/
La sélection Modzik pour sonoriser ce weekend.
/
/
SUDAN ARCHIVES – MY TYPE
Avec My Type, Sudan Archives continue d’inventer un langage qui n’appartient qu’à elle : hybride, sensuel, hyper-technologique. Ce troisième extrait de son prochain album The BPM marque une évolution significative. Depuis ses débuts, Brittney Parks, alias Sudan Archives, défie les classifications. D’abord remarquée pour un style DIY mêlant violon, loops électro et influences folk africaines, elle a progressivement élargi son terrain de jeu, passant du violon solo à des compositions de plus en plus denses, hybrides, et scéniques. Ici, tout explose : le club devient scène et Sudan devient Gadget Girl, une artiste augmentée, pleinement connectée à sa liberté. Celle qui a fait ses armes entre Cincinnati et Los Angeles, violon en main et loopstation aux pieds, ne renie rien de ses débuts. Mais elle pousse le curseur plus loin, dans un univers où les influences de Detroit, Chicago et du Jersey Club se mélangent à sa recherche de soi. Natural Brown Prom Queen (2022) était une lettre d’amour à ses origines, à son adolescence, à sa peau. The BPM, lui, regarde l’avenir : une œuvre club, féminine, futuriste, où le rythme devient pouvoir. My Type, autoproduit comme la plupart de ses morceaux, assume une esthétique rap inédite dans sa discographie : beats affûtés, flow nonchalant, sensualité revendiquée. Elle y célèbre ses désirs, brouille les pistes entre amitié et amour, et surtout, elle s’amuse. Dans le clip signé Luke Orlando, elle multiplie les avatars, explore ses différentes facettes, jusqu’à réconcilier l’intime et le technologique. C’est parfois déroutant, mais toujours profondément incarné. Si Dead, le premier single, qui a accompagnè le dernier dèfilè Chanel, explorait la dualité entre humain et machine dans une atmosphère plus introspective, My Type en est presque l’opposé : un morceau de liberté dansé, dans lequel Sudan Archives revendique le droit d’être multiple, excessive, drôle et sexy. The BPM, attendu pour le 17 octobre chez Stones Throw, s’annonce comme l’album le plus dansant, le plus collectif et le plus radical de l’artiste. En travaillant exclusivement avec ses proches (famille, amies, cousines), Sudan met en place un écosystème musical et humain qui nourrit son œuvre. Plus qu’un disque de dance music, les 15 titres de The BPM affinent son identité sonore tout en s’ouvrant à une forme de plaisir plus collectif, trouvant son climax dans les 2m 31 du titre éponyme The BPM et le mantra qui clôt l’album Heaven Knows.
My Type est disponible via Stones Throw Records. En concert à Paris (Trianon) le 1er décembre 2025.
/
BURNA BOY – CHANGE YOUR MIND (FEAT. SHABOOZEY)
Burna Boy est de retour avec son huitième album, No Sign Of Weakness. Tout est dans le titre : il s’agit, pour le détenteur d’un Grammy, de rappeler sa stature et de montrer qu’il tient bon. Mais c’est peut-être aussi là que réside une certaine fragilité. Le duo avec Shaboozey, figure montante du country‑rap, se révèle l’un des moments les plus intrigants de l’album. Dans Change Your Mind, Burna Boy troque, le temps d’un morceau, sa couronne contre la posture plus vulnérable d’un homme en plein doute. Il y mêle la chaleur de l’afrobeats à une guitare country, un léger shekere, et à la voix grave de Shaboozey, pour créer un instant introspectif, à la fois doux et inattendu. Pour le reste, Burna Boy poursuit sa trajectoire d’artiste global, en perpétuelle réinvention. L’album, bien que revendiquant la force, semble davantage marquer un moment de transition, où l’artiste nigérian cherche à redéfinir sa voix dans un paysage musical devenu tentaculaire. On le retrouve explorant une multitude de styles : funk carioca, afrobeat, afroswing, reggae, gángan, tech-house avec l’incroyable Kabiyesi, hip-hop des années 90, ou même rock ainsi que dans une série de collaborations internationales aussi prestigieuses qu’éclectiques : Stromae, Mick Jagger ou Travis Scott. À l’écoute, chaque morceau donne parfois l’impression d’un carnet d’esquisses sonores, comme s’il s’agissait moins de dérouler un récit que de proposer une vitrine des possibles. Côté production, difficile de reprocher quoi que ce soit : les sons sont impeccables, les enchaînements soignés, et Burna Boy reste ce funambule vocal capable de passer du chant au flow avec une aisance déconcertante. C’est justement cette virtuosité qui rend l’ensemble agrèable, malgré un léger manque d’unité. L’album impressionne par sa diversité, mais parfois au détriment d’une cohérence plus profonde. Ici, il se recentre davantage sur lui-même, dans une logique plus introspective. Au final, No Sign of Weakness est un disque de mouvement. Un album à la croisée des chemins, porté par un artiste toujours aussi talentueux, mais peut-être en quête d’un nouveau point d’équilibre.
