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Pendant une semaine, le Pitchfork Music Festival Paris a transformé, une nouvelle fois, la capitale en laboratoire à ciel ouvert. Aux côtés des très attendus Blood Orange, Saya Gray, Indigo De Souza… nous avons promené nos oreilles au sein de ce vivier d’explorations musicales qu’offrait pour sa quatorzième édition, particulièrement dans le Marathon Avant-garde. Récits.

 

 

 

Lundi 3 novembre 2025

Nichée au fond du Parc de la Villette, la salle du Trabendo offrait une parenthèse musicale entièrement anglophone. Dans l’atmosphère feutrée de cette scène intimiste, Roland Faunte, DellaXOZ et Self Esteem se sont succédés pour une soirée en clair-obscur. Roland Faunte ouvre, seul derrière son piano, baigné d’un halo blanc. En quelques accords, il installe son univers mélancolique, où chaque note porte un fragment de son histoire. Il évoque avec pudeur son combat contre la maladie, sans sombrer dans le fatalisme : son message reste celui de l’acceptation et de l’espoir. Cherchant la proximité avec le public, il transforme ses récits en hymne partagé, la salle répondant en chœur, exactement l’esprit du festival, qui souhaite provoquer ces rencontres prolongées entre artistes et spectateurs. Après une courte pause à la buvette, DellaXOZ entre en scène avec ses deux musiciens. Debout avec sa guitare, elle ravive une nostalgie rock façon Blink-182, évoquant les comédies romantiques américaines des années 2000. Sa voix rêveuse se mêle aux guitares électriques, et elle déroule ses derniers singles. Le moment fort reste UnHinged, empreint d’une puissance « teenage » qui réconforte sans excès. Puis vient le clou de la soirée : Self Esteem, figure pop confirmée au Royaume-Uni, qui joue au Trabendo après avoir rempli des Zéniths. Accompagnée de six danseurs, elle affronte ce public plus intime avec une scénographie millimétrée, tension construite par des basses assourdissantes, un jeu de lumières haletant et un chœur qui annonce son entrée. Son set oscille entre électronique, avec Mother et des titres plus mélodieux comme Focus is Power. Elle interprète l’intégralité de A Complicated Woman et conquiert une salle qui chante et danse sans retenue, portée par son énergie communicative. (AC)

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DellaXOZ ©AC

 

Roland Faunte ©AC

 

Self Esteem ©AC

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Mardi 4 novembre 2025

Line up 100% féminin au Trianon ce soir. Tout commence par l’alt-pop de la francophone Léa Sen, habituée des premières parties londoniennes, émue de jouer devant un public restreint et sincèrement à l’écoute. C’est ensuite Hannah Jadagu qui a donné le ton de la soirée. Alternant les morceaux d’Aperture et ceux de Describe, elle incarnait parfaitement ce qu’elle nous expliquait quelques heures plus tôt : « Quand je commence un nouvel album, mon but est de créer quelque chose de différent, qui semble appartenir à une nouvelle era […] tout en restant fidèle à mon identité artistique ». Sur scène, cette évolution se ressentait dans l’énergie qu’elle déployait : la salle chantait, dansait, guidée par les basses et les lumières tamisées, créant une atmosphère complice et sincère. Hannah était elle-même enthousiaste à l’idée de voir Erika de Casier, dernière artiste de la soirée. Elle nous avait avoué avoir accepté cette date « dans l’espoir de pouvoir assister au concert d’Erika de Casier ». Cette dernière, très attendue, est apparue accompagnée d’un batteur et de projections immersives, livrant un set oscillant entre mélancolie et titres plus dansants, et s’est retirée sous les applaudissements après un message de paix pour la Palestine. Et finalement, ce sont les mots d’Hannah qui décrivent le mieux l’énergie féminine et bienveillante ressentie tout au long de la soirée : « Le côté positif lorsque tu es une jeune artiste (racisée) c’est que tu rencontres des personnes qui ont vécu ce que tu as vécu, et vous pouvez vous soutenir mutuellement. […] Quand j’ai rencontré Erica, elle m’a fait un câlin et était très accueillante. […] La fatigue est quotidienne, mais quand les choses sont belles, comme cette line-up, on sent l’amour et une énergie plus légère, surtout quand il n’y a pas trop d’hommes autour ! ». (ML)

