La sélection Modzik 2025 des artistes passés sous le radar.
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D’années en années, le nombre de sorties ne cesse d’augmenter. En 2025, ce sont pas moins de 60 000 nouveaux titres qui arrivent chaque jour sur Spotify. Prétendre avoir le temps de tout écouter serait illusoire, d’autant plus dans un quotidien toujours plus contraint. Dans ce flot continu de nouveautés, certaines pépites passent inévitablement sous le radar, noyées dans la masse des productions que nous découvrons.
Pourtant, 2025, à l’image de 2024, s’est révélée d’une richesse rare. De jeunes talents prometteurs y côtoient des valeurs sûres qui, loin d’avoir atteint leurs limites, continuent de nous étonner. Il était temps de réparer cette injustice. Titres, albums ou EP marquants écoutés parfois distraitement, parfois avec ferveur ont ainsi échappé à notre attention, faute de parfois de temps ou de circonstances.
Il nous semblait donc essentiel de vous partager ces albums absents de nos colonnes ou insuffisamment célébrées. Voici le moment de vous partager une sélection de 10 artistes qui ont accompagné notre année, sans encore trouver pleinement leur place dans nos pages.
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MAUVAISE BOUCHE – LA VIE D’ADULTE
Derrière Mauvaise Bouche se cache Emma Fettomi, musicienne formée au classique. Elle s’en émancipe progressivement pour se tourner vers le chant et l’écriture, explorant un univers personnel et direct. Avant de se lancer en solo, elle chante au sein du groupe NOD et remporte la 6ᵉ édition du Tremplin JAM en 2018, une étape déterminante de son parcours. En février 2022, elle sort son premier single solo, Solo, accompagnée du producteur Smogy alias Maugan Kenward, affirmant déjà un style incisif et direct. Son nom d’artiste, Mauvaise Bouche, est choisi pour son côté évocateur et questionnant : il traduit sa parole franche et son rapport assumé à la sincérité, sans se réduire à son prénom. La vie d’adulte, sorti cet automne, s’attaque frontalement au basculement entre enfance et âge adulte. L’album explore ce moment où l’on doit assumer ses responsabilités, quitter le foyer et faire semblant d’aller bien, malgré le doute ou le mal-être. Des titres comme La vie d’adulte, Dans cent ans ou Deux Minutes cristallisent ces états intérieurs. Dans ce dernier, la phrase « je sais pas si je vais très bien ces temps-ci » résume la sincérité de l’album, qui joue sur le contraste. Une pop claire entre chanson française, hip-hop et R&B alternatif composée par le fidèle Maugan Kenward accompagne des textes souvent sombres, créant un décalage qui fonctionne comme un masque qui reflète le besoin de survie dans un monde où personne ne nous apprend à écouter nos émotions. L’album se clôt sur Je vais bien, un choix volontaire pour finir sur une note réconfortante. Parallèlement au disque, Emma Fettomi développe le podcast La vie d’adulte, qui prolonge la réflexion sur l’âge adulte en donnant la parole à d’autres parcours. La vie d’adulte est un album qui conjugue lucidité et légèreté. Sans dramatisation, Mauvaise Bouche transforme ses expériences personnelles en récits qui résonnent chez tous ceux confrontés à la complexité de l’âge adulte. Son écriture directe, le sens de la mélodie de Maugan en fait un premier album où chaque transition, chaque doute, semble glisser comme une petite rêverie poétique. (LFC)
La vie d’adulte est disponible via LOW WOOD. En concert à Paris (Cigale) le 2 décembre 2026.
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JENEVIEVE – CRYSALIS
Avec Crysalis, Jenevieve poursuit sa mue artistique amorcée avec Division et l’EP Rendezvous. Née à Miami à la fin des années 90, la chanteuse américaine affine ici un R&B lent et soyeux, teinté de soul rétro, pensé comme un espace de protection plus que comme une simple collection de titres. Entièrement conçu avec son collaborateur de longue date Elijah Gabor, l’album déploie quatorze morceaux d’une grande cohérence dans des arrangements soyeux. Les influences funk et R&B des années 90, déjà perceptibles sur Rendezvous, sont toujours là, mais l’ambiance se fait plus intime, plus séductrice. Crysalis revendique une idée simple : préserver son énergie, rester fidèle à ses convictions, s’abstraire des pressions extérieures. Des titres comme Haiku et Head Over Heels s’installent immédiatement, fondant dans l’oreille avec une douceur presque troublante. Le morceau-titre s’impose comme un single évident, tandis que Hvn High, porté par une ligne de basse profonde, apporte un groove hypnotique et sensuel. Même lorsque Jenevieve s’appuie sur des structures familières, la pop slacker de Naive ou certaines progressions d’accords attendues, la précision de la production empêche toute facilité. Partycrasher en est l’exemple le plus frappant, sommet d’un album au raffinement chirurgical. Écrit sur deux années marquées par des épreuves personnelles, Crysalis n’en demeure pas moins lumineux, passionné et enveloppant. Crysalis est un album passionné et sensuel, qui donne l’impression de tomber amoureux, confirmant Jenevieve comme l’une des voix R&B avec laquelle il faudra compter. (LFC)
Crysalis est disponible via Interscope.
