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À l’occasion de la sortie de son nouvel album Presque Punk, retour sur notre rencontre avec P.R2B dans un décor professionnel détourné, pour « la semaine au bureau ». Café topo à 10h, déjeuner d’équipe de 13 à 14h puis « afterwork » à 17h : la chanteuse construit une promo déjantée sur fond d’ambiance de bureau et de mises en scène burlesques. Une mise en abîme loufoque mais géniale, qui nous a doucement invités à l’écoute de cet album. Autour de cet événement, l’essentiel réside dans la réunion fédératrice entre P.R2B et ses auditeurs, pour s’amuser des assignations dictées par le monde du travail, mais surtout de ses travers.
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L’esthétique de l’album en reprend tous les codes et s’inspire ainsi d’open-spaces, de cravates mal faites, de Post-its qui se décollent et du minimalisme insipide des bureaux… Si P.R2B use et se joue de références héritées, c’est pourtant bel et bien des thématiques et des préoccupations actuelles qui y sont traitées : burn-out, manque de sens, rapport à l’autre, besoin viscéral de partir… Tout un tas de questions soulevées qui résonnent dans de nombreux esprits, témoignant du paradoxe contemporain consistant à s’éloigner d’un monde qu’on a construit. Des questions qui font éminemment écho à une multitude de sphères professionnelles, puisqu’elles n’épargnent personne.
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Pour autant, pendant le bref échange qui nous a été consacré, elle nous confie qu’elle n’a « pas voulu faire un album concept » ! Elle a préféré partir de l’aliénation au travail, pour ensuite « se pencher sur plein de problèmes qui nous concernent tous ». Des problèmes qui dépassent le cadre professionnel, bien sûr, mais qui atteignent souvent leur point culminant dans un univers où l’on peine parfois à trouver sa place. C’est là toute l’idée de la chanteuse et compositrice, qui souhaite construire un album qui parle à tous.
Mais ce qui est d’autant plus intéressant dans cette volonté de l’artiste, à l’heure où les chansons ont tendance à se focaliser sur la vie et les expériences des interprètes, c’est que P.R2B regarde d’abord autour de soi : « Beaucoup de mes amis ne sont pas artistes et ont des vies de bureau. Ils me parlaient de leur manque de sens dans la vie, de leurs mauvaises relations avec leurs collègues… » ; « Je me suis aussi tournée vers les autres, pas forcément des autres que je désirais ou que j’aimais, mais simplement pour comprendre ce qui se passe ». Cette fois-ci, ce n’est pas l’auditeur qui se projette dans la vie du chanteur (se), mais bien le contraire.
En effet, P.R2B le sait et ce n’est pas le cas de tout le monde, mais elle a le privilège (selon ses termes) de faire quelque chose qu’elle aime profondément. En effet, en tant que chanteuse, « beaucoup de choses restent très poétiques et agréables dans ce métier ». C’est le cas de cet album, qui l’a poussé à sortir d’un « regard habituel » et à « aller à la rencontre des autres ». En revanche, elle n’est absolument pas insensible aux thèmes abordés et encore moins à la quête de sens : la musique est une industrie, qui conduit parfois à créer « un contenu » qui l’éloigne de son métier. Elle cite, par exemple, l’exposition sur les réseaux sociaux et cette sensation névrotique de « ras-le-bol ».
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Mais c’est d’abord ça le point de départ de Presque Punk, une « envie de prendre l’image du bureau » pour ensuite s’affairer sur « un pan plus large de notre société, auquel on est tous confrontés ». Un intérêt qui fait lui-même référence au mouvement punk, prenant ses racines en Angleterre dans les années 70-80 et qui porte un message collectif et contestataire, contre les normes politiques et sociales de son époque, symbolisées par la gouvernance de Margaret Thatcher. P.R2B arbore donc un regard humaniste, généreux, mais aussi grave.
Certains textes ébranlent, vous poussent dans vos retranchements et mènent à votre propre interrogation. Le titre Amnésie qui traite de l’influence du passé et du « déjà-vu », en est une illustration flagrante. Cependant, si vous avez tendance à laisser les idées des autres façonner les vôtres un peu trop vite, allez-y mollo sur l’écoute de Bullshit Job : un morceau en collaboration avec Philippe Katerine, qui peut vite vous inspirer pour votre prochaine lettre de démission. Pas de prises de décision hâtives, en revanche, des questionnements essentiels.
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Ces questionnements ne traversent pas seulement l’auditeur, puisque l’interprète de Presque Punk revendique aussi le fait de ne pas être totalement punk, de ne pas totalement s’affranchir de ce qui la retient : « Moi aussi je fais aussi partie d’une industrie musicale qui n’est pas punk du tout. Mais j’en ai besoin pour l’instant, j’y suis. Je fais aussi partie d’une majorité de gens qui ont peur dans la vie, qui n’osent pas parler à des endroits par peur du conflit ou de représailles ». Une confidence sincère, à l’image de son morceau La Vérité, qui témoigne de l’impuissance des individualités face à l’imperméabilité de la sphère professionnelle, mais pas que ! P.R2B s’essaye alors à faire corps ensemble et à contrer l’impression de solitude.
Dans Buzz, elle nous propose de s’immerger dans le tumulte et le bruit incessant des machines (qui ici nous font danser), critique de la technologie et de son usage frénétique au travail, jusqu’à l’étouffement. Elle souligne le fait « qu’on soit énormément entouré de machines, qu’on s’y confonde presque alors qu’elles, prennent une apparence de plus en plus humaine ». Une inquiétude dont nous fait part l’artiste, mais qui s’adresse évidemment à tout le monde et à une multitude de métiers, impuissants face à l’évolution écrasante de l’IA. Buzz signe donc la démonstration que cette dernière chante des préoccupations collectives, transformées en quelque chose d’un peu plus agréable.
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En revanche, l’auditeur n’est pas non plus laissé au pied du mur, car si Presque Punk est ancré dans le réel et soulève quelques inquiétudes, il est aussi tout autant fantaisiste et délirant. Bullshit Job en est un exemple, tout comme J’aime la vie qui parle par lui-même, ou encore Spoil, titre pop rempli de sonorités étonnantes, comme issu d’un « cartoon ».
En gros, cet album est un concentré de nerfs à vif, de textes éveillés qui suscitent la réflexion, mais avant tout, d’éloges à la vie. P.R2B nous rappelle que l’humain est traversé de doutes, de changements, de regards différents, et ce, dans plusieurs époques et plusieurs lieux.
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Texte par Antoine Caudebec
Image Olivia Schenker