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Léa Sen ©ML

 

Erika de Casier ©ML

 

Hannah Jadagu ©ML

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Mercredi 5 novembre 2025

À l’Élysée Montmartre, joyau art déco en plein Pigalle, le festival a offert une soirée où la pop avant-garde s’est déchaînée : eurodance, hyperpop glitchée, puis apothéose finale avec A. G. Cook. Un véritable uppercut électronique. Swank Mami ouvrait la danse pour sa toute première date parisienne, fièrement vêtue d’un crop top « I love Paris ». Venue défendre sa mixtape Worldstar, elle aligne MC69, PLZ et quelques autres titres qui, même inconnus de certains, embarquent immédiatement la salle. Sa pop nourrie d’eurodance et de R&B insuffle une énergie brute, fraîche et spontanée : trente minutes suffisent pour accrocher tous les festivaliers. Underscores prend le relais sans laisser retomber la tension. L’artiste hyperpop électrise instantanément la fosse avec Girls and boys, renforcé par des visuels hypnotiques projetant les paroles au rythme du son. Sa pop-collage, saturée, fracturée mais universelle, fait vibrer la salle : basses qui grondent, auto-tune hypersensible, hooks qui s’effritent. Elle dévoile ensuite en exclusivité Do it, sorti la veille, puis propulse le public dans une euphorie collective lors de Harvest sky, son duo avec Oklou, reprise en chœur par toute la salle. Après près d’une heure, on en redemande. La performance la plus attendue restait celle d’A. G. Cook, comme en témoignaient les nombreux t-shirts Britpop et BRAT observés dans la foule. Durant une heure et demie, il construit un véritable voyage : extraits de son gigantesque album Britpop (24 titres retraçant passé, présent et futur de la pop), remixes ciselés de Charli XCX, Addison Rae ou SOPHIE, alternance de passages ultra-expérimentaux façon Arca et de moments guitare-voix. L’autotune, omniprésent et créatif, sert de fil conducteur. Comme Underscores, il glisse un remix de Fall d’Oklou en fin de set, avant de conclure en apothéose avec Club Classics de Charli XCX : une manière de sceller le présent et d’esquisser l’avenir de l’hyperpop – et peut-être même de la pop tout court. (TR)

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Swank Mami ©TR

 

A. G. Cook ©TR

 

Underscores ©TR

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Jeudi 6 novembre 2025

Première soirée de l’Avant Garde. Il y a foule au POPUP!, lieu stratégique des Festivalier, Super Bock, partenaire du festival y a ouvert un pop up où se déroule DJ sets et happenings au milieu des futs de bière. Nous démarrons notre soirée nomade avec Spill Tab. Le set de Claire Cicha a navigué entre les époques, les sonorités et les langues, passant avec aisance de l’électro au rock, à la pop, au jazz, du français à l’anglais, sans jamais perdre son identité. Sa présence scénique était contagieuse, insufflant une énergie nouvelle à la salle. Changement de décor avec le live mystérieux des Holybones au POPUP!, duo anglais caché derrière des bandages, tels des rescapés de guerre qui vont délivrer un set bruyant tout en tension à l’énergie rock. Retour à une douceur paisible avec le set de Strongboi, duo indie berlinois composé d’Alice Phoebe Lou et de Ziv Yamin, qui délivre quant à eux une pop lounge douce et décontractée réchauffant le public avec des rythmes doux et berceurs qui résonnaient dans les oreilles des fans déjà conquis. La surprise de la soirée viendra  de la Mécanique Ondulatoire avec le set du quatuor rock Saint Clair, formé du charismatique chanteur et guitariste Toby Bardsley, qui irradiait sur scéne, de la batteuse Beth Diana et des guitariste et bassiste Lawrence Bordean et Adam Anderson. Déterminés, à la limite affamés d’énergie, de musique, de concerts, ils vont nous délivrer un set passionné et intense, on pense à un mix improbable de Radiohead, Fontaines DC et Led Zepellin. Formés à l’école de musique de Cardiff,  maintenant basés à Londres, ils tiennent à ce que nous sachions qu’ils n’ont pas encore composé leur meilleur morceau. Cela promet un avenir brillant et une contribution significative à la scène indie actuelle. (LFC)