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DANNY BROWN – STARDUST
Cette année, Danny Brown voit les choses en grand puisque ce dernier multiplie les collaborations inattendues, et revient avec un nouvel album haut en couleurs. Une frénésie inédite chez l’artiste qui opte pour un style musical à la frontière de la digicore et de l’hyper pop, prenant progressivement ses distances avec les beats hip hop plus classiques. Stardust n’a donc plus rien à voir avec ses précédents albums, aux antipodes de Quaranta. Ici, l’artiste s’immisce dans la peau d’un alter ego construit de toutes pièces : Dusty Star, une idole adulée et complètement déjantée issue du « star system » des années 90. Une version de lui-même décuplée, dans un paysage sonore totalement brouillé. Ce virage à 90° s’explique par une cure de désintoxication, qui s’ensuit d’un éveil musical cherchant à tester de nouvelles sonorités. Il se prend de curiosité pour des textures électroniques plus intenses et plus bruyantes, qui apparaissent face à lui comme de véritables tribunes politiques et sociales, à l’image de sa rencontre avec Underscores (musicienne avec qui il collabore sur Copycats). Une résurrection étonnante qui ne nous a pas laissé de marbre. (AC)
Stardust est disponible via Warp Records.
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ALEXANDRA SAVIOR – BENEATH THE LILYPAD
Depuis son précédent album The Archer, cinq années se sont écoulées avant qu’Alexandra Savior ne revienne et ne renoue avec son public. Son précédent album avait marqué les esprits par sa voix nonchalante et sa singularité artistique héritée du rock britannique. Et c’est avec un album signature qu’elle scelle son retour. Beneath The Lilypad marque une évolution notable dans son parcours artistique et se distingue par une esthétique plus mature et pointilleuse. Pour ce faire, la chanteuse américaine y décrit ses expériences mentales et émotionnelles récentes à travers onze titres, certains coécrits avec le producteur Drew Erickson, qui a travaillé avec Father John Misty ou encore Lana Del Rey. Une collaboration qui n’est pas anodine puisque cet album rappelle l’ambiance cinématographique et vintage des années 50-60, à l’image des deux artistes que l’on vient de citer, supplémentée de l’orchestration et de l’élégance vocale de la chanteuse. Beneath The Lilypad s’inscrit dans la dramaturgie lente et mélancolique de l’artiste, qui s’est allié à la perfection avec nos ballades automnales. (AC)
Beneath The Lilypad est disponible via Columbia Records/Sony Music.
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BASSVICTIM – FOREVER
Sorti par surprise cet automne, Forever, le premier album studio de Bassvictim, marque un tournant dans leur jeune carrière: moins witch house, moins electroclash frontal, le disque se recentre sur une écriture plus introspective et mélancolique, toujours aussi crue, mais bien plus profonde. Duo londonien formé par Maria Manow et Ike Clateman, Bassvictim est une des sensations électroniques de la nouvelle génération qui n’a peur de rien : pas même des jeans skinny ou des productions saturées à l’excès, loin d’un son pop plus mainstream. Là où la voix parlée de Manov se cogne à des prods bass-heavy et glitchées, Clateman est aux machines, aux synthés, au piano. Et si chacun sait tenir son rôle, c’est à deux que la magie opère. Bien que Forever marque une sorte de rupture des deux projets précédents du groupe, Basspunk et Basspunk 2, certains ingrédients font toujours partie de la recette. Les basses, évidemment. Les synthés restent saturés, mais Clateman laisse davantage respirer les pianos, les cordes et les textures plus organiques, comme sur Ike Piano ou les passages plus lumineux de Grass Is Greener. Écouté par hasard depuis Bristol, ville emblématique des scènes alternatives britanniques, de l’indie sleaze et autres tendances des années 2000 et décor mental de séries comme Skins, l’album résonne comme une mise à jour d’un certain imaginaire adolescent : excès, drame, nuits blanches… mais vu depuis l’autre côté, celui où l’on commence à faire le bilan. Le premier single du projet, 27a Pitfield St., déjà en train de percer sur les réseaux, est la représentation de ce nouveau visage : une balade d’abord délicate, portée par des cordes pincées et des claquements de doigts, qui se dérègle peu à peu jusqu’à virer crise émotionnelle électroniquement augmentée. Alors, plus qu’une simple sensation ou le miroir opportuniste d’une tendance, Bassvictim apparaît avec Forever comme le reflet précis d’une époque qui recycle sa nostalgie pour imaginer un futur club : vulnérable et sans filtre, où l’on danse encore, même les yeux rougis. (TR)
Forever est disponible via VOTB Records.