Change Of Mind est disponible via Spacehip/Bad Habit/Atlantic Records/Warner.
/
KA’CHA – PÉTALES
Avec Pétales, Ka’Cha signe un morceau à la fois sombre et lumineux, porté par une écriture sincère, métaphorique. Ce second single, après le diptyque LUTF/TUNNEL, dévoile une facette plus intime de l’artiste de 27 ans, sans jamais tomber dans le pathos. Sous des arrangements électro-pop légers, presque aériens, se cache une parole claire sur les violences psychologiques et physiques dans les relations. Pétales apparait comme un exorcisme, un message à soi autant qu’aux autres. Le clip, qu’elle décrit comme « une note à elle-même », devient un repère pour celles et ceux qui doutent, qui restent, qui pensent qu’ils méritent moins. Originaire de Lyon, Ka’Cha – Karen à la ville – s’est d’abord fait remarquer en tant que vocaliste au sein du collectif Le Plan Ä, avant de s’affirmer en solo. Elle forge son identité sur scène avec son premier projet solo K’RION, puis choisit de poursuivre à Paris. Elle y intègre les Cours Florent Musique, une école de chanson, tout en y menant en parallèle un cursus en production. Compositrice, arrangeuse, manageuse, productrice : elle incarne une artiste complète, résolument indépendante. C’est cette même énergie qui l’amène à fonder le girlsband SUGGALICIOUS, avec qui elle sort un premier EP, puis à co-créer le label Pendrillon avec Antoine Caminade. Son approche DIY n’est pas un choix esthétique, mais une nécessité : dire, montrer, produire, sans attendre d’autorisation. On a également pu l’entendre aux côtés de El Bobby sur le morceau Monde Étrange. Pétales s’inscrit dans une continuité : celle d’un parcours personnel et artistique en quête de sens.
Pétales est disponible via Ka’Cha (autoproduit).