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Spill Tab ©LFC

 

Strongboi ©LFC

 

Hollybones ©LFC

 

Saint Clair ©LFC

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Vendredi 7 novembre 2025

Nous avions décidé de démarrer en douceur avec Ruthven, Jensen McRae et finir en beauté avec Daffo. Malheureusement, des difficultés de planning nous priveront de son set à Ruthven pour mieux revenir découvrir la douceur émotionnelle de la folk de Jensen Mc Rae, seule à la guitare de la scène du Café de la danse, qui partagera avec le public des anecdotes drôles et auto-dépréciatives sur l’origine de ses chansons. Son folk profondément narratif, tendu entre douceur et lucidité. Les chansons prennent une ampleur nouvelle, plus rugueuses en live, révélant la précision émotionnelle de son écriture. Nous terminerons par l’électrique set énergique et brute de Daffo, avec un son indie rock teinté de country et son ambiance garage. Un électrochoc émotionnel qu’on pourrait résumer en deux  adjectifs : « raw, unfiltered energy », entre moments fiévreux et instants retenus. Énergie brute typique de l’indie‑rock : guitare sale, rifs saturés, et voix légèrement éraillée mais parfaitement maîtrisée. (LFC)

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Jensen McRae ©LFC

 

Daffo ©LFC

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Nous n’allions pas en rester là. Modzik a alors jeté son dévolu sur la programmation électro-expérimentale du Badaboum. Au programme : Body Meat, Punching Bag, et la tête d’affiche, Jane Remover. Pour ouvrir la soirée, Body Meat a offert une expérience puissante et brutale. Dès ses premières minutes, il a imposé son univers sonore très marqué, mêlant instrus lourdes et agressives, parfois proches d’un rap à la Suicide Boys, et entrecoupées de bruits de mitrailleuses qui renforçaient cette sensation de tension électrique. Au cours des 30 minutes de son passage, Body Meat a enchainé morceaux intenses et moments plus atmosphériques, laissant le public alors parsemé à la fois contemplatif et galvanisé. Punching Bag a pris la main avec des morceaux de leur dernier projet sorti ce soir-là, intitulé Silent Wave. Leur électro sombre et leurs rythmiques rap ont peu à peu rempli la salle, où le public, très varié, oscillait entre génération Z venue pour Jane Remover et curieux. Enfin, Jane Remover a clôturé la soirée avec une prestation mémorable. C’est avec le son survolté de son dernier album, Revensseekerz, qu’elle a enflammé la salle. Avant même son arrivée sur scène, l’énergie était palpable : le public scandait son nom et reprenait ses paroles avec énergie. Au fil du set, la salle s’est divisée en deux pour un pogo déchaîné et sans fin, culminant sur l’hymne Turn Up or Die, chanté en chœur dans une atmosphère aussi chaude et opaque qu’électrique et légère. (TR)

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Body Meat ©TR

 

Punching Bag ©TR

 