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BORN IDIOT – INFINITE LIFE TRAUMA
Infinite Life Trauma installe immédiatement Born Idiot dans une zone de tension constante, entre douceur mélodique et désillusion. Le quintet rennais joue sur le contraste entre arrangements doux et textes sombres, empreints de désillusion amoureuse et de malaise social. Cette tension constante devient la marque de l’album, révélant une maturité nouvelle dans l’écriture. Chaque morceau agit comme une vignette émotionnelle : solitude et rêveries (Lonesome), visions dystopiques (Human Price), romances crépusculaires (The Last Bisou), ou lassitude affective (Infinite Life Trauma). Le titre éponyme illustre parfaitement l’équilibre du disque : riff minimaliste, couplets blasés, refrain pop qui éclaire un quotidien monotone. Born Idiot transforme l’ennui et le désenchantement en motifs musicaux, entre douceur et onirisme. L’album développe une musicalité subtile : guitares texturées et synthés omniprésents créent des climats à la fois familiers et légèrement décalés. L’atmosphère du disque oscille entre romantisme cynique et résignation. Même lorsque l’énergie se fait plus nerveuse, elle reste contenue, comme si l’album refusait toute explosion définitive, notamment sur Harvey Wind. L’album se termine sur des mélodies nostalgiques, (Between Earth and Space, The Last Bisou) laissant filtrer une lumière discrète qui adoucit la gravité de l’ensemble. Sans chercher la rupture radicale, Infinite Life Trauma confirme la capacité de Born Idiot à rendre sensible le malaise contemporain, à l’habiller de chansons cohérentes, contrastées et habitées. Un album où la gravité du monde révèle, paradoxalement, sa beauté fragile. (LFC)
Infinite Trauma est disponible via Born Idiot/Monomaniac.
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ODEAL –THE SUMMER THAT SAVED ME THE FALL THAT SAVED US
2025 marque le retour d’Odeal, où l’artiste nous dévoile un projet en deux chapitres pensé comme un cycle émotionnel et saisonnier. Cet été, l’artiste sort : The Summer That Saved Me, un projet lumineux porté par des sonorités R&B, afrobeat et neo-soul. Odeal y célèbre l’amour, la passion et les relations humaines comme espaces de refuge et de rédemption. Les sonorités solaires, pensées pour la scène et les festivals, on l’a vu à Rock en Seine expriment une liberté retrouvée, teintée d’euphorie, où l’été devient un moment idéalisé. Quatre mois plus tard : The Fall That Saved Us vient refermer cette parenthèse. Plus sombre et plus introspectif, ce second projet adopte des textures R&B et neo-soul plus intime, parfois même mélancoliques. L’été s’est terminé pour laisser place à un automne où Odeal explore l’après, c’est à dire ce qu’il reste une fois la chaleur retombée, lorsque les relations se complexifient et que la mélancolie prend le dessus. Pensés ensemble, ces deux projets dépeignent une histoire dans laquelle l’artiste interroge la temporalité des sentiments et la façon dont les saisons influencent nos manières d’aimer et ressentir. Une narration qui se prolonge au-delà du studio, avec la sortie de plusieurs clips et une tournée déjà annoncée pour 2026. Ce double projet nous laisse entrevoir la possibilité d’un cycle qui pourrait s’étendre, et où d’autres saisons viendraient compléter cette exploration émotionnelle. Une année marquée par la polyvalence, confirmant la capacité d’Odeal à transmettre l’intime à travers des récits universels tout en fusionnant parfaitement plusieurs genres musicaux. (ML)
The Summer That Saved Me & The Fall That Saved Us sont disponibles via OVMBR/LVRN Records. En concert à Paris (Elysée Montmartre) le 29 mars 2026 (complet).