/
BLOOD ORANGE – MIND LOADED (FEAT. CAROLINE POLACHEK, LORDE, MUSTAFA)
Avec Mind Loaded, Blood Orange (Devonté Hynes) signe un morceau suspendu et intemporel avec les voix spectrales de Lorde, Caroline Polachek, Mustafa, pas de crescendo, juste un climat. Et ce climat, on le reconnaît : celui de Fourth of July de Sufjan Stevens, référence avouée de Hynes, à laquelle ce titre semble répondre à sa manière, avec pudeur. Les deux morceaux partagent une même économie de moyens, où chaque note est retenue. Chez Stevens, c’était un piano, chez Hynes, c’est une production ambient très dilatée, des nappes synthétiques, et des voix qui se croisent. Mais dans les deux cas, on retrouve cette manière de tenir l’auditeur dans un entre-deux. Ce qui rapproche aussi Mind Loaded de Fourth of July, c’est leur façon commune de parler du deuil sans le nommer frontalement, en restant dans une forme d’abstraction sensible. Fourth of July était un adieu sans larmes. Mind Loaded, lui, s’inscrit dans un paysage mental plus fragmentaire – mais on y perçoit la même tension entre intimité et effacement. Stevens et Hynes choisissent la distance, la lenteur, une forme de calme désarmant. Et c’est ce qui rend leurs morceaux si puissants. Né à Ilford, dans l’Essex (GB), élevé entre l’Angleterre et les États-Unis, Hynes grandit dans un environnement partagé entre musiques gospel, punk et expérimentales. Après ses débuts dans des groupes indie, il devient Blood Orange au début des années 2010, brouillant les frontières entre R&B, électronique, funk et ambient, avec une touche très personnelle. Mind Loaded arrive six ans après Negro Swan, son dernier album solo. Entre-temps, Hynes a multiplié les collaborations, les bandes originales et les performances. Ce nouveau single s’inscrit dans Essex Honey, album à paraître le 29 août 2025, conçu comme un retour aux racines et un travail de mémoire. Ce projet explore les thèmes du deuil familial, de l’Angleterre, et du pouvoir curatif et communautaire de la musique. Sur le plan musical, Essex Honey s’appuie sur des enregistrements analogiques, des motifs récurrents de violoncelle, et des clins d’œil à ses précédents travaux. L’album mêle une palette d’arrangements : guitare acoustique teintée de distorsion punk, mélodies éthérées qui évoquent ses rêves d’enfant dans l’Essex. The Durutti Column, Daniel Caesar, Zadie Smith, Tirzah, Brendan Yates (Turnstile) et Mabe Fratti complètent les feats. Produit et mixé par Hynes lui-même, avec Mikaelin « Blue » Bluespruce, et masterisé par Heba Kadry, Essex Honey promet un voyage intime et cinématographique, où la musique devient un refuge.
Mind Loaded est disponible via RCA Records/Domino Recording. En concert à Paris (Pitchfork Music Festival Paris) le 3 novembre 2025.
/
ELECTRIC GUEST – STAND BACK FOR YOU
Après six ans d’absence, Electric Guest signe un retour aussi attendu que transformé. Le duo californien formé par Asa Taccone et Matthew Compton dévoile deux premiers singles – Play Your Guitar et Stand Back For You – qui annoncent leur prochain album, 10K, prévu pour le 10 octobre 2025. Play Your Guitar, sorti en juin, est une ballade pop intimiste et dépouillée. La chanson évoque avec retenue la douleur, la perte, et la façon dont la musique peut devenir un refuge. Sur une boucle acoustique délicate et une production minimaliste, Taccone pose une voix douce et chargée d’émotion. Le refrain « Just play your guitar » agit comme un apaisement. La force du titre réside dans sa simplicité et sa sincérité. Le ton change avec Stand Back For You. Plus rock, le morceau montre un autre visage du duo. Le groove est plus appuyé, les guitares plus présentes, et la voix de Taccone s’élève dans un falsetto saisissant, qui n’est pas sans rappeler celui de Jimmy Somerville. Le titre aborde, lui aussi, des émotions intimes, mais avec plus de frontalité. Taccone a confié avoir mis du temps à pouvoir finaliser cette chanson, tant elle était personnelle. Ces deux singles dessinent les contours d’un album tourné vers l’essentiel. 10K a été écrit sur plusieurs années, en dehors des pressions de l’industrie. Le nom fait référence à un prêt de 10 000 dollars que Taccone avait contracté pour se consacrer à la musique. Produit en grande partie avec des amis et collaborateurs proches, l’album comptera plusieurs invités prestigieux (The Weeknd, Carly Rae Jepsen, Kacy Hill). Electric Guest semble avoir trouvé un nouveau souffle. Et à en juger par ces premiers extraits, 10K s’annonce comme leur disque le plus personnel à ce jour.
Stand Back For You est disponible via Electric Guest/Because Music.
