas toujours parfaitement habillée mais j’aime beaucoup des créateurs comme Alexander McQueen, ces vrais artistes de mode qui poussent les choses vraiment loin. Par contre, le prêt-à-porter, je n’en ai absolument rien à faire, ça ne m’intéresse pas du tout ! La vraie mode questionne sur l’humain et cherche à élever l’idée de la beauté humaine à un degré supérieur. Il y a quelque chose de magnifique dans cette conception de l’homme.

Portes-tu une tenue particulière quand tu es sur scène ?

Ça dépend vraiment des concerts. En général, je viens en tournée avec mes vêtements habituels car je n’ai pas le temps de préparer une tenue de scène et de soigner mon look. Mais lorsque je fais des gros concerts comme par exemple à New York, je demande à tous mes amis stylistes de m’aider à trouver une tenue qui soit originale et qui corresponde à ce que je suis.

 

Propos recueillis par Simon Clair

Photo : Thomas Paquet

Réalisation : Flora Zoutu