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TASH SULTANA – RETURN TO THE ROOTS
Return to the Roots, marque un retour de Tash Sultana aux fondations de son parcours artistique. Née à Melbourne, révélée très tôt par la rue et les réseaux grâce à ses performances en looping, l’artiste australienne a construit une identité singulière, à la croisée du rock, de la soul, du reggae et du psychédélisme. l’EP privilégie l’organique et l’instinct. Les six titres composent une matière vivante, limite rugueuse. Le looping, signature de Tash Sultana, devient un véritable outil de tension et de progression, installant des climats hypnotiques où le rock se teinte de blues et de funk. Parmi les temps forts de l’EP, Hold On, dédiée à sa femme, qui a traversé un combat difficile contre le cancer et Ain’t It Kinda Funny le featuring avec City and Colour étiré sur près de six minutes. La voix claire et mélancolique de Dallas Green vient se fondre dans celle, plus terrienne, de Tash Sultana, créant un dialogue éthéré et tendu. Le titre prend le temps de s’installer, misant sur la montée progressive et révèle une facette plus intime de l’EP. Ce long format assume une lenteur maîtrisée qui renforce l’émotion et la profondeur du propos. Un EP direct et cohérent, trop court, qui confirme sa place à part dans le paysage musical, hybride et libre. (LFC)
Return To the Roots est disponible via Lonely Lands Records.
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TAMINO – EVERY DAWN’S A MOUNTAIN
Tamino a fait la surprise de revenir cette année avec un troisième album, et s’est à nouveau confronté aux attentes élevées qui règnent à son égard depuis l’excellent Amir, qui l’a fait découvrir aux yeux du monde. Et pour répondre aux ardeurs de ses auditeurs, le chanteur belge a dévoilé en début d’année le single Sanctuary en collaboration avec Mitsky. Une collaboration inattendue qui révèle toute la versatilité de l’interprète et son goût prononcé pour le rock alternatif. L’ensemble des morceaux revêt tout autant l’esprit folk et mélancolique de ses précédents albums, fidèle quant à son intérêt pour le déracinement et la perte. Ses propos sont toujours magnifiquement soulignés par l’instrumentalité et les influences arabes, marque de fabrique du chanteur d’origine égyptienne. Plusieurs morceaux retiennent notre attention (on peut citer Babylon ou Raven), mais on note tout de même une légère perte en intensité sur cet album, et ce, malgré la profondeur de sa voix et ses mélodies irrésistibles. Il l’explique par la dimension contemplative et méditative de la perte et l’expression moins brute qu’elles suggèrent. Mais cela n’enlève en rien le talent indéniable et la figure musicale précieuse qu’est devenue Tamino au fil des années. Sans nul doute, Every Dawn’s A Mountain se hisse parmi nos albums phares de 2025. (AC)
Every Dawn’s a Mountain est disponible via Communion Records.
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YUNG LEAN – JONATAN
Avec Jonatan, Yung Lean propose un disque sobre, guitare en avant, qui replace enfin Jonatan Leandoer derrière le mythe Sad Boys. Car appeler l’album Jonatan, c’est enterrer le personnage pour laisser parler la personne : un geste de retour aux sources. Dans des interviews récentes, il explique avoir arrêté l’alcool depuis plus d’un an, décrivant la sobriété comme une manière de redevenir « brave, honnête et vulnérable », ce qui irrigue directement l’écriture du disque. Ancien symbole d’une génération qui se noie dans les drogues, Lean raconte aujourd’hui la sortie de la spirale, la reconstruction, le quotidien, sans romantiser la destruction. Jonatan ressemble à un journal intime post-tempête : toujours « sadboy », mais avec plus de recul, de tendresse et une lucidité qui casse le mythe du rappeur maudit. Musicalement, il s’éloigne clairement du cloud rap et des beats trap éthérés : le disque est plus pop rock, slacker, guitare et batterie en avant, avec une production lo-fi qui laisse l’air entrer. On entend des riffs grunge et folk sur des morceaux comme Horses ou My Life, des chœurs et des voix superposées façon rock indé, comme si c’était la musique qu’il avait toujours voulu faire. Le single Forever Yung, produit par Rami Dawod, donne le ton : minimal, ambient, presque indie, avec un clip qui remonte toute sa vie et réunit Sad Boys, famille et fans. Jonatan sonne comme une ode à dix ans de chaos, un bilan lucide et un reboot artistique où Yung Lean fusionne toutes ses identités. Le rappeur cloud, le poète lo-fi, kid de Stockholm devenu légende Internet ont survécu, et coexistent désormais en paix pour ouvrir le nouveau chapitre d’une histoire déjà longue, et pourtant loin de se terminer. (TR)
Jonatan est disponible via World Affairs.
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