Très tôt adoubé par Kanye West, le Texan Travi$ Scott, MC adroit et producteur premium tendance rap de stade, a brillé sur la compilation Cruel Summer et signé, ces derniers mois, plusieurs singles fédérateurs. Au point de faire de son Owl Pharaoh, l’un des premiers albums les plus attendus de 2013.

Jusqu’au milieu des années 2000, la scène rap de Houston, quatrième ville la plus peuplée des Etats-Unis, ne brillait que très rarement sur le plan national. À l’exception de quelques personnalités au statut d’icône (le vétéran Scarface, le fumiste Devin The Dude…) et un groupe culte (UGK, formé par Bun B et Pimp C au début des 90’s à Port Arthur, petite ville de la banlieue ouest, célèbre pour avoir vu naître Janis Joplin), les rappeurs locaux se contentaient d’entretenir leur réputation à coups de mixtapes et d’albums autoproduits, à l’échelle d’une agglomération qui compte plus de 5 millions d’habitants. Néanmoins, dès le milieu des années 80 et l’avènement des Geto Boys, héros locaux et précurseurs du rap sudiste, Houston fut un réservoir allègrement pillé par New York et Los Angeles. Aujourd’hui, les nouvelles superstars du rap mondial – de Drake à A$AP Rocky (dont le premier hit « ÓPurple Swag » aurait pu être produit au Texas en 2005) – multiplient les références au hip hop de Houston. La disparition du mythique DJ Screw – l’inventeur de la fameuse technique de mixage, dite Screwed and Chopped, mort en 2000 – et les rééditions posthumes de ses nombreuses mixtapes (plus de 200) ont ouvert la voie à ses poulains, Z-Ro, Trae ou Lil Flip, ainsi qu’au collectif Swishahouse (Paul Wall, Mike Jones, Slim Thug), qui ont pris les rênes de la ville au milieu des années 2000, offrant au rap de H-Town un rayonnement national inédit.

Travi$ Scott est né à Houston en 1992, année de la sortie du premier classique de UGK, Too Hard To Swallow. « C’était vraiment spécial de grandir à Houston, c’est une ville unique, avec une vraie culture rap à laquelle j’ai envie d’apporter ma contribution », nous dit le MC de 21 ans, qui s’apprête à sortir son premier projet long format, Owl Pharaoh. « Pour les gens de ma génération à Houston, la période Swishahouse est une sorte d’âge d’or. » Ce n’est, toutefois, pas à Houston que le jeune Jacques Webster a trouvé ses premières idoles : « Les premiers chocs musicaux, dont je me rappelle, sont Kid Cudi, M.I.A. et Kanye West ». Travi$ Scott a 12 ans, quand paraît The College Dropout, le premier album de Kanye West : « J’ai été fasciné par ce disque, je me suis dit que ce type était le futur du rap ». Huit ans plus tard, c’est grâce à ce même Kanye West – devenu entre-temps l’icône pop que l’on sait – que Scott est intronisé coproducteur de trois morceaux de la compilation Cruel Summer du collectif G.O.O.D. Music. Il est également aux manettes du titre « Sin City » qu’il compose, et sur lequel il rappe. Quand il rencontre celui qu’il qualifie volontiers de génie, Travi$ Scott vit à Los Angeles et vient déjà de taper dans l’oeil du MC d’Atlanta, T.I., son premier mentor qui le signe vite sur son label Grand Hustle.

« Quand j’ai fini par rencontrer Kanye [après un rite de passage auprès d’un de ses lieutenants, N.D.L.R.], nous avons écouté mon album et il a aimé ce beat qui est devenu celui de Sin City », se souvient Travi$ Scott, qui semble avoir gagné en confiance depuis ses premières interviews, où il confessait volontiers son anxiété à l’idée de travailler avec son idole. Sur le remix de « Back Up » – titre de Chuck Inglish, moitié du duo Cool Kids – Scott démarre son couplet par un arrogant « We leaders of the future, fuck the past » [« nous sommes le futur, on emmerde le passé »], qui peut sonner paradoxal, quand on connaît le parcours de cet ex-fan qui côtoie désormais ses modèles. « C’est juste que je suis fatigué d’entendre toujours les mêmes rappeurs », s’explique-t-il, « Le futur est là et tout le reste, c’est de l’histoire ancienne – c’est toujours de la bonne musique et je rends constamment hommage à mes idoles de jeunesse, mais les nouveaux sons arrivent et il faut leur faire une place ». Sous ses faux airs d’exercice d’egotrip (il y est question de millions et de cocaïne), « Quintana », le puissant dernier single en date de Travi$ Scott, nous éclaire sur les motivations et l’esprit de revanche sociale qui animent le MC. « Grandir au Texas n’a pas toujours été facile, ce n’était pas une société dans laquelle j’avais l’impression d’avoir ma place. Les gamins, qui sont dans cette situation, sont nombreux, et ils n’ont pas tous la chance d’avoir cet exutoire et ce moyen de s’en sortir que peut être le rap. Owl Pharaoh est une autobiographie, je raconte comment et pourquoi j’ai quitté le Texas, et je reviens sur ce qui m’est arrivé depuis. Je crois que c’est assez fort, émotionnellement ».

Le rap que produit Travi$ Scott n’a plus grand-chose de texan. Le choix de ses collaborations – le violent MC floridien, Gunplay ; le producteur en vue de Chicago, Young Chop ; la valeur montante de Washington, Wale – atteste de ses ambitions et de son ouverture d’esprit. Son flow – qu’il est tentant de comparer à celui de Kanye West – n’est pas calqué sur ceux de Bun B ou de Mike Jones. Il partage également avec le coauteur de Watch The Throne, une certaine appétence pour les compositions cathédralesques – loin des standards ralentis et étouffants du dirty south. A en croire l’impact de la poignée de morceaux distillés jusqu’ici, rien de tout cela ne devrait l’empêcher de se faire respecter à Houston, et ailleurs.

Propos recueillis par Damien Besançon
Photo : Julien Bernard
Réalisation : Flora Zoutu

Travi$ Scott, Cruel Summer (Def Jam/Universal)
L’essentiel des morceaux solos de Travi$ Scott, dont « Quintana », « Pussy », « Upper Echelon » et « Back Up Remix », s’écoutent gratuitement en ligne.
http://travis-x.tumblr.com