Dab macronistes et bar à champagne: la rentrée de l’Essec? Presque.

Tout avait pourtant bien commencé. De fil en aiguille (sous roche), voici mon poignet enlacé d’un pass magouillé, qui m’ouvre les portes d’un festival de musique parisien. Pas la peine de vous le décrire, il a déjà inondé votre feed Instagram et ressemble à l’identique à tous ses concurrents. Mais bon. C’est gratuit, le vigile a pas vu mes bières tièdes ni mes culs de bédo humides à l’entrée, la programmation est assez contradictoire pour qu’on y trouve tous un peu son compte. J’ai à peine le temps de me caler entre un hot dog éventré et une nappe de vomis qu’un cri de guerre interrompt mon idylle crasseuse. «  Si ton père paye l’ISF tape dans tes mains  » beugle-chante (un genre inauguré par Shakira) une voix masculine suivie de clappements furieux.

«  Si ton père paye l’ISF tape dans tes mains  »

Quelque chose me dit qu’il ne s’agit ni de «  l’internationale socialiste des femmes  », ni la communauté des «  ingénieurs sans frontières  ». Et ce quelque chose porte un nom  : Jean-Hub’. J-H pour les intimes. Avec son visage couvert de peintures «  tribales » et ses chaussures bateau, il a surtout l’air d’avoir un papa qui paye l’impôt de solidarité sur la fortune. Comme tous ses copains qui l’accompagnent à tue-tête dans un refrain qui fédère précisément parce qu’il exclue.

Tiens, c’est mignon, ils se sont tous déguisés. Toques d’indiens, bandanas autour du crane, chapeaux-toque de bière – les crocs-magnons aux noms composés sont persuadés qu’ils se fondent dans la masse. Comme atteints du syndrome de l’imposteur à l’envers, ils se sentent plus que légitimes. Les Pete Doherty et Kate Moss de Glastonbury version 2018, c’est eux. La preuve, ils ont même marqué «  rock’n’roll  » en fluo sur leur torse.  Bon, avec l’ISF en plus (renommé l’IFI depuis Macron, mais ils n’ont pas eu le mémo…et puis ça leur rappelle la grande époque). Je suis hypnotisé, hilare et nauséeux. Mais vu le prix des pass et de la bouffe sur place, fallait s’y attendre. Qui d’autres que des petits cons d’écoles de commerce seraient prêts à payer autant pour une programmation aussi tiède  ?

«  Pete Doherty et Kate Moss de Glastonbury version 2018, c’est eux. »

Leurs meufs, elles, sont les descendantes de la tendance Coachella lancée par Kendall Jenner et ses shorts à frange. Elles ont bien lu les conseils de Marie Claire, sagement acheté les panoplies toutes faites d’ASOS ou Topshop. Ces looks certifiés «  100 % festoche  » les enchantent. Comme à Halloween, en plus racistes, ils donnent l’occasion rarissime de conjuguer lingerie et appropriation culturelle – Pocahontas en poom poom short, trop mimz  ! Et, pour ceux qui sont encore là, je suis dans le regret de vous annoncer que la génance ne fait que commencer. Le festival, pourtant censé promouvoir une toute autre mentalité, a, au contraire, prévu le coup. Quand Jean-Hub’ tente un dab si maladroit qu’il en reverse sa coupe de champagne sur son maillot «Dauphine School of 2012  », il l’arrache brutalement et court vers le bar Moet et Chandon, sponso’ officiel de l’évènement. 15 euros et un Bellini plus tard, il a un petit creux. Ça tombe bien, un stand spécialisé dans le Brie de Meaux truffé l’attend, bras et machine à carte grands ouverts.

Ça, je ne l’avais pas vu venir, et je me sens limite trahi. Ok, ces beaufs à carte gold sont en quête d’une expérience festivalière. Ok, les concerts sont des alibi à InstaStory thème #bohemianlife ou #woodstock2018. La philosophie militante d’origine, ça, ils s’en battent les mocassins. Plutôt crever que d’aller camper à Teknival ou au Hellfest  ! Ils veulent une défonce sans gueule de bois, des pogos qui ne tacheront pas leur New Balance, se sentir comme un Che Guevara de la teuf et rentrer en Uber. Et c’est exactement ce qui ces festivals leurs apportent  : la promesse d’être à la fois légitimes et supérieurs (car les seuls à pouvoir se payer ces prix de boites de nuit des Champs-Elysées.  Vous vous rappelez quand Macron a dit qu’une gare était un lieu où on se «  croisent des gens qui réussissent et des gens  qui ne sont rien»? J’ai l’impression de voir la même idée mise en pratique: ces futurs banquiers convaincus d’être à la fois l’histoire et le futur du pays payent un SMIC pour pouvoir se frotter à ceux qu’ils méprisent.

«  Les concerts sont des alibi à InstaStory thème #bohemianlife ou #woodstock2018  »

Mais, chez ces colons en quête de bonne conscience, le naturel revient au galop. Jean Hub’ arrête tout mec basané, persuadé que ça ne peut être qu’un dealer. Puisqu’il s’aventure sur le chemin de la «  street  », il décide d’aller jeter un œil sur le plateau hip-hop. Le rap, c’est pas son truc, mais ça lui donne une excuse de faire des high-five approximatifs et de hurler «  Yolo  », «  Swag  » et autres termes disparus depuis 2012.En chemin il se perd, mais son pote lui donne un précieux conseil  : «  C’est la scène ou ya tous les blacks  ». Car Jean-Hub, incroyable mais vrai, est blanc. Sur place, il a peur de se faire racketter, peur de tirer sur le joint d’un inconnu («  On ne sait pas ce qu’il a mis dedans et je ne veux pas choper d’herpès  »). Alors il se dirige vers moi, se frotte le nez pour m’indiquer, tout fier, sa consommation illicite, puis tente de me venter les mérites de Macron. Et quand je le dis qu’il est à droite, il le prend comme un compliment. «  Ben ouais la France de demain  ! » Et le pire, c’est qu’il a probablement raison.