/
ANAÏS MVA – MONDE
Avec Monde, Anaïs MVA poursuit sa traversée des failles contemporaines. Sur une production épurée, la chanteuse évoque une perte de sens, un monde qui tangue, saturé d’images, de violences feutrées et des réseaux sociaux. Après avoir mis des mots justes sur l’anorexie, le corps empêché, ou l’hyperexigence sociale dans ses précédents titres (XS, Remède, Métastases), « En parler, ça permet de se sentir moins fou, moins seul, et peut-être de déculpabiliser. Et puisque c’est moins grave, ça devient plus facile à surmonter. » déclare t-elle, Anaïs élargit ici son regard. Monde n’est plus seulement un miroir intime, mais surtout une fatigue collective qui cherche une échappée. Loin des fioritures, sa voix claire touche par son équilibre entre distance et émotion. On y retrouve ce qui fait sa force depuis ses débuts : l’écriture nue, les silences assumés, et une production minimaliste qui laisse place aux mots. Révélée via TikTok où elle rassemble une communauté de plus de 130 000 personnes, Anaïs MVA est devenue, en quelques titres et beaucoup de pudeur, une des voix de la nouvelle pop francophone. Ancienne violoniste formée au conservatoire, étudiante en médecine, elle construit une œuvre cohérente, mêlant intimité, lucidité sociale et grande douceur formelle. Des scènes intimistes aux premières parties de Louane, elle emporte avec elle un public fidèle. Monde vient ainsi confirmer une trajectoire d’une artiste qui parle des maux de sa génération avec douceur et sérénité.
Monde est disponible via Sony Music.
/
JUSTIN BIEBER – DAISIES
Justin Bieber a surpris tout le monde le 11 juillet 2025 avec SWAG, son septième album. Vingt et un titres jetés comme on brûle ses idoles, une production minimaliste d’une grande richesse, et cette voix moins lisse, comme un geste de dépouillement pop. Après des années de silence, entrecoupées de crises conjugales exhibées sur Instagram, d’un effondrement psychique, d’un syndrome de Ramsay Hunt qui a paralysé la moitié de son visage, et d’un retrait brutal de la tournée Justice, le chanteur de Sorry revient avec un album qui semble vouloir tout effacer pour tout recommencer. Désormais père d’un petit garçon, Jack Blues, Justin est seul aux commandes : il s’est séparé de son manager. On le voit endosser le rôle d’auteur et de producteur aux côtés d’une dream team : Carter Lang, Daniel Caesar, Dijon, Dylan Wiggins, Knox Fortune, Eli Teplin, Harv, Daniel Chetrit, Eddie Benjamin… sans oublier Tobias Jesso Jr. Musicalement, Swag prend le contre-pied : pas de refrains FM, pas de tubes préfabriqués. L’album s’ouvre sur All I Can Take, au groove trouble, entre R&B et fantômes de funk eighties. Daisies, produit par Mk.Gee, marque un point de rupture : guitares sales, distordues, et la voix de Bieber « You said forever, babe – did you mean it or not? » oscillant entre reproche amoureux et promesse oubliée. Un single étrange, pas calibré pour les radios, mais parfait pour casser le moule. Yukon, sans doute notre titre favori, voit Bieber faire des clins d’œil à la fois à Michael Jackson, avec ce chant aiguë, aux ballades d’un Ed Sheeran et aux expérimentations vocales d’un Frank Ocean. Hypnotique. Le contexte de vie de Bieber éclate dans le disque, particulièrement sa paternité irrigue Dadz Love, Butterflies ou Way It Is. Mais l’album n’est pas sans failles : les interludes parlés sont souvent gênants, voire inutiles. Pourtant, quelque chose fonctionne. Peut-être parce que Swag est l’anti-Bieber que personne n’avait demandé. C’est un disque vivant, imparfait, à son image. L’album est un prélude à son retour sur scène prévu en 2026. Celui d’un homme de 31 ans, revenu avec une âme plus rock, plus brute, et ses cicatrices.
Daisies est disponible via ILH Production/Def Jam Recordings/Universal. En concert à Paris (La Defense Arena) les 10 et 11 juillet 2026.
/