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À Groningen, le passage à la nouvelle année ne se limite pas à un changement de calendrier. Depuis quarante ans, Eurosonic Noorderslag marque un autre basculement : celui des lignes de force musicales européennes. ESNS est un sismographe de l’industrie musicale. Public et professionnels y viennent pour sentir ce qui s’invente.
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Quarante ans, en 2026, et une Europe souvent décrite comme fragmentée, à court de récits communs. Eurosonic (14-17 janvier) choisit d’y répondre sans nostalgie. « Europe Calling » n’est pas un slogan, mais un manifeste assumé : la musique comme langage commun, comme espace de friction et de circulation, loin des frontières administratives. Ici, l’Europe n’est pas un concept politique abstrait, mais un réseau vivant d’artistes, de scènes locales, de prises de risque. Une idée simple : si l’Europe doit encore compter, elle devra s’écouter. « La musique est essentielle. Elle est la voix d’une génération, le miroir de notre société, (…) Nous démontrons que la musique européenne a un impact mondial. Exploitons ce pouvoir. Utilisons la musique pour définir ce que signifie être européen. Rendons notre industrie musicale résiliente et autonome. »
Cette vision se traduit aussi par des dispositifs concrets. Les Music Moves Europe Awards (MME), remis chaque année depuis 2004, sur la scène d’ESNS, incarnent cette Europe en mouvement. Soutenus par le programme Europe créative de l’Union européenne, ils distinguent des trajectoires en devenir. Des artistes encore en phase d’émergence, mais dont l’impact se vérifie souvent dans le temps. Judeline, Zaho de Sagazan, Stromae, Rosalía, Meduza, Dua Lipa ou Hozier figurent parmi les anciens lauréats. Autant de parcours devenus internationaux, révélés à un moment charnière, lorsque le potentiel demandait encore à être accompagné. Nous sommes tous invités à voter pour notre artiste préféré. Le nommé qui aura reçu le plus de votes remportera le prix du public.
Les 15 nommés pour les Music Moves Europe Awards 2026 prolongent cette dynamique : Anna Lille (NO), Camille Yembe (BE), Carpetman (UA), Della (CY), DITTER (FR), Fine (DK), Florence Road (IE), Glazyhaze (IT), Lia Kali (ES), Lunikk (BG), Melina (GR), Might Delete Later (LV), Ray Lozano (DE), Sarah Julia (NL) et Sofie Royer (AT).
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Cette dynamique de reconnaissance dépasse d’ailleurs le seul champ des artistes. À la veille d’ESNS, Groningen devient aussi le point de convergence des European Festival Awards, dont la 15ᵉ édition se tiendra le 14 janvier. Là encore, le récit est celui d’une Europe qui se construit par le terrain. Plus de trente pays représentés, des centaines de festivals impliqués, et près de 300 000 votes exprimés par le public : derrière les 104 nommés répartis en treize catégories, c’est toute une cartographie des scènes européennes qui se dessine. Une photographie vivante, faite de lieux, de programmations et de prises de risques, bien loin d’un palmarès figé. Elle rappelle que les festivals ne sont pas de simples vitrines, mais des espaces partagés, façonnés autant par celles et ceux qui programment que par celles et ceux qui s’y rendent. Cette année, aucun festival français ne figure parmi les nommés. 2024 avait vu couronner le Hellfest et We Love Green.
Le propos reste clair : investir dans les artistes, défendre la diversité comme une force créative, rappeler que la musique n’est pas un décor culturel mais une identité en mouvement. ESNS parle d’écosystème, de solidarité, de transmission. Les prix européens ne sacralisent pas un son unique ; ils révèlent des contrastes, des langues, des scènes locales parfois périphériques, parfois dissonantes, toujours nécessaires. Une Europe plurielle, mais accordée.
Même la conférence évite l’angle mort. Intelligence artificielle, liberté des médias et des programmateurs, activisme, circulation du capital, transmission intergénérationnelle : les débats regardent le secteur tel qu’il est, pas tel qu’on aimerait le fantasmer. Le programme éducatif des Music Moves Europe Awards s’inscrit dans cette logique de partage de savoirs, reliant artistes émergents et professionnels établis. Avec House of Europe, ESNS installe un lieu de rencontre concret, où cultures, pratiques et savoir-faire se croisent.
À quarante ans, Eurosonic célèbre évidemment sa longévité, mais surtout affirme une position. Dans un monde qui se fragmente, il rappelle que jouer ensemble reste un acte politique. Les Music Moves Europe Awards prolongent ce geste : faire de la reconnaissance un outil de circulation, et de l’Europe non pas un simple marché, mais un espace d’écoute. La musique, quand elle est prise au sérieux, sait encore faire bloc sans jamais se figer. « Célébrer quarante ans, ce n’est pas seulement regarder en arrière, c’est aussi renforcer notre mission pour les décennies à venir : mettre en relation les artistes européens avec le public et les professionnels du secteur au-delà des frontières. Europe Calling symbolise un élan commun, la musique comme force unificatrice dans un monde en mutation rapide. » Anna van Nunen, directrice générale de l’ESNS.
Entre diversité, innovation et engagement, ce rendez-vous reste l’épicentre des musiques émergentes en Europe. Nous sommes heureux d’y retrouver Yoa, Max Baby, Benni, Tiago Caetano, Léonie Pernet, Gabi Hartman, Joshua Idehen, Dressed Like Boys, TTSSFU, Swank Mami, Naja Mö, Ao, Mechatok… mais aussi de nouveaux venus :
L’italien Alex Fernet avec son son singulier mêlant funk, soul, boogie, glam, italo-disco et post-funk.
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La madrilène Paula ‘La’ Cendejas, à la croisée du R&B, de la pop alternative et des écritures intimistes.
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Les Suédois Les Imprimés, porté par une fascination pour la chanson française, la soul et la pop élégante.
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Les belges de Lézard, qui bouscule les codes du rock et de la dance en mêlant postpunk, disco, new wave, glam et electroclash.
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La suissesse Linda Elys et sa pop/folk mélodique et sincère.
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Le britannique EV, dont la musique mêle rap, électronique et influences 90s rave tout en racontant les réalités quotidiennes de la vie en UK.
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La lettone Might Delete Later, avec son électro inventive qui mêle voix atmosphériques, grooves dansants et textures.
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Les 259 artistes sont ici :
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Billetterie : ici.
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Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture SieseVeenstra
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