Jane Remover ©TR

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Samedi 8 novembre 2025

C’est au POPUP!, véritable tremplin pour la scène émergente que débute notre soirée ouverte avec Pollyfromthedirt, seul sur scène avec sa guitare et son masque emblématique. Sa performance, à la fois émouvante et sincère, a rapidement conquis la petite salle, où l’intimité du lieu a créé une forte connexion entre l’artiste et le public. La Suédoise Yaeger, rencontrée quelques minutes avant son set, a ensuite métamorphosé l’ambiance. Portée par une énergie débordante, elle a enflammé la foule dès les premières notes. Sa présence scénique, à la fois maîtrisée et spontanée, a marqué les esprits : elle n’a pas hésité à descendre dans le public avant de remonter, perchée en équilibre sur un tonneau, sous un drapeau à son effigie renforçant son identité visuelle. Pour son tout premier concert parisien, elle a dévoilé en exclusivité Hazel Eyes, qui est sorti le 14 novembre. Avant de monter sur scène, elle confiait : « Pour devenir la personne que je suis aujourd’hui, il faut trouver des gens qui t’inspirent, auprès de qui tu sens que ta voix compte… Tu peux juste être toi ». Un message qu’elle a incarné avec force, autant par sa performance brute que par son look audacieux. La soirée s’est clôturée avec Somewhere Special, qui a offert un set mêlant bedroom pop et indie pop. Le public, déconnecté de ses écrans, s’est laissé porter par une ambiance sombre, intime et chaleureuse. (ML)

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Pollyfromthedirt ©ML

 

Yaeger ©ML

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Autre ambiance au Café de la Danse où la foule est déjà compacte, impatiente, dans l’attente du double plateau annoncé de milieu de soirée : Annahstasia et Malcolm Todd. L’atmosphère est électrique mais chaleureuse, nourrie par le bourdonnement d’un public jeune, venu visiblement très tôt pour ne rien manquer. Annahstasia apparaît sans artifice, simplement accompagnée d’une guitare et d’une lumière qui découpe sa silhouette. Dès les premières notes, la salle se fige : sa voix grave, ample, se déploie comme une vague qui enveloppe chaque recoin de la pièce. Elle livre un set intime et profondément émotionnel, où l’on sent un mélange de force et de fragilité, porté par une expressivité rare. Le public écoute religieusement, happé par cette présence à la fois humble et magnétique. Puis vient la déflagration de la soirée : Malcolm Todd. Avant même qu’il n’apparaisse, son nom est scandé avec ferveur par une foule déjà conquise. Quelques heures avant sa prestation, il nous était apparu épuisé par une longue tournée, mais dès qu’il foule la scène, sa grande silhouette se déploie et l’énergie renaît. On découvre un artiste authentique, chaleureux, capable de capter l’attention par la sincérité de sa voix autant que par l’intensité de ses émotions. Son set alterne entre passages rock débordants d’énergie, moments plus introspectifs et instants de pure complicité avec le public, qui chante en chœur la plupart de ses titres. Malgré la fatigue, Malcolm Todd se donne entièrement, faisant vibrer la salle jusqu’au dernier morceau, porté par une audience qui lui renvoie chaque note avec enthousiasme. (LFC)

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Annahstasia ©LFC

 

Malcolm Todd ©LFC

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Rares sont les festivals capables d’imprimer leur marque en si peu de temps, et celui que l’on surnomme affectueusement le Pitchfork continue de le prouver. Quatorze ans après son arrivée à Paris, il demeure cette balise automnale où convergent les rumeurs avant-gardistes du monde entier, tout en affirmant année après année une identité qui lui est propre. Entre héritage du magazine chicagoan, éclatement des formats et exploration toujours plus vaste du paysage musical, le Pitchfork Paris s’étend, mute, s’affirme et c’est sans doute là que réside sa force.

À travers ses onze salles, son parcours Avant-garde et sa capacité à mêler têtes d’affiche, figures montantes et éclairs encore confidentielles, le festival rappelle qu’écouter demain suppose d’ouvrir grand les oreilles aujourd’hui. La preuve : de COBRAH à Soyoon, d’Aphex Twin à Peggy Gou, l’histoire du Pitchfork s’écrit autant avec celles et ceux qui la bâtissent que avec le public qui la vit. Alors, pour cette édition encore, les salles parisiennes se sont laissées traverser par les propositions de 100 artistes qui ont bousculé les certitudes et attisé les curiosités. À vous maintenant de laisser ces noms, déjà bien installés dans nos playlists, trouver leur place dans les vôtres. (LVP)

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Texte Antoine Caudebec, Lionel-Fabrice Chassaing, Marie Landais, Louise Pham Van, Tiphaine Riant

Image de couverture LFC

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Remerciements au Pitchfork Music Festival Paris et Ugo Tanguy pour son aide précieuse.

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