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Octobre 2025, par un bel après-midi ensoleillé, nous avons rendez-vous avec Mina Tindle dans les locaux de son label. Elle est en pleine réunion pour la sortie de son nouvel album Compass Rosa. Après un moment pour nous installer et pour que Mina se prépare pour une version filmée, l’entretien commence.
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Silence et inspiration
Cinq années se sont écoulées depuis Sister, pendant lesquelles Mina s’est consacrée à la peinture, à l’écriture et à l’illustration de livres pour enfants. « Je me sentais sans voix face à la cacophonie et à la folie environnantes. Pendant le Covid, il y avait trop de voix. Moi, là-dedans, j’ai eu envie de me taire. » Un déclic survient pourtant lorsque son fils lui dit : « L’oiseau chante… Maman chante ».
C’est ainsi que naît Compass Rosa, un album où Mina affine encore sa pop délicate. Les chansons, portées par des arrangements sobres, suivent un chemin intérieur fait de pertes, de réconfort et de lumière discrète. Dix titres dont il a fallu trouver le fil conducteur : deux mots, « Compass » et « Rosa ». Le premier est découvert sur un port désert, lorsqu’elle aperçoit une rose des vents peinte en bleu éclatant et le second est le prénom de sa grand-mère, femme essentielle aujourd’hui disparue. « Tout d’un coup, j’ai eu une sorte de révélation… J’allais rendre hommage à ma grand-mère. Ce qu’elle représentait pour moi, c’était un peu cette rose des vents et ce compas. » L’album prend alors son axe : mémoire, directions, ce qui nous guide même quand on ne le voit plus.
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Une pop sensible et réfléchie
Une cartographie intime se dessine où chaque titre devient un point cardinal d’un même mouvement intérieur. On traverse Serenade, Heaven Thunder ou Heaven Sake des titres qui cherchent la lumière sans nier la douleur ; on avance dans Victoire Trésor, Belles de Nuit ou Not Losing entre fragilité assumée et désir de rester debout ; on touche à la chair de Toute une vie, à la mémoire de Rosa, à l’élan clair de Pour Le Soleil, autant de gestes qui privilégient la vérité sensible à la grandiloquence. L’ensemble compose une folk de clair-obscur où les voix s’entrelacent et où la douceur devient une forme de résistance.
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Le temps retrouvé
Le temps et l’écoute occupent une place centrale dans son parcours. « J’ai passé des heures chez Gilbert Joseph, le disquaire : traîner, parler, découvrir des chocs esthétiques en permanence. J’aimerais que mon fils connaisse ça, même si ce ne sera sans doute plus possible. On a réparé une platine à la maison et je vois déjà qu’il écoute autrement, plus impliqué. » Le numérique a transformé sa manière d’écouter et d’être attentive. « Tout est censé nous faire gagner du temps, fast-food, speed-dating, etc. mais au final, on a surtout l’impression de ne jamais en avoir. Créer, faire de la musique, méditer, s’occuper de quelqu’un… devient une manière de reprendre la main. »
Quitter la ville pour vivre à la campagne lui a révélé un rythme différent : la stimulation est moins immédiate, mais elle ouvre un autre tempo. « On vient de faire 5-6 ans à la campagne et là on vient de redéménager dans une ville. J’aime la ville, le béton, je suis enchaînée aux villes. »
Elle est née à Paris, alors que son fils est né à la campagne. « Lorsque nous arrivons à Paris, il me dit que ça pue, que les gens ne sont pas sympas. Je lui réponds : oui, c’est Paris. À travers ses yeux, je vois à quel point la ville est agressive. Heureusement, il a passé ses huit premières années presque à la campagne. Beaucoup de gens que j’ai connus à Paris n’étaient pas parisiens et finissent par repartir : on tient quelques années, puis on a besoin de retrouver le calme. Ça m’a toujours semblé étrange, mais maintenant que je l’ai vécu, je comprends. Et malgré tout, il y a ce tourbillon propre aux grandes villes… C’est incroyable d’avoir 20 ans dans une grande ville. »
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Entre amis et accords
Malgré cela, l’album a été enregistré en cinq jours à la maison avec Bryce Dessner (The National), son mari, et sur trois titres, le fidèle Sufjan Stevens. « C’est une des voix qui m’a accompagnée et bouleversée depuis le début. Je le connais depuis une quinzaine d’années. C’est un cadeau de collaborer avec lui. » L’album a été produit par Mina et Bryce, enregistré et mixé par David Chalmin, avec des prises supplémentaires assurées par Bryce, Benjamin Hofer Lanz et Nicolas Duport (notamment les cordes, captées au Studio Saint-Germain). Toutes les chansons sont écrites par Pauline de Lassus, à l’exception de Rosa, composée par Bryce Dessner et Pauline de Lassus, et de Pour Le Soleil, écrite par Benjamin Hofer Lanz et Pauline de Lassus.
Le travail s’est fait donc dans une intimité presque artisanale, chaque chanson façonnée avec patience, dans la recherche de justesse musicale et textuelle. Cette liberté contraste avec ses premières expériences : « Mes deux premiers disques sortaient sur le même label : stabilité mais contraintes. J’étais devenue maman et je ne pouvais pas tenir le rythme. De plus, j’avais un syndrome de la bonne élève, j’essayais d’en faire plus pour les autres. »
Puis vient 37d03d, label lancé par Bryce Dessner, son frère Aaron, Bon Iver et l’équipe de l’hôtel Michelberger, à Berlin. Ceux-là mêmes qui avaient lancé en 2018 le People Festival, réunissant 200 artistes dans 30 studios et 8 scènes du Funkhaus, dans un esprit non hiérarchique : pas de sponsors, pas de marques, pas de cachets, et tous les billets dédiés à la production. Les artistes se rencontraient une semaine avant, découvraient de nouvelles musiques et s’engageaient librement. « Le label n’a pas vraiment survécu aux années ni au Covid, mais la même bande est toujours là et nous continuons à organiser des événements dans le même esprit. Aujourd’hui, je suis ravie de travailler avec S76, ce sont des gens gentils, intègres, de confiance. Je ne suis pas sûre que je pourrais le faire avec d’autres. »
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Quatorze ans de carrière ont vu la suprématie du single au détriment de l’album. « Ça ne me pose aucun problème. Avant, il y avait la face A, la face B, et c’était OK. C’est juste un format comme un autre. Comme en poésie, tu peux choisir : sonnets, formes libres, avec rimes ou sans rimes… On peut sortir des singles, des EP ou des morceaux plus courts, ça ne serait pas grave. Ce qui change vraiment, c’est l’écoute. »
Avec Compass Rosa, Mina Tindle signe un album délicat et profond, à l’image de sa personnalité : attentive, réfléchie, empathique. Chaque note et chaque mot révèlent une artiste qui sait conjuguer subtilité et force, et faire résonner l’intime avec l’universel.
Compass Rosa est disponible via S76. En concert à Paris (Trianon) le 13 avril 2026.
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Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture © Julia Grandperret/S76
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